logo

"Vendredi 13", la pièce de théâtre qui invite sur les planches le sujet des attentats

En ce moment au Théâtre La Reine Blanche et jusqu'au 25 février, cette œuvre de Jean-Louis Bauer raconte les difficultés qu'il y a à vivre après avoir perdu quelqu'un lors d'un attentat.

Comment parler d'événements dramatiques récents, dans une œuvre de fiction, sans tomber dans le pathos ? L'anxiogène ? Depuis l'attaque visant la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, le cinéma a bien essayé de nous faire revivre ces moments de notre Histoire récente. En vain. Alors que le long-métrage "Made in France" de Nicolas Boukhrief (qui raconte l'infiltration d'un journaliste indépendant dans les milieux intégristes de la banlieue parisienne) devait être en salles le 18 novembre 2015, la sortie du film est annulée le soir du 13-Novembre. Même sort réservé au téléfilm "Ce soir-là" (qui évoque l'attentat au Bataclan), ajourné après avoir fait polémique fin 2017.

Par pudeur, respect des victimes, besoin de ne pas souffler sur des braises encore trop chaudes. Jusque quand doit-elle courir, cette prescription ? Quand redevient-il décent de s'emparer, avec l'art, l'envie de créer, et donc l'élan de la vie, d'événements graves dont l'Histoire ne sait pas encore bien quoi retenir ? Et pourtant. Il y a tant à dire sur ce qui semble d'abord relever de l'indicible. En ce sens, le cinéma est-il un moyen cathartique de se réapproprier l'Histoire ? À moins qu'une production sur un sujet si grave ne soit odieuse et déplacée, comme le pense le journaliste Olivier Bénis, qui s'émouvait sur Twitter : "Mais bordel, on est obligés de toujours tout romancer, tout adapter, tout rejouer, tout transformer ? C’était pas assez terrible en vrai, faut rajouter des comédiens qui jouent mieux que les vraies victimes pour qu’on soit plus ému ? Ça sert à quoi ?"

Sur ce sujet si sensible qu'est le terrorisme, la parole créative n'est pas évidente

Au théâtre, dont la diffusion plus confidentielle et la transmission du spectacle vivant permettent sûrement davantage de pudeur, la mise en scène peut devenir un incroyable moyen de mettre à distance les affres d'une actualité tragique. Pour se les réapproprier, en discuter, faire public (comme on est bien censés "faire société") devant les planches.

Dans "Vendredi 13", pièce que Mashable FR a pu découvrir lors de la générale de presse jeudi 25 janvier, c'est l'histoire d'une absence – qui devient, ironiquement, la plus grande présence de la pièce – qui nous est contée : celle de Leïla, jeune femme emportée par les attentats de Paris, et dont la mort hante son frère Djebril et son petit ami, Jonas. Les deux anciens copains d'enfance s'écharpent autour d'une question de drapeau français à mettre ou ne pas mettre sur la tombe de la défunte. Le ton est parfois un peu caricatural ou grossier, mais les dialogues ont le mérite de croquer le malaise de notre époque – sur l'identité nationale, le fait d'être ou de ne pas être Charlie / Paris / en terrasse... Et le dérèglement cognitif qui s'opère lorsque dans une vie le pire arrive ; et que l'on ne sait même pas à qui en vouloir exactement.

[scald=64446:article_details {"additionalClasses":""}]

Sur ce sujet si sensible qu'est le terrorisme, la parole créative n'est pas évidente. L'année dernière à Avignon, il y a bien eu "Moi, la mort, je l'aime, comme vous aimez la vie" de Mohamed Kacimi, pièce issue de la retranscription des derniers échanges entre les policiers et Mohamed Merah. Mais celle-ci avait fait scandale, certains l'accusant d'héroïser le pire, au plus grand désarroi de son auteur.

Le metteur en scène Jean-Louis Bauer n'a pas souhaité faire entendre les mitraillettes

Un moyen de montrer patte blanche auprès du public consisterait-il à se garder d'utiliser les attentats comme matériaux directs de la création ? Par exemple, en privilégiant le méta – les réflexions et les interrogations qui découlent d'un drame, en toute humilité ? Pour "Vendredi 13", l'auteur et metteur en scène Jean-Louis Bauer n'a pas souhaité faire entendre les mitraillettes : il fallait éviter "que ce spectacle soit anxiogène. Qu'il réveille la réflexion, oui, qu'il apaise", peut-on lire dans le communiqué. Avec cette pièce, celui qui est responsable du pôle d’écriture théâtrale aux conservatoires de la Ville de Paris a voulu "inventer un 'dispositif théâtral' qui permette de rendre compte de ce chapitre de l'histoire de France". Pas en racontant les attaques elles-mêmes, mais plutôt en donnant à voir la tristesse des endeuillés, leur perte de repères, leurs questionnements.

Si l'on met de côté les quelques lourdeurs dans certaines intonations des comédiens ou l'éclat de rire embarassant qu'a lâché un spectateur lorsque l'une des protagonistes de l'histoire est arrivée sur scène en expliquant porter le voile par choix et non parce que son petit ami l'y aurait obligée (trouvait-il cela si absurde et impensable qu'une femme musulmane puisse disposer d'elle-même ?), il faut s'avouer que voir "Vendredi 13" a été une expérience intéressante par-delà même l'appréciation de la pièce en tant qu'objet théâtral. Pour l'effet qu'elle produit sur nous, sans précédent : parce que l'on est sans doute plus sévères avec le traitement d'une actualité dont on a soi-même beaucoup débattu qu'avec un sujet de fiction totale, parce que l'on est troublés par la proximité temporelle de l'événement dont il est question... Voir de près la douleur d'autres plaquée sur un sujet devenu si collectif est quelque part assez obscène. Mais c'est une obscénité vertueuse, puisqu'elle nous commande de savoir nous mettre à la place des inconnus que l'on croise tous les jours.

– "Vendredi 13", du samedi 20 janvier au dimanche 25 février. Durée : 1h20. Théâtre La Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle, 75018 Paris, Métro : La Chapelle (L2) ou Marx Dormoy (L12). Prix des places : 25 euros, tarif réduit : 20 euros, groupes : 12 euros.

Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.