
Des Mirage 2000 français présents en Hongrie, le 10 avril 2025, pour l'exercice militaire européen baptisé MILEX 2025. © Attila Kisbenedek, AFP
Avec un budget record de 2 000 milliards d’euros proposé pour la période 2028-2034, la Commission européenne souhaitait afficher, mercredi 16 juillet, son désir d’autonomie, en particulier en matière de défense, dont les crédits pourraient considérablement augmenter.
En l’état, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, propose de consacrer 410 milliards d’euros à un grand Fonds européen pour la compétitivité, dans lequel 131 milliards d’euros seraient alloués pour la défense et l’espace. Une enveloppe présentée par le commissaire en charge du Budget Piotr Serafin comme cinq fois supérieure à celle du budget précédent (2021-2027) et qui souligne la nécessité de s’adapter à un contexte géopolitique incertain avec la guerre en Ukraine, des menaces croissantes et un désengagement américain.
"La commission sait qu’il s’agit d’un point de départ avant deux années de négociations avec les États-membres et le Parlement européen, donc, elle a voulu taper haut avec un chiffre important. Mais en même temps, on parle d’une enveloppe qui regroupe à la fois la défense et l’espace. Or, on ne sait pas encore comment ce budget sera articulé entre les deux", nuance Samuel Faure, politologue spécialiste des questions de défense européenne, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.
La Commission a donné mercredi quelques pistes. "Le budget à long terme contribuera à la construction d’une Union européenne de la défense capable de se défendre, de rester connectée et d’agir rapidement lorsque cela est nécessaire", affirme le document de présentation du budget.
Il s’agira de "renforcer la compétitivité et l’agilité de l’industrie européenne de la défense, notamment par l’émergence de nouveaux acteurs et la montée en puissance industrielle à l’échelle de l’Union européenne" et d'"encourager la collaboration en matière de recherche et développement et d’acquisition dans le domaine de la défense, notamment à travers des projets de défense d’intérêt européen commun", selon le document spécifiquement consacré à la défense.
"Ce budget est dans la continuité des annonces précédentes en matière de défense [plan pour "réarmer l’Europe", livre blanc sur la défense, NDLR]. Il vise à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, c’est-à-dire l’ensemble des entreprises de défense de l’UE qui produisent les équipements pour les armées. Le problème de la défense européenne, c’est que son industrie est trop fragmentée, avec des États-membres qui travaillent chacun dans leur coin et d’autres qui préfèrent acheter du matériel américain, alors qu’il faudrait dépenser mieux en dépensant ensemble", analyse Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialisé dans l’intégration européenne en matière de défense.
Améliorer la mobilité militaire au sein de l’Europe
Un autre objectif poursuivi par Bruxelles est l’amélioration de la mobilité militaire, qui vise à permettre un déplacement "rapide et sans entrave" des personnels, matériels et moyens militaires, à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. L’enveloppe de 131 milliards d’euros "soutiendra les investissements dans les infrastructures à double usage, en complément des infrastructures civiles", affirme le document de la Commission européenne.
C’est un chantier majeur. Un rapport de la Cour des comptes européenne, publié en avril 2025, listait ainsi les défauts de conception des infrastructures et les obstacles ralentissant la mobilité militaire au sein de l’UE. "Or, il est primordial d’être capable d’acheminer rapidement une armée, ses véhicules et son matériel en cas de guerre dans un pays se situant à la périphérie de l’UE, affirme Federico Santopinto. Et pour cela, il faut que le matériel puisse passer, que les infrastructures soient adaptées et capables de supporter des charges très lourdes."
En théorie, le futur budget de l’UE permettra donc à la fois de bâtir une industrie de défense européenne et de renforcer les infrastructures permettant la mobilité militaire. Reste à savoir ce qu'il en sera en pratique.
"Comme toujours, la Commission fait des propositions et met à disposition des outils. Mais dans quelle mesure les États-membres vont-ils s’approprier ces instruments communautaires ? Vont-ils les considérer comme une valeur ajoutée et s’en servir ou comme un nouveau caillou dans leur chaussure ? L’avenir le dira, mais il y a de quoi être inquiet et sceptique quand on observe les dernières décisions ou réactions de plusieurs capitales", estime Samuel Faure.
L’Allemagne a ainsi jugé "inacceptable" l’augmentation du budget de l’UE, tandis que les Pays-Bas l’ont qualifié de "trop élevé". Et si la France a trouvé la proposition de la Commission "ambitieuse", Paris vient d’annoncer une baisse de 1,6 milliard d’euros de sa contribution au budget européen pour 2026. Si les 131 milliards d’euros consacrés à la défense et à l'espace pour la période 2028-2034 semblent conséquents comme point de départ des négociations, le chiffre d’arrivée a toutefois de fortes chances d’être beaucoup plus modeste.