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De Christchurch aux identitaires autrichiens : Vienne dans l’embarras

Le tireur de Christchurch en Nouvelle-Zélande avait versé 1 500 euros à Martin Sellner, un extrémiste autrichien et figure centrale de la mouvance identitaire, qui a longtemps bénéficié de la bienveillance du vice-Premier ministre autrichien.

L'onde de choc du massacre de Christchurch a frappé l'Autriche de plein fouet. Le petit pays alpin a découvert avec stupeur, lundi 25 mars, que l'Australien qui avait tué 50 musulmans lors d'une attaque contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande le 15 mars avait fait un don de 1 500 euros à Martin Sellner, le fondateur du Mouvement identitaire autrichien, l'Identitäre Bewegung Österreich (IBÖ).

Sebastian Kurz, le Premier ministre autrichien, s'est voulu ferme, indiquant qu'il n'excluait pas d'interdire ce groupe d'extrême-droite à la lumière de cette révélation, mercredi 28 mars. Mais cette découverte déstabilise le pouvoir en place, car elle ravive la polémique autour des liens entre le Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ, membre de la coalition en place) et le Mouvement identitaire autrichien, l'un des plus puissants et des mieux organisés d'Europe.

Identitaire "bon chic, bon genre"

Martin Sellner a reconnu avoir reçu l'argent dans une vidéo postée sur YouTube, tout en signalant qu'il "n'avait rien à voir" avec l'attentat perpétré en Nouvelle-Zélande. Ce lien avec le tireur australien n'en fissure pas moins l'image d'une extrême-droite identitaire "bon chic, bon genre" que Martin Sellner essaie de cultiver depuis des années. Ce jeune trentenaire a fondé la branche autrichienne du mouvement identitaire en 2012, soit dix ans après la création du Bloc identitaire en France, qui sert souvent de référence idéologique aux militants de cette mouvance dans les autres pays du monde.

Martin Sellner a aussi permis à l'Autriche de se faire une place à part dans la géographie mondiale des identitaires. "Il est devenu la figure centrale au niveau européen et même international de ce mouvement", assure Natascha Strobl, politologue autrichienne et expert du mouvement identitaire, interrogée par le quotidien Kurier.

Omniprésent sur les réseaux sociaux et YouTube où il poste presque quotidiennement en anglais des vidéos, cet activiste au look de gendre idéal prêche sans relâche un discours islamophobe insidieux. Martin Sellner fait tout pour éviter les expressions trop liées à l'extrême-droite, et n'hésite pas à répondre à des interviews de grands médias établis, comme la BBC, pour se défendre des accusations de racisme.

Mais il a fait une partie de sa formation politique auprès de Gottfried Küssel, l'un des plus célèbres néonazis autrichiens. Martin Sellner assure aujourd'hui qu'il s'agissait d'une erreur de jeunesse, pourtant une partie des 300 membres de l'IBÖ est issue de la nébuleuse néonazie, assure le Centre sur la résistance autrichienne, une fondation publique qui lutte contre l'extrémisme. Pour cet institut, ce groupe est clairement "d'extrême-droite avec des influences néofascistes". "Ils remplacent des concepts trop connotés historiquement par des termes qu'ils jugent plus ‘positifs' afin d'atteindre un public plus large que l'extrême-droite traditionnelle. Ainsi, ils ne diront pas ‘déportation', mais ‘remigration' et ils affirment ne pas se battre contre l'immigration, mais pour ‘l'identité européenne'", explique la fondation sur son site Internet.

Le vice-Premier ministre rattrapé par son passé

Le leader des identitaires autrichiens entretient aussi de solides liens avec l'alt-right américaine dans ce qu'elle a de plus virulent. Martin Sellner est en effet fiancé à Britanny Pettibone, une vlogueuse américaine et conspirationniste convaincue qui a notamment contribué à diffuser sur Internet le "Pizzagate", cette théorie délirante selon laquelle des proches d'Hillary Clinton entretenaient un réseau pédophile depuis l'arrière-cuisine d'une pizzeria de Washington.

Mais ces liaisons dangereuses outre-Atlantique ne sont pas ce qui inquiète le plus l'establishment ultraconservateur autrichien. Ce dernier craint que ce nouveau scandale ébranle le FPÖ jusqu'au sommet. Le vice-Premier ministre et président du FPÖ, Heinz-Christian Strache, a longtemps fait preuve d'une bienveillance suspecte envers Martin Sellner et ses identitaires. Ce ténor du gouvernement avait ainsi qualifié, en 2016 sur Facebook, les identitaires de simple "initiative citoyenne apolitique qui n'est pas de gauche". Il avait en outre partagé des vidéos de l'IBÖ sur les réseaux sociaux et s'était laissé prendre en photo avec Martin Sellner. Die Aula, un magazine proche du FPÖ, avait également consacré, en juin 2018, une longue enquête intitulée "Les identitaires : un engagement pacifique pour la patrie et la nation". Une proximité politique logique pour la politologue Natascha Strobl, qui souligne que l'IBÖ est considéré par le FPÖ comme un vivier de futurs cadres.

Mais le lien financier avec le terroriste australien change la donne. Heinz-Christian Strache s'est empressé de prendre ses distances avec ce mouvement. "Le Parti de la liberté n'a rien à voir avec les identitaires", a-t-il déclaré mardi 27 mars. Il a demandé que toute la lumière soit faite sur cette affaire de don financier et n'a pas bronché lorsque Sebastian Kurz a évoqué une possible dissolution du mouvement.

Une telle issue pourrait constituer un coup dur pour tous les identitaires européens, souligne Natascha Strobl. L'IBÖ a beaucoup contribué à l'organisation des principaux coups d'éclat de cette mouvance sur le Vieux Continent, comme l'expédition dans les Alpes françaises pour établir une frontière symbolique censée décourager les migrants, en avril 2018. Mais les médias autrichiens doutent de la possibilité d'une interdiction de ce mouvement, car il n'est pas organisé en association ou club. Il n'y aurait donc rien de concret à dissoudre.