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En nommant son gendre ministre des Finances, Erdogan joue la confiance

Le 9 juillet, Recep Tayyip Erdogan a nommé son gendre Berat Albayrak à la tête du ministère des Finances. Alors que la Turquie traverse une crise économique depuis le début de l’année, cette décision fait grincer des dents.

La nouvelle n’a pas plu aux marchés internationaux. Afin de relancer les investissements étrangers et freiner une inflation galopante, de nombreux analystes financiers occidentaux espéraient un nouveau ministre de l’économie expérimenté, en phase avec leurs attentes, comme Mehmet Simsek, ancien ministre des Finances passé par la banque d’investissement américaine Meryll Lynch.

Mais le président turc en a décidé autrement, en nommant à ce poste le 9 juillet son propre gendre, ancien PDG de la holding turque Calik. La réaction du marché des devises mondial ne s’est pas fait attendre : la livre turque a quasi immédiatement perdu 3 % de sa valeur face au dollar.

Série de polémiques

Figure politique controversée en Turquie, Albayrak est associé à plusieurs scandales. Marié à la fille aînée du président Erdogan, Esra, il a notamment été cité en novembre 2017 dans les Paradise Papers. Selon le site d’investigation régional Black Sea, il aurait participé à la réalisation d’un complexe montage financier pour permettre à la holding Calik de ne pas payer des millions de dollars d’impôts. En 2016, il avait également été accusé d’être impliqué dans des ventes de pétrole aux jihadistes de l’organisation État islamique par le collectif de hackers RedHack, qui a publié sur Wikileaks 57 000 mails présentés comme les siens.

Ces accusations, rapportées sur la page Wikipédia en anglais dédiée au ministre, sont parmi les quatre publications à l’origine de l’interdiction de l’encyclopédie en ligne en Turquie depuis avril 2017, selon une enquête menée par le quotidien israélien Haaretz.

Diriger la Turquie comme une entreprise

Cette nomination peut s’expliquer par deux facteurs, selon le politologue turc Ismet Akça interrogé par France 24. "Le premier est qu’Albayrak a une expérience significative dans le secteur privé. Or, Erdogan a déclaré qu’il voulait diriger le pays comme on dirige une entreprise. En ce sens, il a nommé de nombreux ministres issus du privé".

Dirigé par le président doté désormais des pouvoirs du Premier ministre, le nouveau gouvernement est ainsi composé d’un ministre de l’Environnement et de l’urbanisme ancien promoteur immobilier, d’un ministre du Tourisme professionnel du secteur et d’un ministre de la Santé fondateur d’une chaîne d’hôpitaux privés par ailleurs … médecin de famille d’Erdogan. Ce qui amène le Financial Times à conclure qu’Erdogan veut diriger le pays non seulement comme une entreprise, mais "comme une entreprise familiale".

Le pouvoir en famille

Un gendre business man de 40 ans s'est donc avéré le candidat idéal. Berat Albayrak était ainsi en vacances avec Erdogan dans le sud-est de la Turquie lors de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. Depuis sa prise de fonction en 2015 en tant que ministre de l’Énergie, il a suivi le président dans presque tous ses déplacements à l’étranger. "Le pilotage de l’économie est un rôle clé au regard de la crise que traverse actuellement la Turquie. Erdogan veut donc exercer un contrôle total sur ce domaine et nommer quelqu’un en qui il a entièrement confiance, qui fait partie de son cercle ultraproche", analyse l’universitaire Ismet Akça.

Et la confiance semble réciproque, Albayrak reprenant à tout-va arguments, éléments de langage, mimiques et façon de parler du président lors de ses récentes apparitions publiques. "Lors de la campagne électorale du mois dernier, alors que le président résistait aux pressions des investisseurs demandant d’augmenter les taux d’intérêt, M. Albayrak a affirmé que la crise actuelle était causée par une ‘opération d’origine étrangère’ destinée à faire tomber le gouvernement", peut-on ainsi lire dans le Financial Times. Un leitmotiv habituel chez Erdogan, qui accuse l’Occident d’ingérence politique et économique.

"Cette nomination est aussi un message au monde", conclut Ismet Akça. "Celui de dire que personne ne peut dicter au président turc qui il doit choisir, particulièrement pas les puissances occidentales".