Alors que les dettes publiques des États explosent à cause de la pandémie, l'Europe planche sur un plan de relance global. Si un principe de solidarité semble aujourd'hui privilégié, les modalités d’attribution des aides et les montants suscitent des interrogations.
L'Union européenne unie face à la crise du coronavirus ? Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proposé, lundi 18 mai, un plan de 500 milliards d'euros, alloué aux régions les plus touchées sans qu'elles n'aient de "prêts à rembourser".
Ce plan s'ajouterait à l'investissement du même montant, mis en place en avril par les ministres des Finances de la zone euro pour soutenir l'emploi et les entreprises. Le Parlement européen plaide de son côté pour que le plan de relance global atteigne les 2 000 milliards d'euros.
Les instances européennes s'accordent donc à dire que la nécessité d'une action commune et solidaire est primordiale. Pourtant, les vieux clivages économiques entre États du Sud et du Nord sont toujours présents et plusieurs points posent problème.
Un plan européen… dans quel but ?
Durement frappés par la crise du coronavirus, les États européens se voient dans l'obligation de lancer des plans d'urgence pour sauver leurs économies. Après avoir annoncé des mesures pour le tourisme et la restauration, le gouvernement français planche sur un plan d'aide aux secteurs de l'automobile et de l'aéronautique estimant que plus d'un milliard d'euros est nécessaire. De son côté, l'Allemagne a annoncé un plan d'aide aux entreprises, de 1 100 milliards d'euros.
Avec ces investissements massifs, les pays creusent leurs dettes nationales. Pour les aider, la Commission européenne a suspendu, le 20 mars 2020, les règles de discipline budgétaire, leur permettant ainsi de dépenser autant que nécessaire pour combattre la pandémie.
Mais alors, quel rôle doit jouer le plan de relance ? Le ministère français de l'Économie affirmait mi-avril qu'une réponse européenne était nécessaire car plus efficace pour "permettre la reprise rapide de l'économie". L'idée est de constituer un fonds à l'échelle européenne basé sur l'emprunt pour garantir de la liquidité aux États qui en ont besoin et ainsi éviter que les économies les plus fragiles ne s'enfoncent dans la crise. Chaque pays garde sa dette propre, mais l'effort contre le coronavirus est mutualisé pour plus d'efficacité et de coordination.
Ces mesures doivent être financées par des emprunts effectués sur les marchés financiers auprès des organismes préteurs que sont les banques, les assurances ou bien encore les fonds de pension. Si l'Union européenne est redevable de cette dette, son remboursement n'est pas pour tout de suite. Les échéances s'étaleront sur le long terme pour favoriser la reprise. Intégré au budget de l'UE, ce plan de relance devrait être présenté par la Commission européenne fin mai.
Fonds directs ou prêts
Deux options sont privilégiées : allouer des fonds directs (autrement dit, des subventions) aux pays les plus atteints ou des prêts à rembourser.
La première proposition, favorisée par les chefs d'États français et allemand vise à emprunter pour investir de manière ciblée dans les secteurs et régions les plus en difficulté. Il s'agirait non pas de "prêts à rembourser" par les bénéficiaires, selon Emmanuel Macron mais "de dotations budgétaires sur la base de l'endettement commun". Sur le papier, cette option semble plus favorable aux pays durement affectés par le Covid-19, comme l'Espagne ou l'Italie.
Mais Emmanuel Macron suggère que cet investissement soit remboursé par les États "en fonction de leur poids dans le budget". Une méthode de calcul qui pourrait se révéler contre-productive, selon Fréderic Farah, économiste et chercheur enseignant à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, interrogé par France 24 : "L'Italie représente 9 % du budget européen alors que les Pays-Bas ne pèsent que 2,4 %. L'Italie, plus touchée devra donc payer plus, il faudrait trouver une autre méthode de calcul".
La seconde option, celle des prêts, est celle à laquelle ont eu recours les ministres des Finances de la zone euro pour un plan de 500 milliards destiné notamment aux entreprises.
Les États en difficulté devront payer des intérêts. Mais ils seront plus faibles qu'à l'accoutumée car ils bénéficieront de taux obtenus à l'échelle européenne et garantis par l'UE. Si cette option est beaucoup moins avantageuse que les fonds directs, elle demeure pertinente selon Fréderic Farah : "Si on prend l'exemple de l'Italie, son économie fonctionne mais elle est plombée par les intérêts de la dette qui pèsent sur ses épaules. Pour réduire son déficit, elle a dû faire des coupes drastiques sur les services publics et notamment l'hôpital. Avec la crise du Covid-19 il lui faut aujourd'hui pouvoir investir massivement, dans la santé notamment, dans les meilleurs conditions possibles".
La possibilité d'obtenir des taux préférentiels représente un coup de pouce pour les pays durement frappés par la crise. Pourtant cette manœuvre ne fait pas l'unanimité au sein de l'Union européenne. "Les États les plus rigoristes en matière budgétaire comme l'Allemagne ou les Pays-Bas craignent que des pays plus endettés comme l'Espagne ou l'Italie utilisent cette facilité d'emprunt pour boucher les trous de leur déficit", explique Fréderic Farah.
Il faut dire qu'à ce stade, le contour des dépenses autorisées dans le cadre du fonds européen reste à préciser. Selon le Parlement européen, le fonds de relance doit "être orientés vers les investissements d'avenir" dont "le pacte vert européen et la transition numérique".
"L'UE a été fondée sur la compétitivité, bien plus que la solidarité"
Les chiffres avancés semblent énormes. Mais le plan de 500 milliards présenté par la chancelière allemande comme un "effort colossal", est-il à la hauteur de la crise du Covid-19 ? Indiscutablement non pour Remi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l'Iris, contacté par France 24 : "Une relance économique basée sur la solidarité est la piste à suivre aujourd'hui, encore faut-il qu'elle corresponde aux enjeux. Cette enveloppe pourrait convenir pour une crise de moindre ampleur, localisée, mais certainement pas pour remettre l'Union européenne sur les rails économiques".
Selon Emmanuel Macron, ce budget de 500 milliards viendrait "compléter le budget européen" sur la période 2021-2027. Hors, à titre de comparaison, le plan de relance approuvé par le gouvernement italien pour soutenir sa propre économie s'élève déjà à 750 milliards.
Malgré les annonces, la frilosité semble donc toujours de mise. "Il doit y avoir une solidarité, certes, vis-à-vis des pays les plus durement touchés par le Covid-19, mais il faut aussi être responsable. Jeter de l'argent par les fenêtres n'est jamais une solution" affirmait le président de la commission du budget du Parlement européen Johan Van Overtveldt, le 12 mai dernier.
Mais pour Fréderic Farah, les débats autour des plans de relance constituent, avant tout, un écran de fumée : "L'Europe n'a pas les moyens de fédérer. Son budget représente 1 % de la richesse globale de l'Union. Il faudrait qu'il soit à 20 % pour pouvoir agir comme un État fédéral. L'Union a été fondée sur la compétitivité bien plus que sur la solidarité. Faute de repenser ses fondements, elle est condamnée à bricoler éternellement pour continuer à avancer".