Dans la guerre au Yémen, un nouveau front s’est ouvert à Aden, où s’opposent depuis plusieurs semaines forces gouvernementales et séparatistes. Supposément alliés de Riyad, les Émirats arabes unis sont accusés d’aider les séparatistes.
Combien de temps encore la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen contre les Houthis tiendra-t-elle ? Engagés depuis 2015 pour rétablir le président Abd Rabbo Mansour Hadi au pouvoir, les Émirats arabes unis sont désormais accusés par le gouvernement yéménite en exil d’aider les séparatistes à Aden face aux forces gouvernementales.
Depuis début août, un nouveau front s'est en effet ouvert : des combats opposent les forces gouvernementales et les séparatistes voulant l'indépendance du sud du Yémen, qui ont pris le contrôle d'Aden, devenue "capitale provisoire" du pouvoir après la prise de Sanaa par les Houthis en 2014.
Les Émirats ont confirmé, vendredi 30 août, avoir mené la semaine précédente des raids aériens contre des cibles à Aden, mais ont dit avoir visé des "milices terroristes" et agi en "légitime défense". De son côté, le gouvernement yéménite a rejeté vendredi "les fausses justifications données par les Émirats arabes unis pour dissimuler leurs attaques flagrantes contre les forces armées nationales" et en appelle à l’Arabie saoudite pour maintenir la coalition unie.
Selon Gilles Gauthier, ancien ambassadeur de France au Yémen interrogé par France 24, la situation actuelle à Aden est en réalité la conséquence des objectifs différents poursuivis depuis le début du conflit par Riyad et Abu Dhabi.
France 24 : Les Émirats arabes unis sont l’un des piliers de la coalition militaire commandée par l’Arabie saoudite, qui soutient depuis 2015 le gouvernement yéménite face aux Houthis. Pourquoi s’engagent-ils avec les séparatistes dans la bataille d’Aden ?
Gilles Gauthier : Ils s’y engagent car les Saoudiens et les Émiratis n’ont jamais eu le même objectif au Yémen. Lorsque la coalition a été mise sur pied pour contrer l’avancée des Houthis, il y avait un front commun avec, en théorie, la volonté de rétablir le gouvernement légitime. Mais en réalité, ces deux pays voisins du Yémen poursuivent deux agendas très différents : l’Arabie saoudite, en voulant écraser les Houthis, veut s’affirmer comme la puissance régionale face à l’Iran ; les Émirats arabes unis, eux, poursuivent un objectif territorial et veulent couper le Yémen en deux pour retrouver la carte d’avant la réunification de 1990, avec un Yémen-Nord et un Yémen-Sud.
Quelle a été la stratégie des Émirats arabes unis pour ce faire ?
Les Émiratis ont laissé les Saoudiens s’occuper du nord du Yémen et ont concentré leurs propres efforts dans le sud du pays. C’est une région où il y avait déjà une tendance autonomiste chez une bonne partie de la population qui n’a pas accepté la réunification et où se trouvent par ailleurs des terroristes islamistes, ce qui ajoute à la complexité des rapports de force. Depuis le début du conflit, les Émirats appuient les séparatistes de façon plus ou moins discrète mais en tout cas avec une grande efficacité. Contrairement aux Saoudiens qui se contentent, au nord, de frappes aériennes, les Émiratis ont envoyé des troupes au sol. Et ça fonctionne : leur objectif est presque atteint puisque le sud du Yémen est aujourd’hui plus ou moins sous contrôle des Émirats.
Le président yéménite, Abd Rabbo Mansour Hadi, qui vit en exil à Riyad, a appelé l’Arabie saoudite à intervenir, mais les Saoudiens n’ont pas réagi. Pourquoi ?
Le prince héritier Mohammed Ben Salmane a voulu affirmer sa puissance en écrasant le Yémen, mais il est aujourd’hui embarrassé. Comment sortir d’une guerre quand on ne l’a pas gagnée ? C’est difficile. L’Arabie saoudite n’a pas les moyens militaires de se fâcher avec les Émirats arabes unis, donc ils sont contraints de discuter, d’essayer de trouver une solution diplomatique. Riyad a d’ailleurs proposé un dialogue entre les deux camps dès le début des affrontements à Aden le 10 août, mais aucune discussion n’a eu lieu depuis.
Ce qui est étonnant, c’est que la communauté internationale ne profite pas d’un moment comme celui-ci. À l’heure actuelle, tout le monde est embêté : les Saoudiens perdent la face, les Houthis savent bien qu’ils ne vont pas reconquérir tout le Yémen, le gouvernement perd chaque jour un peu de terrain. Il y a actuellement une vraie opportunité pour régler la situation au Yémen en réunissant tout le monde autour d’une table.