La vérification en bref :
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L'armée israélienne a affirmé qu'un bunker du Hezbollah cachant 500 millions de dollars se situait sous l'hôpital Al Sahel, à Beyrouth.
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Par peur d'une attaque, la direction de l’hôpital a évacué le personnel et les patients, et a fait visiter ses locaux et sous-sols à la presse internationale, qui n'a rien trouvé.
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L'armée israélienne soutient que l'entrée du bunker se fait via deux bâtiments adjacents. Plusieurs médias, dont un journaliste de la Deutsche Welle interrogé par les Observateurs, se sont rendus dans un de ces bâtiments mais n'ont trouvé aucune entrée.
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Aucun média ne semble être allé à ce jour visiter l'autre bâtiment, notamment pour des raisons de sécurité.
La vérification en détails :
"Ce soir, je vais déclassifier des informations sur un site que nous n’avons pas attaqué". Dans une déclaration publiée le 21 octobre au soir, le porte-parole de l'armée israélienne Daniel Hagari a déclaré que l'armée avait trouvé le "bunker de Hassan Nasrallah […], où le Hezbollah détient des millions de dollars en or et en liquide.”
"Où se trouve le bunker ? Directement sous l’hôpital Al-Sahel, au cœur de Beyrouth", soutient Hagari, en montrant une modélisation 3D d'un bunker supposément présent sous le bâtiment.
Sur cette modélisation, l'armée affirme que l'entrée et la sortie vers ce bunker se ferait via deux bâtiments adjacents situés aux alentours de l'hôpital : le centre "Al-Sahel" au nord et le bâtiment "Al-Ahmedi" au sud.
Si l'armée a précisé ne pas avoir pour objectif de cibler l'hôpital, Daniel Hagari a affirmé que l’armée avait déjà détruit plus d'une dizaine de sites qui feraient partie du "réseau financier du Hezbollah", au même titre que ce bunker.
"Nous ne permettrons pas au Hezbollah d’utiliser cet argent à des fins terroristes", soutient de son côté le porte-parole arabophone de l'armée Avichay Adraee, qui précise que "des avions de l’armée de l’air surveillent actuellement le complexe et continueront de le suivre".
Une visite par les médias des sous-sols de l'hôpital
Quel crédit accorder à ces affirmations ? Quatre jours après cette annonce et malgré les recherches de nombreux médias, aucun élément ne vient corroborer la version israélienne à ce jour - même si ces recherches s'avèrent à ce jour encore partielles.
Qu'ont pu observer les médias ? Au lendemain de ces déclarations, la direction de l'hôpital a organisé une visite pour les médias locaux et internationaux.
L'objectif : prouver qu'aucun bunker ne se situait sous l'hôpital. La veille, l'hôpital avait également été évacué pour prévenir toute attaque israélienne. "Nous ne pouvons pas risquer la vie de qui que ce soit. Nous ne pouvons pas considérer comme acquis le fait qu'ils (Israël) ne bombarderont pas", avait déclaré le Dr Mazen Alameh, directeur de l'hôpital, à la BBC le 22 octobre.
"Inspectez par vous-même : il n'y a rien ici qui ressemble à des bunkers, des tunnels ou quoi que ce soit d'autre", a déclaré le directeur de l'hôpital Mazen Alameh, auprès de la presse présente dans le bâtiment.
Les nombreuses images filmées par l'ensemble des médias présents sur place - plusieurs dizaines - montrent en effet un hôpital désormais dépourvu de patients sans éléments suspects.
Plusieurs médias sont descendus jusqu'au dernier niveau des sous-sols (le niveau -2) de l'hôpital pour vérifier par eux-mêmes qu'aucun bunker n'était accessible depuis l'hôpital. "Les médecins ont tenu à nous montrer tout ce qu'il y avait à voir et à prouver qu'il n'y a rien ici", indique la journaliste Orla Guerin de la BBC, dans son reportage filmant le niveau -2 qui a depuis beaucoup circulé en ligne.
Un constat également fait par l'envoyée spéciale de France 24 à Beyrouth Catherine Norris-Trent, qui a confirmé à la rédaction des Observateurs qu'aucun élément suspect n'avait été trouvé au sein de l'hôpital lors de cette visite.
Deux bâtiments adjacents considérés par l'armée comme des entrées
Depuis, l'armée israélienne déclare que cette visite de médias ne prouve pas la non-présence du bunker, rappelant avoir annoncé dès le départ que l'entrée de l'abri se situait dans deux bâtiments adjacents.
S'adressant directement aux journalistes sur place, Avichay Adraee a même déclaré dans un post publié au moment-même où la presse visitait l'hôpital : "Rendez-vous dans les endroits spécifiques que nous avons révélés et ne perdez pas votre temps en pièces de théâtre à l'intérieur des services médicaux. [...] L'entrée et la sortie sont dans l'immeuble Al-Ahmadi et le centre Al-Sahel."
Un autre porte-parole de l'armée, Nadav Shoshani, a même entouré le centre Al-Sahel, où est censé se situer l'entrée, dans un post publié sur X le 23 octobre. "Un conseil : d'après les informations des services de renseignement, l'entrée du bunker se trouve dans ce bâtiment situé à l'est du niveau souterrain", a-t-il déclaré, précisant qu'il se situait au niveau-2.
Le centre Al-Sahel inspecté par plusieurs médias
Interrogé à ce sujet par Catherine Norris-Trent France 24, Mazen Alameh a déclaré que ces bâtiments étaient "des bâtiments adjacents privés, sur lesquels nous ne savons rien. Nous n'avons aucun lien avec eux".
Si France 24 n'a pas pu se rendre dans ces bâtiments, la rédaction des Observateurs a contacté le 25 octobre le journaliste du média allemand Deutsche Welle Mohamad Chreyteh.
Le reporter a filmé sa visite le 22 octobre du parking en sous-sol sous le centre Al-Sahel, situé au nord de l'hôpital.
Ce jour-là, la chaîne libanaise LBCI avait affirmé que des agents de sécurité les avaient empêchés d'accéder au bâtiment, fermé par une chaîne. Une preuve que "les voyous terroristes du Hezbollah empêchent les journalistes du Hezbollah de révéler la vérité", selon l'armée israélienne dans un post publié le 22 octobre.
Interrogé sur la porte fermée mentionnée par LBCI, Mohamad Chreyteh confirme, comme on le voit aussi dans son reportage, que "l'entrée principale du bâtiment était fermée" le 22 octobre. "Mais le parking situé en dessous était ouvert".
"Il y avait quelques personnes dans la zone, dont des agents de sécurité. Mais personne ne nous a demandé de nous éloigner ou de ne pas aller dans le parking", décrit-t-il. "On peut clairement voir dans notre reportage que nous avions libre accès au parking", précise-t-il également. Dans sa vidéo, on voit par ailleurs d'autres personnes également présentes dans le sous-sol.
Lors de sa visite du parking, Mohamed Chreyteh indique n'avoir vu aucun élément "suspect". Il précise qu'un ascenseur situé dans le parking ne fonctionnait pas, mais que les escaliers disposés à côté ne permettaient pas d'aller plus bas que le parking, situé au -1. Il précise par ailleurs que le sous-sol couvre l'ensemble de la superficie du bâtiment.
L'entrée principale du bâtiment sera finalement ouverte dès le lendemain par l'un des propriétaires de l'immeuble, explique Mohamad Chreyteh, et comme il est possible de le voir dans d'autres reportages réalisés le 23 octobre, par la chaîne d'Etat russe Russia Today ou le média libanais l'Orient Le Jour. Sans qu'aucun élément nouveau n'émerge.
Le second "bâtiment d'entrée" encore non inspecté
A ce jour, aucune des visites, encouragées notamment par l'armée israélienne, n'a donc débouché sur la découverte d'un tel bunker. "Le Hezbollah ne veut pas que vous trouviez l'argent, il est donc probable qu'il bloque et cache l'entrée du bunker de différentes manières, peut-être en construisant des murs pour masquer les entrées du bunker, qui contient un demi-milliard de dollars en or et en espèces", a soutenu de son côté Nadav Shoshani le 23 octobre.
Le bâtiment Al-Ahmedi, également accusé par l'armée israélienne d'être un point d'entrée vers le bunker, ne semble toutefois pas avoir été inspecté par des journalistes depuis le 21 octobre.
Interrogé sur ce point, Mohamad Chreyteh rappelle que la sécurité des journalistes n'est pas assurée à Beyrouth dans certains quartiers. "Ce bâtiment est plus profond à l'intérieur du quartier de Dahieh", indique-t-il, rappelant que cette zone est régulièrement bombardée par l'armée israélienne depuis fin septembre.
Le journaliste rappelle que toute la zone autour de l'hôpital "est visée", affirmant que l'on peut voir "des éclats de verre à l'intérieur-même de l'hôpital".
L'hôpital Al-Sahel toujours évacué
L'hôpital Al-Sahel, considéré comme l'un des plus importants de la ville, est à ce jour toujours évacué à la suite de l'annonce de l'armée israélienne.
Depuis le début des frappes israéliennes contre Beyrouth fin septembre, plusieurs hôpitaux de la ville ont dû être au moins partiellement évacués à la suite de bombardements.
Dans une déclaration publiée le 16 octobre, l'Organisation mondiale de la santé a également déploré la fermeture de 100 centres de soins sur les 207 centres situés dans les zones de conflit au Liban depuis le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque du Hamas en Israël.
Selon le ministre libanais de la santé, Firas Abiad mi-octobre, 150 professionnels de santé ont été tués par des bombardements israéliens.