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Attentat à Paris : "Il n’existe aucune preuve d’une filière tchétchène en France"

Pour la première fois, un terroriste d’origine tchétchène a frappé la France, samedi soir. Si plusieurs observateurs s'accordent à parler d'une filière tchétchène en France, le spécialiste du jihadisme Wassim Nasr réfute cette théorie.

En découvrant l’identité de l’assaillant de l'attaque au couteau, samedi 12 mai, dans le IIe arrondissement de Paris – un Français né en Tchétchénie en 1997–, de nombreux observateurs ont pointé du doigt l’existence d’une filière tchétchène en France. Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme, écrivait dimanche sur Twitter que "7 à 8 % des Français impliqués dans les filières jihadistes en Syrie et en Irak sont d’origine tchétchène". Un phénomène confirmé par Claude Moniquet, co-fondateur du Centre européen pour le renseignement stratégique et la sécurité. "Il y en a environ 1 500 qui ont pris le chemin de l’Irak et de la Syrie pour servir comme volontaire jihadiste auprès de l’organisation État islamique (EI)", estime-t-il.

Ces dernières années, plusieurs Tchétchènes impliqués dans des affaires de terrorisme ont été arrêtés. En janvier 2015, au moins huit ont été interpellés avant la marche républicaine du 11 janvier, soupçonnés de vouloir commettre un attentat dans la foule. Le mois suivant, six autres, dont deux ayant la nationalité française et quatre réfugiés politiques, ont été écroués dans une enquête sur une filière d'envoi de jihadistes en Syrie. "Ce sont des milieux extrêmement difficiles à pénétrer car ils s’organisent sur une base clanique ou familiale", précise Claude Moniquet.

"Communauté divisée"

La même année, Youssoup Nassoulkhanov, alsacien d’origine tchétchène, a été aperçu dans une vidéo de propagande de l'organisation État islamique (EI) tournée en Syrie après les attentats de Paris de janvier 2015. Quelques mois plus tard, Khassanbek Tourchaev, doté du même profil, était arrêté en Turquie avant d’être incarcéré en France. Il est toujours dans l’attente de son procès. Selon la police française, Khamzat Azimov, auteur de l’attaque de samedi soir, a aussi passé son enfance à Strasbourg, où résident de nombreux réfugiés tchétchènes. Un de ses amis, Abdoul Hakim A., a également été interpellé dans la capitale alsacienne au lendemain de l'attaque du 12 mai.

Pour autant, la menace tchétchène en France semble peu crédible, assure Wassim Nasr, journaliste à France 24 spécialiste de la question. " La communauté tchétchène est très divisée et ne constitue pas un seul et unique bloc, estime-t-il. Les divisions claniques et familiales dans le pays se perpétuent dans les différents pays d’accueil", commente-t-il. 

"Pas de filière marocaine ou algérienne"

De plus, il n’existe pour l’heure aucune preuve de l’existence de réseaux jihadistes tchétchènes dans l’Hexagone, assure-t-il. "Pour parler de filière, il faudrait avoir des informations sur leur mode de recrutement et de financement. Or ce n’est pas le cas".

Ces jihadistes sont avant tout des ressortissants français, souligne l’analyste. "Leur départ est similaire à celui d’autres communautés, poursuit-il. On ne parle pas de filière marocaine ou algérienne alors que bon nombre de Français qui ont rejoint les rangs jihadistes sont originaires de ces deux pays du Maghreb".

Mouvance jihadiste en Tchétchénie

En revanche, une vraie mouvance jihadiste opère en Tchétchénie ou dans d’autres pays du Caucase afin de rejoindre la Syrie, nuance Wassim Nasr. "Les départs sont groupés, les points de chute sont organisés en Turquie, la nourriture est prise en charge", note-t-il.

Ce petit pays à majorité musulmane marqué par deux guerres dans les années 1990 a vu se développer un islamisme radical inspiré du wahhabisme et du salafisme. Lors du premier conflit face à l'État fédéral russe (1994-1996), des combattants de la rébellion séparatiste ont progressivement revendiqué leur appartenance à un islam extrémiste. Dans les années 2000, cette radicalisation s’est imposée comme un mouvement islamiste armé dans tout le Caucase du Nord. S’ensuivent une série d’attentats sanglants, notamment la prise d’otages en octobre 2002 dans le théâtre de Moscou, où il y a eu 130 morts et celle dans l’école de Beslan en Ossétie du Nord, en septembre 2004, qui a fait plus de 330 morts dont 186 enfants.

Responsabilité de l’État français

Fin juin 2015, la rébellion armée islamiste a prêté allégeance à l’organisation État islamique en nourrissant les rangs des jihadistes en Syrie et en Irak. Les analystes estiment qu'environ 3 400 russophones, principalement originaire du Caucase, ont combattu en Syrie. Parmi eux, Omar al-Shishani dit "Omar le Tchétchène" mais d’origine géorgienne, a été, jusqu'à sa mort en 2016, le "ministre de la défense" du "califat".

Toutefois, cela ne signifie pas que la Tchétchénie est devenue une base-arrière du jihadisme international. "Il y a 15 ou 20 ans, il existait des centres d'entraînement de combattants tchétchènes, de l’ordre de 5 à 10 personnes, dans la vallée de Pankissi, en Géorgie. Mais cela n’avait rien à voir avec ceux des terroristes en Syrie ou en Afghanistan", commente Claude Moniquet.

Après l’attentat de samedi soir, le dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a réagi en affirmant que "toute la responsabilité" de l'attaque revenait "aux autorités françaises", l'assaillant ayant "grandi et formé sa personnalité" en France. Ce fidèle de Vladimir Poutine est accusé par les défenseurs des droits de l’Homme d’avoir instauré un régime "totalitaire" et d’avoir islamisé son pays à marche forcée.