
De la lune de miel à la coopération nucléaire, de la brouille avec De Gaulle au coup d'éclat de Jacques Chirac, entretien avec le journaliste Vincent Nouzille, auteur d'"Histoires secrètes France-Israël, 1948-2018" (Éd. Les liens qui libèrent).
Le journaliste Vincent Nouzille revient dans un livre très documenté sur la relation passionnelle entre la France et Israël, de 1948 à nos jours. Il décrypte pour France 24 les hauts et les bas qu'a traversés ce "vieux couple".
France 24 : Comment décririez-vous la relation qu’entretenaient la France et Israël dans les années 1950 ?
Vincent Nouzille : Les relations entre les deux pays commencent après la naissance d’Israël par une relation quasiment idyllique, une lune de miel. Ceci est lié à un contexte politique. La France est le premier pays européen à reconnaitre l’État d’Israël qui est soutenu par la communauté internationale. Il y a aussi certainement cette culpabilité française due à l’extermination des juifs et au régime de Vichy. Et puis il y a, dans l’après-guerre, une classe politique, notamment du côté de la gauche et du centre, qui est assez en phase avec les idées travaillistes et socialistes des kibboutz [exploitation agricole collective, NDLR], qui sont promus par les fondateurs de l’État d’Israël, incarnés par David Ben Gourion. Dans les années 1950, on admire ce jeune État qui est en train de se créer.
Cela va se concrétiser par une alliance militaire, un peu avant la crise de Suez de 1956. À ce moment, la France va armer de manière massive Israël et l’aider à combattre l’Égyptien Nasser, perçu par les deux pays comme l’ennemi à vaincre. Cela est renforcé par une coopération encore plus secrète sur l’arme atomique. La France va décider de créer sa propre force de frappe et elle va secrètement aider l’État s’Israël à avoir sa propre force de frappe.
Comment cette lune de miel prendra-t-elle fin ?
Le climat va se détériorer parce que De Gaulle veut, dans le fond, à cette époque, réorienter sa politique. En réalité, dès son accession au pouvoir en 1958, puis après la paix en Algérie en 1962, il ne veut plus avoir cette relation exclusive, quasiment fusionnelle, avec Israël. Il souhaite renouer des relations avec des pays arabes et ce que l’on appelle, ‘la politique arabe de la France’. Au moment de la guerre des Six-Jours en 1967, la tension augmente puisqu’il prévient les Israéliens : ‘Si vous tirés les premiers, si vous êtes l’agresseur, je vous condamnerai’. Donc, malgré les appels à la solidarité du gouvernement israélien à l’égard du général de Gaulle qu’il porte en haute estime, ce dernier condamne l’offensive israélienne qui débute en juin 1967, prononce un embargo sur les armes et, quelques mois plus tard, aura ces mots ravageurs sur le peuple juif, ‘sûr de lui-même’ et ‘dominateur’. Au-delà d’un désaccord tactique, diplomatique ou militaire, il y a bien un fossé qui s’est creusé, une rupture, lors de cet été 1967.
Si la diplomatie du général de Gaulle a jeté un froid sur la relation avec Israël, qu'en est-il de celle de Pompidou, puis de Giscard ?
Les années Pompidou et Giscard vont refroidir davantage cette relation. D’une part parce que Pompidou est très en colère contre un certain nombre d’initiatives des services secrets israéliens. On ne souvient des vedettes de Cherbourg, d’un certain nombre de campagnes d’Israël contre la France, notamment avec la vente de mirages à la Libye. Pompidou prend cela très mal. Puis Giscard, qui arrive au pouvoir en 1974, va développer une politique pro-arabe et encore plus pro-palestinienne. C’est lui, au fond, qui met la question palestinienne au centre du jeu. Depuis lors, tous ses successeurs, y compris les plus amis d’Israël, ont toujours répété cette volonté française de permettre aux Palestiniens d’avoir droit à un État. C’est François Mitterrand qui, en 1982, à la Knesset, tentera de réchauffer les relations entre les deux pays, du fait de son amitié historique avec Israël, mais prononcera pour la première fois le mot ‘État palestinien’ devant le Parlement israélien.
En visite à Jérusalem en octobre 1996, Jacques Chirac a lancé son fameux "Do you want me to go back to my plane ?" aux agents de sécurité israéliens. Que dit cette scène du rapport de Chirac avec l'État hébreu ?
La petite phrase de Jacques Chirac témoigne d’un climat qui s’est profondément dégradé puisqu’il reprend au fond l’antienne de la politique arabe de De Gaulle. Il en fait d’ailleurs un grand discours au Caire en avril 1996, puis il se pose en mentor de Yasser Arafat, le leader des Palestiniens. Autant de bonne raisons, pour les Israéliens, de se fâcher avec lui. Il se trouve que Benjamin Netanyahou est alors Premier ministre et c’est son premier mandat. Leurs relations seront toujours exécrables. Chirac dira à Netanyahou : 'Vous racontez n’importe quoi, c’est de la provocation, je ne crois à un seul mot de ce que vous dites'. Avec Netanyahou, les présidents français ont toujours eu des relations assez compliquées.
Nicolas Sarkozy a-t-il été, selon vous, le président le plus israélophile ?
Après les années Chirac, Sarkozy tente de prendre un virage beaucoup plus pro-israélien. Il a d’ailleurs cultivé de bonnes relations avec Netanyahou avant son arrivée à l’Élysée en 2007. Il va essayer de faire en sorte que cette amitié puisse lui servir dans sa diplomatie, afin d’éventuellement jouer un rôle et de faire pression sur l’État hébreu, de sorte qu’il puisse geler les colonies, négocier avec les Palestiniens, etc. Dans le fond, il va être très vite déçu et va même traiter Netanyahou de 'menteur'. Il sera très vexé que son amitié avec lui et son penchant pro-israélien ne soient pas payés de retour.
Quelle est la nature des relations qu’entretiennent Macron et Netanyahou ?
Elles ont bien démarré. C’était plutôt habile de la part de Macron de l’inviter, en juillet 2017, pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. C’est la première fois qu’un premier ministre israélien est invité de la sorte. Il va prononcer des mots sur l’antisionisme qualifié d’antisémitisme, il l’appelle 'Bibi'. Les relations sont plutôt cordiales, mais la 'realpolitik' finit par prendre le dessus. Les différends se sont accumulés depuis l’automne, au-delà de cette bonne relation et au-delà même des relations bilatérales extrêmement fortes dans le domaine culturel, artistique, économique et technologique. Que ce soit sur l’accord iranien, sur Jérusalem, sur les incidents à Gaza, sur la colonisation, tous ces thèmes sont des sujets de friction entre les deux hommes. Je pense que Macron a peu d’illusions sur le fait qu’il puisse convaincre Netayanhou de bouger.
Pensez-vous qu’un jour les deux pays puissent entretenir une relation apaisée ?
Les relations franco-israéliennes ont toujours été passionnelles. Elles reposent sur des intérêts relativement logiques, notamment les intérêts de la France dans la région, mais il demeure une composante psychologique. C’est comme un vieux couple qui aurait divorcé mais qui continue de s’engueuler. Il existe toujours une tension et une passion du fait aussi qu’il y ait une forte communauté juive en France avec des relais en Israël et réciproquement. Il y a une communauté de destin, une communauté de vie au début des années 1950, dont il reste aujourd’hui quelque chose. On a une relation spéciale et la normalisation [de la relation] franco-israélienne n’est pas pour demain.