Et si l'abandon de l'ISS au profit d'entreprises privées n'était pas une mauvaise nouvelle, mais la suite logique de la course à l'exploration spatiale ? Peut-être que les agences publiques pourraient regarder plus loin vers l'espace.
La Station spatiale internationale pourrait bientôt passer entre les mains d’entreprises privées, selon les souhaits de la Maison Blanche. Des documents de la NASA obtenus par le Washington Post indiquent que Donald Trump et son administration réfléchissent à ne plus financer ce programme extrêmement coûteux, qui a représenté un investissement de 100 milliards de dollars pour les États-Unis depuis 1998.
Le financement de la Station spatiale internationale, en orbite basse autour de la Terre, à environ 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, engage les agences partenaires (États-Unis, Europe, Russie, Japon, Canada et onze pays européens à titre individuel, dont la France) jusqu’au 31 janvier 2024. Et ensuite ?
Ensuite, les États-Unis, qui sont de loin les premiers financeurs de la Station spatiale internationale, pourraient prendre la poudre d’escampette à partir du début de l'année de l'année fiscale 2019. "La décision de mettre fin au soutien fédéral direct pour l’ISS en 2025 ne signifie pas que la plateforme elle-même sera retirée de l’orbite à ce moment-là – il est possible que l’industrie puisse continuer à faire fonctionner certains éléments ou capacités de l’ISS dans le cadre d’une future plateforme commerciale", note le document interne à la NASA.
Autrement dit, les États-Unis envisagent de laisser la main à des entreprises privées du secteur spatial. Le gouvernement américain doit d’ailleurs provisionner un budget de 150 millions de dollars "pour rendre possible le développement et la maturation d’entités et de capacités commerciales qui vont s’assurer que ceux qui prendront le relais de l’ISS (…) soient opérationnels", cite à nouveau le Washington Post.
Quitter le navire, une idée pas si neuve
Faut-il craindre ce désengagement, qui semble si soudain ? Faut-il y voir un décrochage de l’administration Trump, qui pourrait préférer les intérêts économiques à ceux de la recherche ? Ou même la faillite des agences spatiales publiques face aux agences spatiales privées ?
"On approche de 2020 et le monde a changé radicalement. Petit à petit, le modèle de l’ISS devient vieillissant"
Pas vraiment. La Station spatiale internationale, qui a commencé à être pensée à la fin des années 1980, a toujours eu une date de "péremption", si l’on peut dire. En 2004, George W. Bush souhaitait que les Américains quittent le partenariat dès 2016, au profit du programme Constellation finalement abandonné.
Face à l’opposition de la NASA, Barack Obama a simplement fait prolonger les financements américains jusqu’en 2024. Mais en 2011, il a aussi encouragé la création de CASIS (Center for the Advancement of Science in Space), un programme de laboratoire financé partiellement par la puissance publique dont l’objectif est de développer la recherche privée à bord de l’ISS. L’idée de quitter le train en marche au profit d’entreprises privées était déjà sur les rails.
"Cette idée d’un abandon graduel de l’ISS au profit d’activités d’exploration habitées, c’est quelque chose sur lequel les agences spatiales – le CNES en particulier – travaillent depuis une petite dizaine d’années (...)", explique François Spiero, responsable de la stratégie et expert des vols habités au CNES, joint par Mashable FR. "L’ISS est un magnifique objet conçu à la fin des années 1980 et durant les années 1990. Avec les technologies, les méthodes de travail et les schémas de pensée de l’époque. On approche de 2020 et le monde a changé radicalement. Petit à petit, le modèle de l’ISS devient vieillissant. Du point de vue des technologies à bord, en terme de mode de gestion ou même des objectifs scientifiques et technologiques"
La Terre depuis la station spatiale internationale pic.twitter.com/FzZZ6RB3ur
— Mez (@RoyalistGang) 11 février 2018
Sans une station internationale, où serait la place de la recherche ?
On le sait, la Station spatiale internationale est principalement un lieu de recherche en microgravité. C’est un synonyme de la collaboration internationale dans la recherche scientifique. Dans un monde où la sphère privée prend une place de plus en plus prépondérante, où se situerait la place de la recherche ?
Il faut noter que la Station spatiale internationale ne sera bientôt plus la seule dans le paysage de l’obite terrestre. "Il y aura dans quelques années une Station spatiale chinoise. Le CNES développe une collaboration avec la Chine pour travailler ensemble sur cette Station, en particulier pour la recherche scientifique. On peut d’ailleurs noter que Thomas Pesquet apprend le chinois", note à nouveau François Spiero. "Il y aura certainement d’autres stations spatiales en orbite basse terrestre qui seront privées ou publiques-privées. Elles offriront des capacités, et nous achèteront un service comme, par exemple, un nombre d'heures à bord d'une station pour faire des expériences en microgravité." En somme, la fin de l’ISS comme nous la connaissons ne signifierait pas certainement pas la fin de la recherche en microgravité.
Par ailleurs, si les informations du Washington Post sont confirmées, cela ne ferait qu’entériner la présence de nouveaux challengers dans le monde de l’astronautique qui, s’ils reprennent les rênes de la Station, pourraient par exemple mener des recherches à financement privé (entreprises pharmaceutiques, industrie de la dermatologie), travailler les métaux ou faire fructifier le business du tourisme spatial. Le champ des possibles est ouvert.
De nouveaux horizons
Du côté des agences spatiales publiques, la fin de la Station spatiale internationale – du moins sa cession à des entreprises privées – permettrait de se tourner vers de nouveaux horizons, encore plus lointain. Selon François Spiero, c'est l'un des sujets qui anime l'ISECG (International Space Exploration Coordination Group), un groupe de quinze agences spatiales internationales qui réfléchit à comment coordonner, ensemble, l'exploration humaine dans l'espace.
"L’un des sujets sur lequel nous avons beaucoup travaillé, c’est l’abandon progressif par la puissance publique de la banlieue de la Terre – l’ISS n’est qu’à 400 km de la Terre – que nous connaissons, pour concentrer les financementsinstitutionnels vers ce nouveau monde, la Lune et Mars essentiellement", affirme-t-il à Mashable FR.
Si la lune était à la même distance que la Station spatiale internationale pic.twitter.com/MYlPR4rLCe
— Laura Manach (@CMconseils) 31 janvier 2018
Plusieurs projets sont en cours, comme la mission ExoMars ou BepiColombo, la sonde spatiale de l'ESA qui doit s'envoler vers Mercure cette année. De manière encore plus ambitieuse, on pense au projet Deep Space Gateway de la NASA. Et surtout, au concept de village lunaire, propulsé par l'Agence spatiale européenne, qui serait représentatif de nouvelles ambitions pour les agences publiques. Au sein du CNES, on affirme simplement que "le sujet est en cours d'étude".
Allez, on fait un petit effort et se fait un nid douillet sur notre satellite naturel.
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