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Ebola en RD Congo : "La vaccination en anneau permet d'éteindre l'incendie très vite"

Presque un mois après le début de l'épidémie d'Ebola en RD Congo, entretien avec Hugues Roberts, responsable de la cellule d'urgence de MSF qui coordonne les opérations de vaccination sur place.

L’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo, déclarée il y a un mois, a fait 25 décès, dont 12 sont directement attribuables au virus. Depuis le 21 mai, le ministère congolais de la Santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et leurs partenaires, dont Médecins sans frontières (MSF), ont lancé une vaccination ciblée dans la province de l’Équateur, dans l’ouest du pays, frappée par la fièvre hémorragique hautement contagieuse et récurente en RD Congo. Le vaccin expérimental utilisé, le rVSV-ZEBOV, a fait ses preuves lors de tests cliniques en Guinée, en 2015, s’avérant efficace à 100 % dix jours après son inoculation. S’il n’a pas encore été homologué, son usage a été approuvé, selon l’OMS, pour un "usage compassionnel", en l’absence d’autre solution viable pour circonscrire l’avancée de l’épidémie.

Les équipes sanitaires administrent le vaccin, selon une méthode en anneau, aux personnels soignants, aux personnes avec qui les cas confirmés ont été en contact, aux contacts de ces contacts, et aux personnes potentiellement exposées au virus (agents de sécurité et chargés de l’inhumation notamment). Médecins sans frontières est présent dans les quatre centres de traitement déployés dans la province de l’Équateur, et a lancé depuis la semaine dernière les vaccinations dans l’épicentre de l’épidémie, dans les villes reculées et difficiles d’accès de Bikoro et d’Iboko. Hugues Robert, responsable de la cellule d’urgence de MSF Suisse, a coordonné les premières opérations de vaccination sur place.

France 24 : Le rVSV-ZEBOV a fait ses preuves sur plusieurs milliers de personnes en Guiné lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, mais il reste expérimental. Son administration, à ce stade, peut-elle poser des problèmes éthiques ou entraîner des effets secondaires inconnus ?

Hugues Robert : Le vaccin n’est proposé qu’à des gens qui ont de fortes chances de contracter la maladie. Le choix est donné de se vacciner ou pas, par accord écrit. Typiquement, une famille qui a eu un cas confirmé et s’est occupé de lui, lui a donné à manger, l’a nettoyé, pris soin de lui, lavé ses draps et ses habits, est extrêmement à risque.

Il y a tout un processus d’information pour la personne qui reçoit le vaccin, afin de s’assurer qu’elle a une bonne compréhension des effets secondaires possibles. On les connaît : surtout de l’arthrite et des papules, pas compliqués à gérer mais gênants pour le patient. Par contre, le fait que ce soit encore au stade expérimental met en place toute une machinerie, à la fois pour informer le patient, et aussi pour son suivi. Cela est compliqué car ça nous oblige, dans les endroits très éloignés, à retourner voir le patient toutes les semaines pendant 28 jours, et jusqu’au terme de la grossesse si c’est une femme enceinte.

Tout cela prend plus de temps que pour l’administration d’un vaccin homologué, et limite l’administration : il est compliqué de vacciner plus de 40 à 50 personnes par jour si on veut s’assurer qu’on suivi tout le processus d’explication. L'homologation est en bonne voie, mais on ne peut pas faire une vaccination de masse comme pour la rougeole, où on pourrait avoir plusieurs centaines de bénéficiaires par jour.

Quelle est la réaction des populations lors de l’arrivée des équipes de vaccination sur le terrain, notamment dans les régions reculées d'Iboko et Bikoro ?

Étonnamment, la vaccination a été plutôt bien perçue, il y a même plus d’attente que ce que l’on peut offrir. On ne peut le proposer qu’à des personnes exposées, les contacts ou les contacts de ces contacts, ou les personnes impliquées dans la réponse. On a élargi la vaccination en incluant les médecins traditionnels, les religieux qui sont impliqués dans la prise en charge logistique des personnes, et les professions à risque, comme les motos-taxi qui transportent les personnes malades ou décédées. On travaille de manière pragmatique, en comprenant mieux la communauté, comment elle fonctionne, et quelles sont les personnes exposées.

Il y a cependant une différence entre la vaccination et la prise en charge des patients contaminés. On reste dans une zone rurale où, comme dans toute épidémie, il y a du rejet, des gens qui ont peur d’amener leurs proches. Cela existe de manière claire à Mbandaka [capitale provinciale de l'Équateur] et dans des zones reculées, mais ça fait partie de ce que cette maladie génère en termes de peur. C’est pour cela que nous effectuons un travail communautaire d’explication. On peut regretter que dans les zones reculées où se trouve l’épicentre de la maladie, le travail de sensibilisation ne soit pas encore fait partout, même si les premières équipes de MSF sont arrivées le 9 mai dans la région d’Iboko pour la prise en charge des infections. Il y a encore des résistances, c’est un travail de fond qui prend du temps.

J’ai eu à rencontrer des chefs communautaires, des personnes qui représentent cette société très traditionnelle, ils sont très ouverts, mais comme toujours, il faut discuter pour avoir une marge d’évolution. J’avais beaucoup plus de crainte il y a deux semaines sur certaines zones, mais on a vu qu’en s’investissant, il y a eu de grosses avancées. Même si ça n’est jamais assez rapide par rapport aux décès et aux contaminations.

Pourquoi avez-vous fait le choix d'une vaccination "en anneau", plutôt qu'une campagne générale dans la région ?

Une campagne globale n’est pas possible, déjà au vu du nombre de vaccins dont on dispose, mais aussi au mode d’administration : le fait que ce soit un vaccin expérimental empêche de monter en puissance, d’aller à la même vitesse qu’une vaccination de masse. Ce travail en anneau permet de cibler les zones et les personnes les plus à risque. À terme, et avec une bonne surveillance, on éteint l’incendie très vite. De ce point de vue-là, ça n’a pas grand intérêt de noyer la population sous les vaccins.

L'OMS souhaite pouvoir expérimenter cinq médicaments curatifs, dont trois n'ont encore jamais été testés sur l'homme, sur les patients infectés par Ebola. Le ministère de la Santé congolais devrait bientôt donner son accord. Cette procédure est-elle courante ?

MSF est associé à l’une de ces molécules expérimentales. Dans un cas comme Ebola, cela peut être validé de manière exceptionnelle. On laisse au patient (ou à sa famille si le malade est un enfant), le choix d’utiliser un médicament sous la forme compassionnelle. On sait qu’il y a très peu de chance de survie, donc on offre un choix qui permet d’essayer la molécule en sachant que c’est plutôt une chance, si on se pose du point de vue de la létalité de la maladie. Souvent, c’est le médecin qui est tout puissant, mais là, il offre une possibilité et le patient choisit.