
Les "obligations catastrophe", des produits financiers qui ont le vent en poupe, sont censées permettre aux assureurs et investisseurs de compenser le risque liés aux catastrophes naturelles. © Studio graphique France Médias Monde
Alors que les canicules s’abattent sur l’Europe ou que des inondations monstres endeuillent le Texas, des investisseurs cherchent de plus en plus à se faire de l’argent sur le dos des catastrophes naturelles.
Des produits financiers très particuliers - appelés “cat bonds” ou “obligations catastrophe” - ont l’ouragan en poupe. À tel point qu’un récent panel de la Banque mondiale qui s’est tenu, début juillet, était consacré à ce que la vénérable institution a appelé “la croissance astronomique” de ce type d’actifs.
Depuis le début de l’année, des “obligations catastrophe” pour une valeur totale de 18,1 milliards de dollars ont été émis, souligne le Financial Times dans un article publié mardi 15 juillet. C’est davantage en six mois que sur l’ensemble de 2024 - 17,7 milliards de dollars - qui représente déjà une année record pour ces produits financiers.
L’électrochoc de l’ouragan Andrews
Ces “cat bonds” qui aiguisent tant l’appétit des investisseurs sont “des outils financiers relativement récents”, souligne Antoine Andreani, directeur de la recherche pour le courtier en Bourse XTB. Ils sont apparus en 1992 après l’ouragan Andrews, l’un des plus destructeurs de l’histoire des États-Unis. Il a servi d’électrochoc pour l’industrie de l’assurance qui s’est mis à la recherche de moyens pour essayer de se décharger d’une partie du risque qu’elle prend en proposant d’assurer contre des catastrophes naturelles.
C’est l’acte de naissance des “obligations catastrophe”. “Des assureurs vont émettre ce genre de titres en promettant des rendements fixes élevés en échange de quoi les éventuels investisseurs acceptent d’assumer de prendre en charge une partie ou la totalité du risque financier lié à un événement défini dans le bonds”, résume Antoine Andreani. "Pour certaines catastrophes particulièrement coûteuses - comme les incendies en Californie ou les ouragans en Floride - les assureurs et réassureurs ne peuvent pas garantir l'intégralité des remboursements. Ces titres apportent aussi une source de financement supplémentaire", ajoute Zac Taylor, spécialiste de la finance climatique à l'université de Delft aux Pays-Bas.
Pour les investisseurs, c’est un pari. Ils déposent dans un véhicule financier créé pour ce titre une somme demandée par l'émetteur de l'obligation. Tant qu’un événement déclencheur défini dans le "cat bond" ne survient pas pendant une période généralement comprise entre un an et trois ans, rien ne se passe, les investisseurs touchent régulièrement les intérêts et récupèrent leur mise à la fin.
En revanche, si la catastrophe naturelle intervient, les investisseurs “peuvent perdre tout ou partie de leur mise”, note Antoine Andreani. Cet argent revient alors à l’assureur afin de couvrir les remboursements qu’il a dû effectuer aux assurés.
L’obligation peut prévoir, par exemple, que si un séisme de magnitude 6 frappe telle région entre tel mois et tel mois les investisseurs devront payer.
Mais ce n’est pas le scénario le plus fréquent, souligne une étude sur l’évolution des “obligations catastrophe” publiée par deux économistes de l’université de Katowice (Pologne). Généralement le mécanisme se déclenche quand le coût d’une catastrophe naturelle dépasse un certain montant pour tout le secteur de l’assurance ou bien si les remboursements effectués par l’émetteur de ce titre atteignent un certain seuil.
Des investisseurs qui minimisent le risque climatique ?
La succès n’a d’abord par été au rendez-vous à la fin des années 1990, soulignent les deux autrices de l’étude polonaise. La faute, en grande partie, au réchauffement climatique qui n’avait pas encore fait étalage de tous les dégâts qu’il pouvait causer.
Mais au fil des ans, la réalité des dérèglements climatiques s’est imposée et, après un premier pic d’intérêt pour ces “cat bonds” lors de la crise financière de 2008, “il y a eu une accélération de l’émission de ce genre de produits financiers à partir de la période de la pandémie de Covid-19”, constate Antoine Andreani.
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Réessayer
L’intérêt de ces “obligations catastrophe” pour les assureurs est évident : depuis dix ans, ils ont dû payer environ 100 milliards de dollars par an en remboursements liés à des catastrophes naturelles, souligne le Financial Times. Avoir recours à ces bonds comme roue de secours peut devenir vital. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’y mettre puisque d’autres types d’acteurs en émettent également. Google, par exemple, a eu recours à un tel outil pour se protéger financièrement en cas de tremblement de terre qui détruirait ses installations en Californie.
Plus intrigant : qui sont les investisseurs qui parient ainsi sur le fait que les catastrophes naturelles ne surviendront pas ? “On a un peu l’impression que ces acteurs des marchés financiers minimisent le risque climatique”, reconnaît Antoine Andreani.
En réalité, ils sont surtout attirés par la perspective de retours sur investissement juteux. En moyenne, ces “obligations catastrophe” proposent des taux d’intérêt aux alentours de 10 %, “ce qui est un niveau élevé pour une obligation”, souligne Antoine Andreani.
Loto boursier
Des forts rendements qui sont “liés au risque encouru par les investisseurs”, assure Zac Taylor. En effet, les catastrophes naturelles coûtent très cher, donc si le déclencheur est activé, les investisseurs risquent gros. Ils peuvent tout à fait être conscients des conséquences du réchauffement climatique, mais estiment qu’à plus court terme - ces obligations ne dépassent pas les trois ans -, miser vaut encore le coup.
En outre, ces produits financiers ont un avantage sur d'autres : "Ils sont décorrélés de l'économie réelle, ce qui peut être important dans une stratégie de diversification de son portefeuille", ajoute Zac Taylor. Autrement dit, ces actifs ne perdront pas de valeur en cas de crise économique. C'est l'une des raisons, par exemple, de l'engouement pour ces "cat bonds" après la crise financière de 2008.
Reste que le risque inhérent aux catastrophes naturelles fait de ces obligations la traduction boursière du “qui ne tente rien n’a rien”. Le régulateur européen a, d’ailleurs, émis l’idée de placer ces actifs dans la catégorie des “investissements alternatifs”, qui comprennent des placements spéculatifs à hauts risques.
Mais c’est une spéculation qui “ressemble plus au loto qu’à autre chose”, estime Antoine Andreani. En effet, le propre de la catastrophe naturelle est qu’elle est imprévisible, alors que d’autres événements sur lesquels les spéculateurs misent, tels que les prix de l’énergie ou le risque de défaut d’un État, “dépendent davantage de facteurs géopolitiques qu’on peut analyser”, ajoute cet expert.
Pour lui, la popularité de ces “obligations catastrophe” s’intègre dans un climat actuel de “casino boursier” avec une multiplication des actifs aux mouvements imprévisibles comme les cryptomonnaies ou les NFT.