Alors que le premier débat télévisé entre Donald Trump et Joe Biden doit se tenir mardi soir, la nomination de la juge conservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême a soudainement fait passer la campagne présidentielle au second plan de l’actualité politique américaine. Interview de Jean-Éric Branaa, chercheur, et auteur d'une biographie de l’ancien vice-président de Barack Obama.
À un peu plus d’un mois de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre, la course à la Maison Blanche semble s’être figée avec le décès de la doyenne de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, et la nomination, samedi 26 septembre, d’Amy Coney Barrett, proposée par Donald Trump pour la remplacer.
Pourtant, le président sortant et son adversaire démocrate, Joe Biden, doivent débattre pour la première fois sur Fox News, mardi 29 septembre, mais les chaînes d’information tournent en boucle sur la probable future juge conservatrice à la Cour suprême et le processus de confirmation à venir au Sénat.
Les auditions parlementaires de la juge désignée, qui doivent débuter le 12 octobre, vont donc rythmer la campagne jusqu'au vote sur son nom, que les républicains espèrent tenir quelques jours seulement avant l'élection présidentielle, estime Jean-Éric Branaa, auteur de "Joe Biden", biographie de l’ancien vice-président de Barack Obama (éditions Nouveau Monde, à paraître le 7 octobre), interrogé par France 24.
France 24 : Que change la nomination d’Amy Coney Barrett dans la course à la Maison Blanche ?
Jean-Éric Branaa : Premier constat évident : les supporters de Donald Trump sont galvanisés par cette nomination. Cela dépasse même largement ses fidèles soutiens, car Amy Coney Barrett coche toutes les bonnes cases de l’électorat conservateur. Pour autant, cette nomination ne change pas la donne de l’élection présidentielle, car les électeurs ravis du choix du président penchaient déjà du côté républicain. Il n’y a que chez les catholiques que cela pourrait avoir des conséquences. Cet électorat, qui avait voté Trump en 2016, semblait plus proche cette année de Joe Biden, lui-même catholique. Or, Amy Coney Barrett était juge à la cour d’appel du 7e circuit, qui regroupe l’Illinois, l’Indiana et le Wisconsin. Et si l’Illinois semble acquis à Joe Biden et l’Indiana à Donald Trump, le Wisconsin, où il y a 25 % de catholiques, reste ouvert. Cette nomination pourrait donc décider une poignée d’électeurs dans cet État clé.
Amy Coney Barrett est connue pour ses positions conservatrices sur l’avortement ou la possession d’armes. Sa nomination va-t-elle mettre ces sujets en lumière ?
Non, car l’autre conséquence de sa nomination, c’est que la campagne est désormais terminée. Les candidats et les médias ne parlent plus que de la Cour suprême, les thèmes de campagne sont passés au second plan. On se retrouve avec une course à la Maison Blanche bloquée avec deux camps déterminés entre pro-Trump et anti-Trump. Il n’y a guère que les débats télévisés qui permettront de parler d’autre chose. Mais ce sera très réduit, puisque mardi soir, chaque thème sera abordé durant quinze minutes maximum. C’est assez court.
Dans ce contexte, quelle stratégie a été choisie par Joe Biden ?
Il demande aux sénateurs de ne pas confirmer Amy Coney Barrett. Il espère refaire le coup de Robert Bork : en 1987, Ronald Reagan a nommé ce juge à la Cour suprême, et Joe Biden était président du Comité judiciaire du Sénat, chargé de voter sur sa confirmation. Les auditions menées ont alors donné lieu à un affrontement idéologique sans précédent. Robert Bork a été particulièrement malmené par Joe Biden et sa candidature a fini par être rejetée. Il aimerait donc que l’histoire se répète. Il pourra compter sur sa colistière, Kamala Harris, vice-présidente du Comité judiciaire, pour mener la bataille. Mais les républicains étant majoritaires au Sénat, il y a peu de chances que cette stratégie fonctionne.
Un tiers des sénateurs sont en campagne pour leur réélection également. La nomination d’Amy Coney Barrett aura-t-elle un impact pour eux ?
Oui, car une majorité d’Américains estiment que le siège de Ruth Bader Ginsburg ne devrait être remplacé qu’après l’élection présidentielle. Les sénateurs républicains, dont la réélection n’est pas assurée, comme Lindsey Graham (Caroline du Sud), Thom Tillis (Caroline du Nord) ou encore Joni Ernst (Iowa), pourraient donc perdre des électeurs s’ils décidaient effectivement de mener le processus de confirmation à son terme. C’est quelque chose d’inattendu, car personne n’imaginait que le Sénat pourrait basculer du côté des démocrates, mais la confirmation d’Amy Coney Barrett est en train de changer la donne. C’est encore peu probable, mais ce n’est plus impensable.