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Homme brûlé à Gaza : pourquoi les accusations de mise en scène ne tiennent pas la route
Le 13 octobre, une frappe de l'armée israélienne sur l'hôpital Al-Aqsa à Gaza a provoqué un incendie causant la mort de cinq personnes dont une brûlée vive. Mais un compte Instagram pro-israélien, Bob Hasbara, a mis en doute la véracité des vidéos montrant la personne brûlée vive, une scène pourtant documentée sous plusieurs angles. Le compte dénonce aussi la présence sur place du vidéaste gazaoui Saleh Al-Jafarawi, accusé depuis le début de la guerre de mises en scène - des affirmations sans fondement.

La vérification en bref : 

  • Le compte Instagram Bob Hasbara a soutenu que les vidéos montrant une personne brûlée vive à l'hôpital Al-Aqsa sont une mise en scène, du fait de la présence du vidéaste gazaoui Saleh Al-Jafarawi, accusé depuis le début de la guerre de mises en scène. 

  • Ce sont des affirmations sans fondement. Les vidéos de quatre journalistes aussi présents sur place prouve qu'il ne s'agit pas d'un "pantin". La personne décédée est un Palestinien de 20 ans, Shaaban Al-Dalu.

  • L’instagrammeur relaie aussi un montage photo et plusieurs extraits de vidéos accusant le vidéaste gazaoui. Nous les avons toutes analysées : soit Bob Hasbara les présente sciemment de façon mensongère, soit rien ne permet d’affirmer que ces images sont des mises en scène. 

La vérification en détails : 

"J'ai débunké les fake news du Hamas" : dans une vidéo publiée le 14 octobre, le compte Instagram Bob Hasbara, pro-israélien, a cherché à remettre en cause les images de la frappe israélienne sur l'hôpital Al-Aqsa de la veille. 

Cette frappe, documentée par plusieurs journalistes et civils palestiniens présents sur place, a provoqué un incendie contre des tentes situées autour de l'hôpital. Une des vidéos de la scène, insoutenable et très reprise en ligne, montre une personne en train de brûler vivante.

Homme brûlé à Gaza : pourquoi les accusations de mise en scène ne tiennent pas la route

La victime, un adolescent de vingt ans du nom de Shaaban Al-Dalu, est filmée en train de brûler allongée et prise dans les flammes de l'incendie sous un hangar qui abritait des réfugiés dans la cour de l'hôpital de la ville de Deir al-Balah. 

Mais l'instagrammeur pro-israélien - le terme "Hasbara" renvoie aux stratégies de propagande de l'État d'Israël à destination de l'étranger - prétend que ces images ne seraient en réalité qu'une mise en scène. Ce dernier n'hésite par exemple pas à parler de "pantin" ou de "mannequin" pour désigner la personne brûlée vive.

La raison principale : le fait que cette vidéo ait été filmée par Saleh Al Jafarawi. "Je vous le présente : voilà M. FAFO, la plus grande star de l'industrie pallywoodienne", déclare Bob Hasbara.

Des accusations de Pallywood

Cet instagrammeur gazaoui, aussi surnommé de manière péjorative M.FAFO (qui signifie "Fuck around and find out", qui peut se traduire en français par exemple par l’expression “qui fait le malin tombe dans le ravin”, l’idée que celui qui cherche des ennuis va en avoir), est régulièrement accusé - sans fondement - depuis le 7 octobre 2023 d'être un "acteur Pallywood". 

Pallywood, contraction des mots Palestine et Hollywood, est une expression régulièrement utilisée par des acteurs pro-israéliens pour accuser des Palestiniens de mises en scène de souffrance et de mort, dans des vidéos mises en ligne pour sensibiliser à leur cause.

Cet argumentaire, mobilisé depuis le 7 octobre 2023, prétend, à partir de plusieurs photos et vidéos, qu'Al-Jafarawi aurait mis en scène à plusieurs reprises des situations de mort ou de blessures. Aux yeux de nombreux comptes pro-israéliens, sa seule présence sur les lieux de l'incendie rendrait ainsi l'événement suspect.

"Quand on aura mis bout à bout toutes les vidéos avec trucages maquillages, mise en scène, on découvrira Paliwood" (sic), a annoncé la vice-présidente du Conseil représentatif des institutions juives (CRIF) Nathalie Beizermann, en réaction à la vidéo de Bob Hasbara, dans un post publié le 14 octobre vu plus de 800 000 fois. 

Shaaban Al-Dalu, une victime filmée sous de nombreux angles

Or, plusieurs éléments permettent d’affirmer que la vidéo montrant la personne brûlée vive n’est pas mise en scène en utilisant un "pantin" ou un "mannequin" et qu’elle montre bien un incendie issu de la frappe contre l'hôpital Al-Aqsa, revendiquée par l'armée israélienne le 14 octobre. Le compte spécialisé dans la géolocalisation Abu Location a notamment identifié la zone filmée par Saleh Al-Jafarawi, à quelques pas de l'hôpital.

Par ailleurs, Saleh Al-Jafarawi est loin d'être le seul à avoir filmé ce moment, comme l'a documenté le service CheckNews de Libération dès le 14 octobre. Au moins quatre autres journalistes palestiniens, également présents sur place, ont aussi documenté la scène dans plusieurs vidéos.

Ces images, disponibles sur leurs comptes Instagram respectifs, montrent à différents moments la victime, le corps pris par les flammes, en train d'essayer de bouger les bras. 

C'est le cas notamment de la vidéo prise par le journaliste Hani Abu Rezeq, dans laquelle on voit le corps de la personne, prise dans les flammes, en train d'essayer de bouger. Ou encore celle d'Omar Aldirawi, sur laquelle on distingue clairement le visage de la victime en train de brûler tout en essayant de se protéger. 

Sur la vidéo prise par Saleh Al-Jafarawi, on voit en effet une corde ou un câble qui touche ses bras. Mais une autre séquence, filmée par le journaliste Nahed Hajjaj quelques instants auparavant, montre que la corde ou le câble ne le touche pas à l'origine. L’élément brûle et tombe progressivement sur la victime à cause de l'incendie (voir ci-dessous).

Homme brûlé à Gaza : pourquoi les accusations de mise en scène ne tiennent pas la route

Sur toute la vidéo de Nahed Hajjaj, d'une durée d'une minute trente, la victime, prise dans les flammes est par ailleurs vue en train d'essayer de se mouvoir.

Cette personne brûlée vive a été identifiée dès le 14 octobre : il s'agit de Shaaban Al-Dalu, un Palestinien de 20 ans réfugié avec sa famille dans le camp de réfugiés à côté de l'hôpital. Son frère, présent sur les lieux, et interrogé notamment par Sky News, a raconté avoir "essayé de l'aider", mais ne pas avoir pu s’approcher en raison des flammes. Checknews a aussi fait un article revenant sur le parcours du jeune palestinien 

Par ailleurs, cet incident dramatique n’est pas isolé : une autre vidéo filmée par le journaliste Abdallah Alattar montre deux autres personnes, dont une en feu, en train de s'extirper des flammes.

Le vidéaste gazaoui souvent ciblé

Au vu de ces éléments, pourquoi la seule présence de Saleh Al-Jafarawi sur les lieux provoque-t-elle la suspicion ? Comme l'ont documenté notre rédaction et d'autres services de vérification ces derniers mois, cet internaute gazaoui qui compte cinq millions d'abonnés sur Instagram est l'une des cibles principales des intox concernant les accusations de Pallywood.

Au lendemain de sa vidéo, Bob Hasbara a réitéré ses propos sur X, affirmant que "la présence de Fafo à elle seule suggère plus que probablement une mise en scène grotesque dans un studio en plein air".

Ces derniers jours, la rabbine française Delphine Horvilleur elle-même a remis en cause la véracité des vidéos de Saleh Al Jafarawi. "Merci à ceux qui (contrairement à ce monsieur en photo) s’intéressent à la vérité et cherchent à en rendre compte", a-t-elle écrit sur X au lendemain de l'incendie, relayant un post dénonçant la présence du vidéaste gazaoui à l'hôpital.

Mais ces accusations ne reposent sur aucun élément concret à ce jour, contrairement à ce qu'affirme Bob Hasbara. L’instagrammeur relaie un montage photo et plusieurs extraits de vidéos accusant le vidéaste gazaoui. Nous les avons toutes analysées : soit Bob Hasbara les présente sciemment de façon mensongère, soit rien ne permet d’affirmer que ces images sont des mises en scène. 

Un montage photo contre "M.FAFO" vérifié à de nombreuses reprises

Le photomontage partagé par Bob hasbara dans sa vidéo, censé montrer le vidéaste gazaoui en pleine mise en scène de Pallywood dans neuf situations différentes, ne montre aucune supposée mise en scène de blessure ou de mort de la part d'Al-Jafarawi.

Déjà vérifié à plusieurs reprises par de nombreux médias, dont la rédaction des Observateurs, ce montage mélange en effet plusieurs scènes réelles d'Al-Jafarawi et deux fausses images de lui censées le montrer mort ou blessé.

Homme brûlé à Gaza : pourquoi les accusations de mise en scène ne tiennent pas la route

La rédaction des Observateurs a déjà démontré que ces deux photos ne sont pas des photos d'Al-Jafarawi. L'image censée le montrer dans un lit d'hôpital (avec la légende "resilient patient") est en effet issue d'une vidéo montrant une victime d'un bombardement israélien en juillet 2023, avant la guerre à Gaza.

Celle le décrivant comme un "cadavre ranimé" (revived corpse) vient de son côté d'un site thaïlandais qui avait publié en 2022 des photos d'enfants déguisés pour Halloween. Quant aux autres photos, qui sont pour la plupart issues de son compte Instagram, aucune ne prouve de supposées mises en scène.

Nous n’avons pas pu retrouver l’image le montrant à côté d’un appareil d’imagerie médicale qui circule depuis le début de la guerre, en octobre 2023. Néanmoins, Saleh Al-Jafarawi se filme en train d’aider au début de la guerre dans les hôpitaux. Il s'est notamment filmé avec un bébé le 16 octobre. Il porte sur cette vidéo le même polo que sur la photo et dépose le bébé proche d'un scanner similaire à celui visible sur la photo du montage. Si ces images peuvent montrer que l’homme aime se mettre en valeur, rien ne montre ici qu’il cherche à tronquer la réalité.

Un enchaînement d'images qui ne prouvent rien

Dans sa vidéo, Bob Hasbara diffuse d'autres images censées prouver que Saleh Al-Jafarawi multiplie les mises en scène ou les mensonges. Mais encore une fois, il apparaît que la présentation de ces vidéos par l'influenceur pro-israélien est soit décontextualisée, soit sans fondement. 

Par exemple, le vidéaste est accusé d'avoir visité le Qatar "en plein génocide" alors qu’il est interdit de sortir de Gaza. Mais une recherche sur le compte YouTube d’Al-Jafarawi permet de voir que la vidéo utilisée par Bob Hasbara date d'avant la guerre à Gaza, en janvier 2023. Le Gazaoui était alors au Qatar pour une compétition de ping-pong, comme il l'explique dans la vidéo qu'il avait postée sur YouTube.

Autre exemple, la vidéo, filmée par Al-Jafarawi, qui montre de nombreux blessés en pleine rue, Bob Hasbara soutient qu'un lacet rouge aurait été placé sur le visage d'une fausse victime pour "imiter" du "sang qui coule de sa bouche". Un argument trompeur, qui ne prouve en rien que la scène aurait été truquée.

Homme brûlé à Gaza : pourquoi les accusations de mise en scène ne tiennent pas la route

On peut par ailleurs voir une flaque de sang à côté de la personne au sol. Dans cette séquence, filmée début janvier par le vidéaste gazaoui à Rafah, on peut voir d'autres personnes blessées le long de la route ce jour-là. Au cours de la vidéo, on retrouve la personne blessée, la tête en sang, en train d'être secourue par plusieurs autres. Le lacet rouge, issu de son sweat à capuche, est aussi visible lorsqu'il est transporté.

Les autres images sont un enchaînement d'éléments qui ne prouvent pas non plus à ce jour une volonté de mise en scène pour tronquer la réalité. La photo d'Al-Jafarawi le bras en écharpe est en effet liée à son bref passage à l'hôpital Nassr de Rafah le 15 février 2024, comme le montre une autre vidéo de lui à l'hôpital. 

Même chose pour celle où le vidéaste est vu avec un masque à oxygène sur le visage : la rédaction des Observateurs a retrouvé une première occurence de la vidéo fin octobre 2023, qui le montre dans un hôpital en train de patienter, puis de tester un masque à oxygène. Rien ne prouve qu'il essaye là encore de se mettre en scène pour véhiculer un quelconque message.

Quant à l’extrait d’une vidéo l’accusant de se prendre pour une star de la pop, c’est un clip qu’on retrouve sur sa chaîne YouTube , en date de décembre 2023, dans lequel il se filme au milieu des ruines de Gaza.

Bob Hasbara réplique avec une autre vidéo sans contexte

Dans un post maintenant les propos de sa vidéo publié le lendemain, Bob Hasbara a partagé par ailleurs une autre séquence, censée de nouveau montrer une autre mise en scène de Saleh Al-Jafarawi, les mains en sang en train de filmer une petite fille pleurer face à un corps au sol placé sous un banc.

Rien ne permet de juger de la réalité ou de l’origine du sang sur la main d’Al-Jafarawi. Cependant, cette même scène a été documentée par deux autres vidéos du même endroit prises au même moment. Celle du vidéaste Ahmed Hijazee montre notamment d'autres personnes blessées, ainsi que le corps d'un enfant au sol, gisant dans le sang. La personne filmée sous le banc par Saleh Al-Jafarawi est également visible dans la vidéo, tout comme dans une autre séquence diffusée en ligne à l'époque. Une troisième vidéo montre également Al-Jafarawi aller vers l’hôpital Al-Shifa en portant la petite fille visible dans sa vidéo.

Cette séquence, qui date du 10 novembre 2023, montre une zone située aux alentours de l'hôpital Al-Shifa, alors encerclé par l'armée israélienne et visé par des frappes ce jour-là. Encore une fois, aucun élément ne vient accréditer le fait que cette vidéo aurait été mise en scène.

Les accusations de Pallywood ont repris de l'ampleur depuis octobre, avec notamment la nouvelle offensive de l'armée israélienne dans le nord de Gaza. La rédaction des Observateurs a travaillé à plusieurs reprises sur ces fausses accusations depuis le début du conflit.