
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye à la tribune des Nations-Unies, le 25 septembre 2025. AP - Pamela Smith
C’est sous les hourras d’un public en liesse et les applaudissements nourris des députés de la majorité qu'Ousmane Sonko s’est livré à l'exercice traditionnel des questions d'actualité au parlement sénégalais. Après trois tours d’horloge face aux parlementaires, il a enfin abordé la question qui est sur toutes les lèvres ces deux dernières semaines au Sénégal : sa relation avec le président Bassirou Diomaye Faye.

“Ceux qui pensent qu’il y a un problème insurmontable ou que nous ne nous parlons plus se trompent”, a-t-il affirmé d'emblée. “Il n’y a que de la paix entre nous deux. Nous travaillons du matin au soir ensemble, nous passons nos journées côte à côte, nous partageons des repas... Il n’y a absolument aucun problème. Au plan politique, chacun peut avoir son plan, mais sur les affaires de l'État on est plus que jamais engagés au travail", s’est expliqué le président du parti Pastef les patriotes.
Ousmane Sonko semble prendre ses distances au plan politique avec celui qui occupait le poste de secrétaire général du Pastef avant son élection à la tête du Sénégal en mars 2024. Tout en affirmant sa volonté de continuer à travailler avec Bassirou Diomaye Faye.
Trahison
De nombreux militants du parti ne comprennent toujours pas la décision de Faye, le 11 novembre, de remplacer Aida Mbodj, choix de Sonko, par Aminata Touré, ancienne Première ministre de Macky Sall à la tête de la coalition Diomaye président.
L'alliance politique fondée autour du Pastef et scellée à quelques semaines de la présidentielle de mars 2024 a permis à Bassirou Diomaye Faye de l'emporter.

Depuis l'annonce faite par le président, les “Patriotes”, le surnom des militants du Pastef le parti au pouvoir au Sénégal, ont lancé un appel au désabonnement massif de la page Facebook du président Bassirou Diomaye Faye.
L'effet ne s'est pas fait attendre. Entre samedi 22 et lundi 24 novembre, le chef de l’État du Sénégal a perdu plus de 40 000 followers sur sa page officielle.
La cote de popularité de Faye a brusquement chuté chez des militants qui l’ont pourtant adulé au point de ne plus faire de différence entre lui et Ousmane Sonko, l’homme fort du régime, à travers un slogan devenu populaire et virale durant la présidentielle de 2024 “Diomaye mooy Sonko” c'est à dire “Diomaye c’est Sonko” en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal.
A la rue 11 de la Médina, quartier populaire de Dakar, Ibrahima, jeune cordonnier, applique marteau de bijoutier en main, des pointes sur une chaussure en talon. Entre deux coups, ce militant du Pastef nous livre sa déception. “Non Sonko n’est pas Diomaye”, lance-t-il, convaincu. “Diomaye a décidé de prendre son propre chemin alors que sans Sonko, jamais il ne serait arrivé au pouvoir. C’est parce que Sonko l’a désigné comme candidat de notre parti qu’on a fait campagne pour Diomaye et qu’on l’a élu à la tête du Sénégal. Diomaye nous a trahi” conclut-il, l’air dépité.

Dans l’atelier, adossé au mur du stade dakarois d’Iba Mar Diop, des effigies d’Ousmane Sonko avec Bassirou Diomaye Faye sont pourtant accrochées au mur, côte à côte. Dans cette rue animée de la Médina, les avis des militants du Pastef semblent bien tranchés. “Bassirou Diomaye Faye m’a déçu”, s'écrie un sympathisant du parti qui dit ne pas comprendre la logique du chef de l’État sénégalais de s'éloigner du Pastef. “Diomaye nous a vendu l’image d’un homme intègre aux idéaux du parti et loyal à Ousmane Sonko. Il n’a pas rendu la monnaie à sa pièce à Ousmane Sonko. Jamais je n’aurais pu imaginer un tel comportement venant de lui”, poursuit-il.
Bataille de pouvoir
Mais les réactions de plusieurs responsables politiques ainsi que de leaders d’opinion au sein du parti montrent une fracture dans la formation politique. De nombreuses sections du Pastef dans les différentes localités du pays et dans la diaspora sénégalaise se sont positionnées officiellement à travers des communiqués derrière Ousmane Sonko et invitent Bassirou Diomaye Faye à revenir sur sa décision.
Le président sénégalais a souvent théorisé l'exercice du pouvoir à deux. Dès sa sortie de prison en mars 2024, après près d’un an derrière les barreaux pour entre autres outrages à magistrat, il a ébauché aux côtés d’Ousmane Sonko l'idée d’un partage des pouvoirs avec son Premier ministre lors d’une conférence de presse dans un grand hôtel dakarois. “Il faut réduire les pouvoirs du président de la République et donner plus de prérogatives au Premier ministre” avait-il formulé.
Mais pour l’analyste politique sénégalais Mamadou Sy Albert, auteur de l’ouvrage “Comment sortir des crises du présidentialisme importé…?” (Ed. Moukat, 2023), Sonko occupe trop de places dans son rôle de chef du gouvernement. “Le président étouffe politiquement. La place centrale qu’occupe Ousmane Sonko pourrait donner l'impression au président Diomaye qu'on l’a dépouillé de son pouvoir”, analyse-t-il.

Selon le chroniqueur qui dissèque la vie politique sénégalaise sur la 7Tv, une télévision privée sénégalaise, le président et le Premier ministre ont des divergences de plus en plus criantes. “Ils ont des désaccords profonds dans la conduite de la justice. Diomaye veut garder l'image d'un président au-dessus de la mêlée et consensuel qui ne s’implique pas dans le fonctionnement de la justice, alors que pour Sonko, c’est tout le contraire, notamment au sujet des centaines de victimes des manifestations politiques entre 2021 et 2024. A cela s’ajoute maintenant cette crise politique entre les deux hommes”.
La coalition présidentielle semble de son côté se réorganiser. Depuis le communiqué du 12 novembre donnant les directives à Aminata Touré de réorganiser la coalition, des centaines de personnalités, mouvements et partis politiques ont rejoint les rangs de l'alliance politique, qui pourrait être une roue de secours au président Bassirou Diomaye Faye en cas de rupture consommée avec le Pastef.
