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Céder à Trump pour sauver les Dreamers ? Le dilemme des démocrates

DACA, le programme permettant à des jeunes sans-papiers de travailler aux États-Unis, doit prendre fin en mars. Pour sauvegarder le statut des Dreamers, les démocrates sont sommés d'accepter la construction d'un mur à la frontière mexicaine.

Les démocrates doivent-ils pactiser avec le diable ? La question se pose en ce début d'année 2018 alors que le président américain a enjoint l'opposition d'accepter un accord bipartisan sur l'immigration. À de multiples reprises ses dernières semaines, la Maison Blanche a indiqué être prête à prolonger le programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) de protection des jeunes migrants clandestins, à condition qu'il y ait un consensus sur l'érection d'un mur à la frontière avec le Mexique, au sud des États-Unis.

As I made very clear today, our country needs the security of the Wall on the Southern Border, which must be part of any DACA approval.

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 10 janvier 2018

Sept-cent-mille jeunes gens, connus aux États-Unis sous le nom de "Dreamers", sont entrés illégalement sur le territoire américain avec leurs parents alors qu'ils étaient mineurs. Le programme DACA, instauré para Barack Obama en juin 2012, les protégeait contre toute expulsion du territoire et leur permettait de travailler légalement aux États-Unis. Cependant, en septembre 2017, Donald Trump a annoncé sa suspension. Une décision qu'il est aujourd'hui prêt à remettre en cause contre la coopération démocrate.

"On est exactement à mi-chemin entre les promesses électorales de Trump et la perspective des élections de mi-mandat en novembre [élections des deux chambres du Congrès américain, NDLR]", analyse Nicolas Gachon, spécialiste des États-Unis et maître de conférences à l'Université Paul-Valéry de Montpellier 3. "Durant sa campagne, il s'est fait le chantre d'un isolationnisme triomphant. Non seulement, il annonçait fermer la frontière et prétendait en faire payer le coût aux Mexicains, ça a marché puisqu'il a été élu, mais maintenant, il est obligé de passer à l'action et de trouver les 18 milliards de financement, sinon les républicains vont le payer lors des élections de mi-mandat."

Les démocrates sommés d'accepter

"Assez habilement, Donald Trump a donc placé les démocrates en porte-à-faux", poursuit le chercheur. "Soit ils se montrent coopératifs et font un compromis sur la politique migratoire au risque de s'aliéner leur base, soit ils vont au conflit au risque de sembler faire de l'obstruction."

En effet, les démocrates sont aujourd'hui sous pression pour sauver les Dreamers : le site américain Bloomberg s'est même fendu d'un éditorial intitulé "Démocrates, donnez à Trump son mur !" L'éditorialiste Francis Wilkinson estime ainsi que céder à Trump sur ce point pour sauver les 700 000 Dreamers n'est pas cher payé.

Jeudi, les dirigeants d’une centaine d’entreprises ont adressé une lettre ouverte au Congrès américain. Publiée dans plusieurs journaux, dont le New York Times et le Wall Street Journal, ce texte est signé par les responsables de plusieurs grands noms de l'économie américaine comme Apple, Facebook, General Motors, Coca-Cola, Amazon, Google, Uber, Intel, Gap, Hewlett-Packard...

"Nous écrivons pour presser le Congrès d'agir immédiatement et d'adopter une solution législative bipartisane pour permettre aux 'Dreamers' qui vivent, travaillent et contribuent à la vie de nos communautés de pouvoir continuer à le faire", demandent ces patrons, sans toutefois appeler explicitement à construire le mur du compromis.

Ils soulignent notamment le coût de ces expulsions pour l'économie américaine, chiffré à 215 milliards de dollars selon une étude du think-tank conservateur Cato.

Les démocrates au pied du mur

Cependant, certaines figures du camp démocrate sont loin de souhaiter un compromis à tout prix. Lundi 8 janvier, Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat, avait estimé que les "demandes de Trump en matière d'immigration [n'étaient pas] raisonnables." Le sénateur socialiste Bernie Sanders, ancien candidat à la primaire démocrate, a également mis de l'huile sur le feu en adoptant une position dure : ni mur, ni expulsion des Dreamers.

We must not hold the lives of 800,000 young Dreamers hostage in order to fund a wall that the overwhelming majority of Americans oppose. Sadly, it appears that is exactly what Donald Trump wants. pic.twitter.com/hFpQ1pZByM

  Bernie Sanders (@SenSanders) 9 janvier 2018

Des positions intransigeantes qui vont pourtant à l'encontre de la tradition démocrate : "Historiquement, le parti a toujours cherché le compromis," rappelle Nicolas Gachon. "Idéologiquement et politiquement, ils sont obligés d'aider les Dreamers."

"Mais, dans le même temps, Donald Trump est aujourd'hui affaibli par la sortie dévastatrice du livre de Michael Wolff 'Fire and Fury' et par la réforme fiscale adoptée en décembre qui reste controversée. La tentation est donc grande pour les démocrates de jouer le blocage puis de l'utiliser comme argument électoral en vue de novembre", estime l'universitaire

"Les démocrates ont eux-mêmes placé le couteau sous la gorge de Donald Trump," explique le spécialiste des États-Unis. "Ce sont eux qui ont voulu que la question des Dreamers soit réglée en même temps que le vote de la loi de financement qui doit être adopté dernier délai le 19 janvier." Passé cette date, le gouvernement fédéral sera en situation de "shutdown", une fermeture partielle des ad­mi­nis­tra­tions et agences fé­dé­rales.

Récupérer le vote latino

Avec en ligne de mire les élections de mi-mandat, Donald Trump se sait aujourd'hui dans une situation compliquée comme le laissent supposer ses récentes concessions sur le mur. En effet, sa conseillère Kellyanne Conway a indiqué, le 10 janvier, que le président ne considérait plus que le mur devait s'étendre tout au long de la frontière : "à certaines frontières naturelles, des technologies de pointe ou des clôtures suffiraient", a-t-elle afirmé. "En somme, rien ne changerait par rapport à aujourd'hui", sourit Nicolas Gachon.

Cette récente main tendue de la Maison Blanche pourrait se lire comme une tentative de reconquête de l'électorat latino, échaudé par la très agressive campagne de Trump lors de la présidentielle.

Avec ce geste, le président américain répond aussi aux critiques émanant de son propre camp. Notamment des élus républicains des États frontaliers avec le Mexique qui appréhendent les élections de novembre car la population de ces territoires est majoritairement opposée au projet du président.

"Donald Trump veut gagner son duel contre les démocrates". Et, en cas de blocage, il blâmera leur inaction", avance Nicolas Gachon.

Le résultat des premières tractations donnent raison à l'universitaire. Jeudi 11 janvier, un groupe de sénateurs républicains et démocrates qui travaillaient depuis des mois à un accord bipartisan avait annoncé être parvenu à un compromis sur une loi sur l'immigration.

....Because of the Democrats not being interested in life and safety, DACA has now taken a big step backwards. The Dems will threaten “shutdown,” but what they are really doing is shutting down our military, at a time we need it most. Get smart, MAKE AMERICA GREAT AGAIN!

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 12 janvier 2018

Mais, celui-ci a tourné court. Vendredi 12 janvier, dans une série de tweets matinaux, Donald Trump a violemment rejeté l'ébauche d'accord qui aggraverait, selon lui, le problème migratoire au lieu de le résoudre. Le président américain a donc accusé les démocrates de prendre en otage les Américains en agitant la menace du "shutdown" au lieu de les protéger.