L'opposition nicaraguayenne fait monter la pression sur Daniel Ortega en organisant trois jours de mobilisation sans précédent. Pour le spécialiste Kevin Parthenay, le président est de plus en plus isolé sur la scène internationale.
La pression monte pour pousser vers la sortie le président du Nicargua Daniel Ortega, au pouvoir depuis onze ans. Après une manifestation jeudi 12 juillet aux couleurs bleu et blanche du drapeau nicaraguayen, l’opposition organise une grève générale vendredi 13 juillet. De son côté, le gouvernement prépare en riposte une marche en mémoire de la révolution sandiniste à Masaya, la ville la plus rebelle du pays. Mais pour le chercheur à l’Observatoire Politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) Kevin Parthenay, il va être difficile pour le président nicaraguayen, accusé d'instaurer une dictature avec sa femme – qui est aussi la vice-présidente –, Rosario Murillo, de maintenir un cycle de violence en toute impunité.
France 24 - La vague de manifestations qui secoue le Nicaragua depuis le 18 avril a déjà fait plus de 240 morts et 2 000 blessés. Comment expliquer un tel bain de sang ?
Kevin Parthenay. À l’origine, tout ce cycle de mobilisation a été déclenché par la réforme de la sécurité sociale nicaraguayenne, qui prévoyait une hausse des cotisations. La population la moins privilégiée a trouvé cette mesure injuste, d’autant qu’elle alimentait les caisses du régime considéré comme corrompu. Il faut souligner que cette réforme concernait aussi les entreprises qui allaient donc devoir prendre à leur charge cette hausse des contributions sociales. C’était très intéressant de constater que la société civile et le secteur des entreprises privées, jusqu’à présent considérés comme proches du pouvoir et de Daniel Ortega, allaient se retrouver sur le terrain de la contestation. C’est à ce moment-là que les manifestations ont débuté dans le pays, et n’ont, depuis, jamais cessé.
Mais sur le fond, la population dénonce le durcissement progressif du régime, qui a complètement déconstruit et fragilisé la démocratie. Depuis son arrivée au pouvoir en 2007, le président s’attachait plutôt à une prise de contrôle des institutions de l’État. Aujourd’hui, le régime se montre aussi répressif à l’égard de la population elle-même. Daniel Ortega s’est révélé incapable de dialoguer et obtus sur la gestion du pouvoir. Son autoritarisme est aujourd’hui avéré par la violence et la force de la répression à l’encontre des Nicaraguayens. Désormais, les revendications de fond ne portent plus sur la réforme, sur laquelle Daniel Ortega a reculé, mais sur le régime en tant que tel.
Qui retrouve-t-on dans les rangs des manifestations anti-gouvernementales ?
Le mouvement a été fortement dynamisé par les étudiants issus de diverses universités du pays, qu’elles soient publiques ou privées, comme la Universidad Centroamericana (UCA) ou Politecnico, connu pour être un bastion contestataire. On y trouve aussi des chefs d’entreprises du secteur privé, mais aussi des associations qui luttent pour la démocratie et contre les violences. Le rassemblement est très vaste autour d’une même cause, à savoir le virage autoritaire du régime Ortega. On retrouve aussi l’Église catholique qui, malgré son rôle officiel de médiateur dans cette crise, tient un discours ouvertement contre le régime, les violences et la répression.
De nombreux Nicaraguayens disent revivre les traumatismes hérités des guerres civiles des années 1970 et 1980. Sur quels aspects la comparaison est-elle possible ?
Cela y ressemble d’un point de vue de la gestion du pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de similitudes existent entre la dynastie des Somoza (qui a exercé son influence pendant quarante-trois ans sur la vie politique dans le pays) et le clan Ortega, avec l’épouse du président Rosario et leurs fils placés à des postes clés du gouvernement. Autre point commun : la très forte confusion entre l’argent public et le portefeuille privé de la famille, mais aussi les violences, les disparitions, les exécutions extrajudiciaires avérées et reconnues dans les rapports internationaux. Tous ces aspects ont été observés sous la dictature des Samoza, mais sur une période beaucoup plus étalée dans le temps.
Daniel Ortega peut-il se maintenir au pouvoir ? Quel scenario de sortie de crise est aujourd’hui possible ?
Cela va être difficile de le voir se maintenir au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat, en 2021, d’autant plus qu’il est en train de perdre ses alliances. Il existe un passif désormais extrêment lourd avec autant de morts, autant de violences commises et désormais une visibilité internationale. Hier (jeudi 12 juillet), la Commission interaméricaine des droits de l'Homme a dénoncé, devant le conseil permanent de l'Organisation des États américains à Washington, l'aggravation de la répression. Elle chiffre à 264 le nombre de morts causés par la vague de violence des trois mois de protestation. Le régime ne va pas pouvoir continuer ce cycle de violences en toute impunité.
D’ailleurs, la situation est très parlante en ce moment : Daniel Ortega vit retranché avec son épouse, dans le quartier El Carmen, au centre de Managua, d’où il tire toutes les ficelles du pouvoir et commet un nombre considérable de crimes. Beaucoup d’amis et de collègues dans le pays décrivent ce quartier comme une citadelle. Mais ils donnent aussi l’impression d’être assiégés puisqu’ils font de moins en moins de sorties publiques. Cela est révélateur de signes de faiblesses.