Le délai accordé par l'UE au Royaume-Uni pour sortir de l'Union oblige ce dernier à participer aux élections européennes de mai. Un impératif juridique, mais un contresens politique, expliquent plusieurs spécialistes des institutions européennes.
L'hypothèse était encore improbable il y a encore quelques semaines. Pourtant, le 23 mai, le Royaume-Uni devrait bien participer aux élections européennes, malgré une sortie de l'UE toujours imminente. Cette participation, si elle est juridiquement obligatoire – tant que les sujets de la Couronne n'auront pas accompli officiellement leur Brexit –, n'est pas sans causer quelques incompréhensions devant l'absurdité de la situation.
"Il y a toujours une petite chance que le Parlement britannique vote un accord sur le Brexit avant le 22 mai et, dans ce cas, les élections n'auraient pas lieu. Mais ce n'est plus le scénario probable", estime Thierry Chopin, professeur de science politique à l’université catholique de Lille (Espol), interrogé par France 24.
En juin 2018, le Conseil européen avait adopté une réforme du nombre d'élus pour anticiper le Brexit. Lors des élections 2019, une partie des 73 places qui devaient être libérées par le départ du Royaume-Uni devaient être supprimés ou attribués à d'autres États membres. La France et l’Espagne étaient les grands gagnants, puisqu'ils devaient récupérer cinq eurodéputés supplémentaires. L’Italie et les Pays-Bas en auraient obtenu trois et l’Irlande deux. Neuf autres pays auraient gagné un élu.
Seulement, le report du Brexit annoncé le 12 avril a chamboulé les plans des institutions européennes. Du côté du Parlement européen, on assure que le scénario avait été anticipé : "La décision du Conseil européen de juin 2018 est claire. Elle prévoit que si le Royaume-Uni n'a pas quitté l'Union européenne lors des élections, alors il doit y participer. S'il n'y a pas de Brexit, il y aura donc 751 députés européens comme actuellement à l'issue du scrutin", explique une porte-parole du Parlement à France 24.
Et lorsque le Brexit interviendra, s'il intervient ? "En cas de retrait du Royaume-Uni, la décision du Conseil européen prévoit que le Parlement passera comme initialement prévu à 705 élus. Une partie des sièges britanniques seraient alors redistribués", continue la porte-parole. "Les nouveaux élus des États qui récupèreront des sièges seront simplement les suivants sur la liste selon le mode de scrutin. C'est aux État-membres de prévoir ce scénario."
Une situation absurde
"C'est ubuesque", estime Sabine Saurugger, professeure de sciences politiques à Sciences Po Grenoble et spécialiste des institutions de l'UE, interrogée par France 24. "Un pays qui veut partir est obligé de se préparer aux élections européennes."
"La situation est juridiquement obligatoire. Le Royaume-Uni est un État membre de plein droit, donc il doit être représenté au sein des institutions. Politiquement, en revanche, c'est absurde", explique Thierry Chopin. "Les Britanniques savent qu'ils vont partir en cours de mandat… Ou pas ! On n'est plus sûr de rien à propos du Brexit. C'est pour cela qu'il est nécessaire que le Royaume-Uni ait des élus dans le cas où la sortie s'éterniserait."
Parmi les partis français qui préparent les prochaines échéances électorales, on grince des dents à l'idée de voir des députés britanniques arriver pour une nouvelle mandature : "Nous regrettons profondément la sortie du Royaume-Uni, mais les électeurs ont fait leur choix et maintenant il faut que les Britanniques partent. Ils ont ralenti la construction européenne et il faudrait qu'ils arrêtent de la ralentir encore avec ce départ qui dure", estime-t-on du côté d'Europe Écologie-Les Verts. "La situation est irréaliste. Être élu au Parlement, c'est travailler dans l'intérêt général pour la construction européenne, c'est incompatible avec une sortie prochaine."
Les Verts ne sont pas les seuls à trouver la participation des Britanniques aux européennes absurde. La tête de liste du Rassemblement national, Jordan Bardella, juge "un peu ridicule que la Grande-Bretagne participe aux élections européennes si c'est pour en sortir dans quelques mois seulement". Même son de cloche dans la majorité présidentielle puisque le député Jean-Louis Bourlanges (MoDem), qui a longtemps siégé au Parlement européen, qualifie "d'extravagant" le nouveau report alors que les partisans du Brexit ont aussi promis de "pourrir" la vie de l'UE s'ils pouvaient à nouveau avoir des députés à Bruxelles.
Un scrutin pourtant pris au sérieux au Royaume-Uni
"La situation est étrange pour le Royaume-Uni", concède Sabine Saurugger. "On manie trois dossiers en même temps : on continue de chercher la solution pour l'accord de sortie avec des négociations entre le Labour et les Tories. On se prépare à l'éventualité d'un 'no-deal Brexit' et en même temps on prépare des élections."
"Toutefois, l'élection reste prise très au sérieux, puisqu'il y a tout de même eu la création de deux nouveaux partis", rappelle Sabine Saurugger. D'un côté, le "parti du Brexit" lancé par Nigel Farage, qui fut l'un des architectes de la victoire des partisans d'une sortie de l'UE au référendum de juin 2016 et qui veut s'assurer que celui-ci aura bien lieu. De l'autre, "Change UK", constitué d'anciens du Labour et des Tories, qui veut obtenir un second référendum et empêcher la concrétisation du divorce.
Pour Simon Usherwood, professeur de sciences politiques à l'université de Surrey, ces élections européennes au Royaume-Uni s'annoncent comme un "référendum par procuration" où l'enjeu européen sera éclipsé par l'enjeu de politique intérieure qu'est devenu le Brexit. Et tant pis une fois de plus pour l'Europe.