
Lors de son allocution au sujet du Covid-19, jeudi soir, le président de la République a vanté les mérites de l’hôpital public et de l’État-providence, promettant des "décisions de rupture" avec le modèle actuel. Un discours à contre-courant de la politique menée depuis trois ans.
Mobilisés depuis un an pour protester contre la dégradation de l’hôpital public, les personnels hospitaliers n’en ont pas cru leurs oreilles. Face à "la plus grave crise sanitaire qu’ait connu la France depuis un siècle", selon ses termes, Emmanuel Macron a fait l’éloge, jeudi 12 mars, de l’État-providence et, plus particulièrement, de l’hôpital public.
"Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite, sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe", a-t-il affirmé.
"Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché", a ajouté le chef de l'État, estimant nécessaire "des décisions de rupture" pour "reprendre le contrôle" sur "notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner" et "notre cadre de vie".

Des paroles fortes dans un moment de crise, mais un discours qui contredit l'action du président de la République depuis le début de son mandat, selon les personnels soignants.
"On ne peut pas faire semblant de découvrir que l’hôpital public est un bien commun et dire qu’on va le sauver alors que cela fait dix ans qu’on fait l’inverse, et en particulier ces trois dernières années", pointe le professeur André Grimaldi, diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, contacté par France 24.
Un discours qui rappelle celui de Nicolas Sarkozy en 2008
Avec Anne Gervais Hasenknopf, médecin à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), et Olivier Milleron, médecin cardiologue à l’hôpital Bichat à Paris, André Grimaldi a publié le 11 mars une tribune dans Le Monde, dans laquelle les trois médecins dénoncent, dans le contexte de pandémie de Covid-19, "l’aberration" de "l’hôpital de flux", un concept "où pas un lit ne doit être libre, car c’est du 'manque à gagner' à l’ère de la tarification à l’activité (T2A)".
"On sait que le système de santé a été abîmé et en face il n’y a pas vraiment eu de réponse, regrette le professeur Grimaldi. L’expression 'reprendre le contrôle' est d’ailleurs un aveu d’échec, car depuis trois ans, rien n’a été fait pour reprendre le contrôle. Au contraire, la logique marchande a toujours été là et la T2A n’a jamais été remise en cause. Pour être crédible, il aurait fallu que le président annonce dès hier un rectificatif budgétaire pour l’hôpital et aussi une augmentation des rémunérations, notamment des infirmières. Mais chez Emmanuel Macron, il y a toujours une discordance entre les mots et les actes."
Le discours de jeudi soir rappelle en effet des critiques de la mondialisation déjà entendues ces derniers mois dans la bouche du président Macron ou même de son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Affirmer l’importance de la nation protectrice en temps de crise est également un procédé bien connu.
En septembre 2008, alors que la crise financière explosait, Nicolas Sarkozy dénonçait ainsi "les dumpings, les délocalisations, les dérives de la finance globale, les risques écologiques, l’épuisement annoncé des ressources naturelles, les émeutes de la faim". "Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir", ajoutait le président français d’alors.
"Le danger d’Emmanuel Macron, c’est l’inflation verbale"
"Comme avec Nicolas Sarkozy, on est dans le story-telling", regrette David Cayla, enseignant-chercheur en économie à l’université d’Angers, membre des Économistes atterrés, contacté par France 24. "Car si on regarde dans le détail les actes : Emmanuel Macron a annoncé de l’argent pour les entreprises, mais rien pour l’hôpital, rien pour les soignants, rien pour les chômeurs."
Le gouvernement a déclenché le "plan blanc maximal", ordonnant aux hôpitaux et cliniques d'annuler toute chirurgie non urgente pour accueillir le maximum de malades du coronavirus. Ils disposeront pour cela de "tous les moyens financiers nécessaires", a promis Emmanuel Macron, sans toutefois annoncer la création de lits supplémentaires.
Du côté des salariés, les mesures annoncées sur le chômage partiel devraient permettre d’éviter une vague de licenciements. Mais les "permittents", ces travailleurs qui alternent contrats courts et périodes de chômage, ne sont pas concernés. En revanche, ils seront directement touchés par la réforme de l’assurance-chômage, censée entrer en vigueur le 1er avril, et qui doit considérablement durcir le calcul de leurs indemnités. Les syndicats réclament depuis plusieurs jours le report de la réforme. Une réunion était prévue vendredi après-midi à l’Élysée à ce sujet pour des décisions la semaine prochaine, selon la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.
Nouvelles mesures de l’assurance chômage : "Il faut y renoncer (…) ça va être extrêmement brutal pour tout un tas de travailleurs", explique Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT pic.twitter.com/x1cRNbGrV7
— franceinfo (@franceinfo) March 11, 2020Une éventuelle suspension de la réforme de l’assurance-chômage sera-t-elle le signe d’une inflexion à gauche de la politique d’Emmanuel Macron pour les deux années à venir et de sa volonté de "reprendre le contrôle" sur les services publics ?
"Je suis quand même très sceptique. Ses mots sont tellement grandiloquents qu’ils semblent perdre leur sens. Reprendre le contrôle sur notre alimentation, ça veut dire quoi ? Appeler à un plan de relance coordonné au niveau européen, est-ce crédible quand on connaît les divergences au sein des pays membres ? Tout ça n’est pas sérieux", répond l’économiste David Cayla.
"Le danger d’Emmanuel Macron, c’est l’inflation verbale, le culte du beau discours, persifle le professeur André Grimaldi. En théâtre, on appelle ça 'surjouer'. Or, quand il parle des ‘héros en blouse blanche’, il surjoue et cela ne passe pas au sein de la profession. Ce que l’on veut, ce sont des actes concrets."