Alors que la présidente de la Cour d'appel de Libreville, qui devait se pencher lundi sur une demande d'expertise médicale visant le président Ali Bongo, a été suspendue de ses fonctions, un journaliste de RFI s'est vu retirer son accréditation.
Au Gabon, il n’est pas aisé d’évoquer l’état de santé d’Ali Bongo au risque de susciter l’ire de la Haute autorité de la communication (HAC). Même les médias internationaux sont concernés. Jeudi 22 août, l’autorité de régulation des médias a suspendu pour deux mois l’accréditation du correspondant de Radio France Internationale (RFI), Yves-Laurent Goma, jugeant “mensonger” un reportage publié samedi 17 août sur le site internet de la radio française qui mettait en cause, selon elle, “l’intégrité physique” du chef de l’État gabonais.
Dans son reportage relatant la cérémonie de la Fête de l’indépendance à Libreville, le 17 août dernier, Yves-Laurent Goma écrit notamment : "Le président de la République ne s'est à aucun moment levé comme autrefois pour saluer les troupes de l'armée". La HAC a aussitôt dénoncé des "informations inexactes avec insinuation malveillante (...)”. Le président, "conformément aux directives du protocole d'État, s'est levé chaque fois que nécessaire", poursuit le texte de la décision.
Sur les vidéos faites du défilé militaire, on voit le président gabonais saluer la foule depuis un véhicule militaire. Il s’arrête ensuite pour écouter l’hymne national mais ne passe pas en revue les troupes. La veille, des caméras de médias internationaux l’avaient filmé lors d’une cérémonie commémorative à Libreville, marchant sur un tapis rouge à l’aide d’une canne et traînant son pied droit.
Ali Bongo faisait sa première apparition publique depuis son accident vasculaire cérébral (AVC), survenu en octobre 2018 à Ryad, en Arabie saoudite, où il devait participer à un forum économique sur l’investissement.
Liberté d’information
Dans un communiqué sur son site internet, la direction de RFI, “attachée à la liberté d’information”, a vivement déploré la décision visant son correspondant et a souhaité qu’il retrouve “au plus vite son autorisation de travail afin qu'il continue de couvrir l'actualité gabonaise, comme il le fait sans discontinuer depuis 17 ans".
Yves-Laurent Goma a travaillé en toute bonne foi. @RFI est attachée à la liberté de l'information et souhaite que son correspondant retrouve au plus vite son autorisation de travail. https://t.co/c77meoHJLn
Cécile Mégie (@CecileMegie) August 23, 2019RFI n’est pas le seul média à avoir été censuré au Gabon. La HAC a également suspendu pour trois mois l’un des principaux sites privés d’information en ligne du pays, Gabon Review, lui reprochant d’avoir nui à l’image de l’institution “par des insinuations malveillantes” dans un article publié début août.
"Les médias qui osent critiquer le président ou ses proches s'exposent à des sanctions presque systématiques", avait estimé fin juin l'organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières (RSF).
Depuis dix mois, l’état de santé d’Ali Bongo, 60 ans, réélu en août 2016 à la suite d’une élection controversée, fait objet de vives polémiques. L'automne dernier, alors qu’il était en convalescence au Maroc sur invitation du roi Mohammed VI, l’opposition avait réclamé qu’une vacance du pouvoir soit reconnue. Peu après, en janvier, le président gabonais avait manqué de se faire renverser après une tentative de coup d’État menée par une dizaines de soldats de la Garde républicaine, et rapidement déjouée par les forces de sécurité.
De retour à Libreville en février, des vidéos de lui filmées par des proches au palais présidentiel n’ont pas rassuré l’opinion publique. Le débat sur son aptitude à assumer les fonctions présidentielles a donc été relancé en mars 2019 par le collectif “Appel à agir”, qui regroupe des leaders de l’opposition et de la société civile.
Expertise médicale
Le collectif a déposé une requête devant la justice demandant une expertise médicale sur l’état de santé du président gabonais. Requête déboutée en première instance en mai, le tribunal estimait que seule la Cour constitutionnelle saisie par le gouvernement, ou les deux chambres du Parlement, peuvent constater l’empêchement du président à gouverner. Mais la requête a finalement été jugée recevable par la Cour d’appel de Libreville, qui doit statuer sur le fond de la demande le 26 août.
Sauf qu’il y a quelques jours, la magistrate qui devait s’en charger a été suspendue de ses fonctions jusqu'au 30 septembre pour “manquement aux convenances de son état de magistrat, à l’honneur, à la délicatesse ou la dignité”. Le ministère de l’intérieur et de la justice reproche notamment à Paulette Ayo Akolly d’avoir fait fi de l’injonction de la Cour de cassation lui intimant, le 12 août dernier, de se désaisir de l'affaire le temps que la Cour de cassation juge si la Cour d'appel était compétente ou non en la matière.
“Nous sommes choqués par cette décision du ministère de l’intérieur et de la justice, mais pas surpris" a affirmé Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, membre du collectif citoyen Appel à agir sur France 24. Paulette Ayo Akolly "n’a pas ordonné une expertise médicale, elle a simplement dit que nous avions raison de poser la question. Même cela ne peut pas être accepté”.
Pour Ange Kevin Nizgou, membre du collectif “Appel à agir” à l’origine de la requête, “l'objectif d'Ali Bongo est d'empêcher à tout prix cette audience" sur l'expertise médicale. L'audience du 26 août n'a pas été annulée, même si le nom du remplaçant de Paulette Ayo Akolly n'a pas été annoncé.