![Reconstruction de l’Irak : "Urgent d’offrir des perspectives aux Irakiens pour éviter le retour de l’EI" Reconstruction de l’Irak : "Urgent d’offrir des perspectives aux Irakiens pour éviter le retour de l’EI"](/data/posts/2022/07/23/1658553340_Reconstruction-de-l-Irak-Urgent-d-offrir-des-perspectives-aux-Irakiens-pour-eviter-le-retour-de-l-EI.jpg)
La conférence internationale pour la reconstruction de l’Irak, sous l’égide de la Banque mondiale, se déroule jusqu'à mercredi au Koweït. Les Irakiens veulent éviter que se créent les conditions d’un retour de l’organisation État islamique.
Le ministre irakien de la Planification, Salmane al-Joumeili, a estimé les besoins de son pays à 88,2 milliards de dollars. Le Premier ministre Haïdar al-Abadi a parlé, lui, de 100 milliards de dollars lors du Forum économique mondial de Davos, fin janvier. Le message est clair : le chantier de la reconstruction en Irak est colossal. Après trois années de guerre contre l’organisation État islamique (EI), les dirigeants irakiens demandent l’aide de la communauté internationale, des ONG et des entreprises du secteur privé, lors d'une conférence internationale à Koweït City, du 12 au 14 février.
La Commission nationale pour l'investissement a publié une liste de 157 projets pour lesquels l'Irak dit avoir besoin d'un financement extérieur. Seize d’entre eux, parmi lesquels la reconstruction de l'aéroport de Mossoul, ont un coût supérieur à 500 millions de dollars. Les plus chers concernent deux lignes de chemin de fer – l'une de 500 km reliant Bagdad à Bassorah dans le sud (13,7 milliards de dollars), l'autre Bagdad à Mossoul (8,65 milliards de dollars) – et la construction d'un métro à Bagdad (8 milliards de dollars).
L'Unicef et ONU-Habitat ont appelé à des investissements urgents pour restaurer les infrastructures et les services de base à destination des familles irakiennes. La moitié des écoles ont besoin de réparations et plus de trois millions d'enfants ont vu leur éducation interrompue.
De son côté, l'OMS appelle la communauté internationale à "investir dans le secteur de la santé qui est dévasté".
Dès lundi, des ONG ont annoncé une levée de fonds pour soutenir les opérations humanitaires de plus de 330 millions de dollars, dont 130 du Comité international de la Croix-Rouge. Mardi, la conférence fera une large place au secteur privé, tandis que le troisième jour sera consacré à l'annonce par les États participants du montant de leurs contributions financières.
Les États-Unis, malgré leur engagement à la tête de la coalition militaire contre l'EI, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne contribueraient pas financièrement à la reconstruction du pays. La France, qui avait déjà accordé un prêt de 430 millions d’euros à Bagdad en 2017, espère tirer son épingle du jeu.
Pour Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak et professeur en sciences politiques à l'université de Leiden (Pays-Bas), interrogée par France 24, l’enjeu principal est d’éviter un statu-quo qui pourrait permettre un retour de l’EI en offrant à la population irakienne des perspectives d’avenir.
France 24 : La conférence pour la reconstruction de l’Irak s’est ouverte aujourd’hui au Koweït. Quelle est la situation sur le terrain ?
Myriam Benraad : Les besoins sont immenses et c’est une situation qui dure depuis longtemps. Même si le gouvernement irakien a intérêt à gonfler les chiffres pour percevoir le maximum d’argent, on ne peut pas nier que l’Irak fait face à d’importants défis, que l’État ne peut assumer seul. Des villes comme Mossoul, Falloujah ou Tikrit ont été dévastées. Cela concerne bien évidemment la question de l’habitat et des infrastructures mais aussi des services de base comme le retour de l’électricité, de l’eau courante, des égouts, etc. Jusqu’à présent, c’est la population locale qui se substitue à l’État, mais cette situation ne peut perdurer éternellement. Les autorités irakiennes ont été incapables, ces dix dernières années, d’apporter les réponses attendues en matière de reconstruction, créant la possibilité de l’émergence de l’EI. Il est donc urgent d’offrir des perspectives socio-économiques aux Irakiens pour éviter, notamment, le retour de l’EI. La reconstruction peut permettre à l’administration centrale de regagner du crédit aux yeux des Irakiens.
L’État irakien peut-il compter sur la communauté internationale ?
On n’est plus dans l’âge d’or budgétaire que l’Irak a pu connaître il y a quelques années. Sa remilitarisation lui a coûté cher et Bagdad a aujourd’hui besoin d’une aide multilatérale. La conférence au Koweït est donc particulièrement attendue, y compris par la communauté internationale car le contexte politique a changé par rapport à la précédente conférence qui a eu lieu en 2007. Désormais, le monde entier est concerné par l’avenir de l’Irak car personne ne veut assister au retour de l’EI et du chaos. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise si l’Europe, qui a été frappé à plusieurs reprises par des attentats ces dernières années, est fortement représentée au Koweït. L’Irak représente un enjeu sécuritaire considérable.
Les entreprises du secteur privé sont appelées à jouer un rôle important dans la reconstruction…
L’Irak sait que son développement économique va dépendre de sa capacité à redémarrer son secteur pétrolier. De nombreux projets existent et chaque gouvernorat a définit son propre plan d’investissements. Il faut maintenant attirer les grandes entreprises mondiales pour qu’elles investissent dans l’avenir de l’Irak. Mais ce n’est pas gagné. Entre les questions sécuritaires, l’instabilité politique et la corruption, l’Irak n’est pas un pays simple à pratiquer pour une entreprise étrangère.
Jean-Yves Le Drian était à Bagdad lundi et se rend au Koweït mardi. La France a-t-elle une carte à jouer ?
Si elle manœuvre bien, oui. Il ne faut pas oublier toutefois que les Américains sont déjà très présents en Irak. Même si Washington sera en retrait lors de la conférence au Koweït, les entreprises américaines, elles, seront très bien représentées. Cela dit, la lassitude américaine vis-à-vis de l’Irak fait que le gouvernement irakien est aujourd’hui ouvert à d’autres acteurs. La Russie et la Chine, notamment, frappent à la porte. Quant à la France, elle ne joue plus dans l’arrière-cour comme cela pouvait être le cas il y a encore quelques années. Donc si Paris s’engage au niveau bilatéral sur une aide au développement tout en maintenant son aide sécuritaire, cela enverra des signaux forts qui pourront créer des conditions plus favorables pour les entreprises françaises