
Les Colombiens élisent dimanche leur nouveau président. Ils ont le choix entre Gustavo Petro, candidat d'une gauche anti-système, et Ivan Duque, le champion de la droite qui souhaite remettre en cause l'accord de paix avec les Farc.
Ce dimanche 17 juin, 36,2 millions d'électeurs colombiens étaient appelés aux urnes pour départager Ivan Duque (droite) et Gustavo Petro (gauche) lors du second tour de l'élection présidentielle. Un scrutin crucial pour un pays polarisé par l'accord de paix signé en 2016 avec la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) que le favori Duque prévoit de réviser. Les bureaux de vote ont fermé à 16 h locales (21 h GMT), à l'issue d'une journée électorale qui s'est déroulée dans le calme.
Un duel inédit
Le scrutin du premier tour avait été marqué par une participation sans précédent de 53,9 % quand habituellement moins de la moitié des 36 millions d'électeurs se rendent aux urnes. Il a également offert un duel totalement inédit dans l'histoire de la Colombie. En ralliant 25,08 % des suffrages, Gustavo Petro, ancien maire de Bogota et ex-guérillero du M-19 dissous, est devenu le premier candidat de la gauche à se hisser au second tour.
Il attribue cet exploit au fait que "les citoyens ont pu se détacher de la peur que génère la guerre et la politique de la haine", comme il le déclarait dans un entretien avec l'AFP. En effet, pendant des décennies, la gauche colombienne avait largement pâti de ses divisions ainsi que du poids des différentes guérillas marxistes, qui rejetaient tout accès au pouvoir par les urnes.
En revanche, la présence au second tour d'Ivan Duque, dauphin désigné de l'ancien président conservateur Alvaro Uribe (2002-2010), est loin de constituer une surprise. Le jeune candidat de la droite, 41 ans, pourrait devenir dimanche le plus jeune président de l'histoire moderne de la Colombie. Favori annoncé du scrutin, il avait remporté 39,14 % des suffrages au premier tour.
Vers une explosion du vote blanc ?
Les deux candidats ont mis à profit l'entre-deux tours pour nouer des alliances afin de garantir les reports de voix. À ce petit jeu, c'est Ivan Duque qui semble le mieux placé : il a en effet pu compter sur le ralliement du Parti libéral (centre) de l'ancien président César Gaviria (1990-1994) ainsi que de Cambio radical (extrême droite).
Gustavo Petro peine de son côté à rassembler. Il a adressé une lettre à Humberto de la Calle, candidat du Parti libéral et grand artisan de l'accord de paix, dans lequel il propose une alliance, seul moyen, selon ses dires, de sauver la paix. Peine perdue, le candidat aux 2 % renvoie dos à dos Duque et Petro et a annoncé qu'il votera blanc.
Una carta a Humberto de la Calle @DeLaCalleHum pic.twitter.com/CVb8unyihp
Gustavo Petro (@petrogustavo) 10 juin 2018C'est également le choix du troisième homme du premier tour, Sergio Fajardo (23,7 %). Le candidat de la coalition centriste laisse ses électeurs voter en leur âme et conscience, fidèle à la ligne "Ni Petro, ni Duque". Un refus de choisir qui pourrait se traduire par une explosion du vote blanc.
Pour l'avocate des droits de l'Homme, Tatiana Dangond, interrogée par France 24, le vote blanc en Colombie est la manifestation citoyenne d'un électorat insatisfait par les candidats présents au second tour : "Ce vote, même s'il n'est pas valorisé ou validé par le système électoral actuel, est une manifestation symbolique d'un pays lassé et qui réclame un changement politique", explique-t-elle.
L'accord de paix est en jeu
Le "changement", Ivan Duque en fait pourtant son cheval de bataille. Il s'est engagé à éradiquer "le cancer de la corruption" et relancer la 3e économie d'Amérique latine, en berne avec 1,8 % de croissance. Il tient surtout à réviser l'accord de paix de 2016 pour envoyer en prison les chefs guérilleros des Farc coupables de crimes graves et leur barrer l'accès au Parlement.
Cet accord de paix est le principal enjeu de l'élection. Il a clos la confrontation avec les Farc, aujourd'hui converties en parti politique. Il a valu au président sortant, Juan Manuel Santos, le prix Nobel de la paix, mais aussi une impopularité record de 80 % dans ce pays de 49 millions d'habitants.
"Quel que soit le président, le plus grand défi sera d'adopter une position claire quant à l'accord de paix car, pour le moment, nous sommes dans les limbes", a déclaré Fabian Acuña, professeur de Sciences politiques à l'université Javeriana, à l'AFP.
Alvaro Uribe avait promis que si son camp l'emportait, l'accord serait "réduit en miettes". Ivan Duque, plus modéré que son mentor, souhaite des "modifications structurelles". Cependant, ces modifications toucheraient aux points les plus sensibles de l'accord et risqueraient de mettre en péril la trêve avec les ex-Farc, déjà mise à mal par la multiplication des bandes dissidentes, hostiles à l'accord.
Gustavo Petro, lui, entend appliquer l'accord de paix. Il envisage de poursuivre le dialogue avec l'Armée de libération nationale (ELN), dernière de la trentaine de guérillas qu'a comptées la Colombie, alors que son adversaire a promis de durcir la position du gouvernement.
Dans un pays plus polarisé que jamais, le futur président prendra ses fonctions le 7 août, fête de l'indépendance de la Colombie. Il aura la lourde tâche de réconcilier le pays et de tourner définitivement la page d'une guerre fratricide, qui a fait au moins huit millions de victimes entre morts, disparus et déplacés depuis 50 ans.
Avec AFP