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France : les géants du CAC 40 font preuve d'une grande générosité envers les riches actionnaires

Une étude des ONG Oxfam et Basic révèle que les entreprises du CAC 40 reversent près de 70 % de leurs profits aux actionnaires. Une spécificité française due à la conjoncture et à la composition du CAC 40.

En France, les grands groupes bichonnent leurs actionnaires par-dessus tout. Les entreprises du CAC 40 ont reversé 51 milliards d’euros de dividendes en 2017 et 409 milliards d’euros depuis 2009, affirment les ONG Oxfam et Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) dans leur étude “CAC 40 : des profits sans partage”, publiée lundi 14 mai.

La part des bénéfices après impôts que ces grands groupes réservent à leurs actionnaires s’élève à 67,4 %, tandis que celle qui revient aux salariés dépasse à peine les 5 %, ont établi les auteurs du rapport après avoir compilé les données financières depuis 2009 de 31 multinationales françaises de l’industrie cotées en Bourse. Selon ces chiffres, la France est la championne du monde du règne de l’actionnaire-roi, juste devant l’Australie (67 %) et le Japon (60 %).

L’actionnaire gagne, le salarié paie ?

Pour certaines entreprises, l’actionnaire vaut même plus que leurs profits. Engie, par exemple, a versé entre 2009 et 2016 trois fois le montant de ses bénéfices sur cette période en dividendes (23 milliards d’euros). Ce qui n’en fait pas pour autant le groupe du CAC 40 le plus généreux. La palme revient à Total, dont le montant des dividendes distribués en huit ans a atteint 43,5 milliards d’euros.

Cette manne profite essentiellement aux plus riches. Les petits porteurs ne pèsent presque rien dans l’actionnariat des grands groupes. “Huit groupes familiaux (Arnault [LVMH], Bettencourt [L’Oréal] etc.) et grands fonds d’investissement possèdent une action sur huit des entreprises du CAC 40”, souligne le rapport.

[Rapport] #CAC40 : des profits sans partage. Oxfam et le BASIC révèlent comment les grandes entreprises alimentent les inégalités : sur 100€ de bénéfices, elles versent en moyenne 67€ aux actionnaires et seulement 5€ aux salariés https://t.co/Cco7Q4HFX8 #LoiInegalites pic.twitter.com/I7quDWuRWS

  Oxfam France (@oxfamfrance) 14 mai 2018

La captation des profits par ces grandes fortunes n’a pas toujours été aussi marquée. En 2009, l’argent versé aux actionnaires par ces multinationales ne représentait que 30 % des bénéfices après impôt en France. La principale victime de cette tendance est le salarié. Si les entreprises du CAC 40 n’avaient pas augmenté la part réservée aux actionnaires, les employés auraient gagné environ 2 000 euros de plus par an, soulignent les auteurs de l’étude. “L’intérêt de ce rapport est qu’il souligne à quel point la répartition des richesses au sein de l’entreprise contribue à la hausse des inégalités”, reconnaît Pascal de Lima, économiste en chef au cabinet de conseil Harwell Management.

À plus long terme, les grands groupes se tirent une balle dans le pied, estiment les auteurs de l’étude. L’argent versé aux actionnaires ne va pas à l’investissement, ce qui risque de coûter cher à la productivité future de ces fleurons de l’économie française. Cette vision “court-termiste” de la répartition des richesses au sein de l’entreprise avait également été dénoncée en 2015 par Andy Haldane, l’économiste en chef de la Banque centrale anglaise.

Le CAC 40, un animal particulier

Ce constat de grands groupes qui sacrifient leurs salariés et, potentiellement, leur avenir sur l’autel du bien-être financier des actionnaires entre parfaitement dans le débat actuel sur la hausse des inégalités et la concentration des richesses entre les mains d’une minorité. Mais le rapport reste incomplet sur certains points.

D’abord, le versement des dividendes ne se fait pas toujours au détriment de l’investissement, comme le suggère le rapport. L'investissement peut aussi être financé “par l’endettement [prêts bancaires, et émissions d’obligation] ou en ayant recours au marché”, précise Sarah Guillou, spécialiste de l’économie industrielle internationale à l’Observatoire français des conjonctures économique (OFCE).

Dans le cas des entreprises du CAC 40, ces méthodes alternatives pour financer l’investissement ne sont pas à négliger. “Ce sont généralement des très grands groupes, très anciens qui n’ont aucun problème à emprunter de l’argent aux banques”, note l’économiste française. En outre, les taux d’intérêt ont été particulièrement bas ces dernières années pour tenter de relancer l’économie, ce qui a pu pousser les grands groupes à profiter de l’occasion pour emprunter de l’argent à bas prix.

Le rapport ne s’attarde pas non plus sur les raisons de l’avènement de l’actionnaire-roi. L’une d’entre elles a trait à l'innovation, d’après Pascal de Lima. Les investissements dans les technologies (automatisation, robotique) sont “souvent financés par des investisseurs qui se rémunèrent ensuite grâce aux dividendes”, juge ce spécialiste.

La conjoncture depuis 2009 était aussi favorable aux actionnaires. Après la crise de 2008, l’économie mondiale a tourné au ralenti pendant plusieurs années “et les opportunités d’investir étaient faibles, ce qui a pu pousser ces grands groupes à préférer verser davantage de dividendes [et des primes aux dirigeants, NDLR] en attendant la reprise”, expliquent Sarah Guillou. La période étudiée par Oxfam et Basic n’est peut-être, à cet égard, pas représentative d’une tendance à long terme.

Enfin, la composition du CAC 40 – essentiellement de gros navires industriels – explique aussi pourquoi la France est championne du monde de la part des profits réservée pour les dividendes. D’autres indices boursiers, comme ceux de New York, intègrent davantage de champions du digital “qui n’ont pas pour habitude de verser de forts dividendes”, rappelle Sarah Guillou. Les Apple, Facebook ou Google privilégient les investissements quand les grands groupes du CAC 40 “ont, historiquement, l’habitude de récompenser leurs actionnaires”, souligne la spécialiste de l’OFCE.

Le contexte politique aurait aussi joué un rôle dans ces efforts pour faire plaisir aux actionnaires, affirme Pascal de Lima. Selon lui, “les gouvernements essaient depuis deux quinquennats d’attirer les investisseurs étrangers, et les patrons d’entreprise répercutent cette volonté de plaire” en démontrant qu’il y a un environnement qui leur est favorable.