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Légion d'honneur : l'opacité demeure pour les dirigeants étrangers

Emmanuel Macron a décidé de réduire fortement le nombre de Légions d'honneur attribuées sous son quinquennat. Mais la remise de la décoration aux dirigeants étrangers est appelée à rester un cas à part.

"Retrouver l'esprit" de la légion d’honneur en choisissant, dès 2018, de manière plus sélective les "plus méritants". Le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner a ainsi résumé, jeudi 2 novembre, à la sortie du Conseil des ministres, la réforme annoncée des ordres nationaux voulue par Emmanuel Macron.

Une plus grande sélectivité qui devrait mathématiquement faire passer le nombre des récipiendaires de la plus haute distinction française, créée en 1802 par Napoléon Bonaparte, à moins de 2 000, soit environ 1 000 décorés de moins par an.

La future réforme, a expliqué Christophe Castaner, concernera le nombre de décorés civils (réduit de 50 %) et militaires (réduit de 10 %). Le nombre de décorés étrangers ayant rendu des services (culturels ou économiques, par exemple) à la France ou encouragé des causes qu’elle défend, sera également réduit de 25 %.

Une seule catégorie échappe finalement à la réforme : les personnalités décorées au titre de "la réciprocité diplomatique". Les concernant, nulle liste et nulle statistique officielles. Et pour cause : ces attributions de ces Légions d’honneur-là ne font pas l’objet d’une publication au Journal officiel, ni même d’une communication officielle, a confirmé la Grande chancellerie de la Légion d'honneur à France 24 en indiquant, par ailleurs, que l’attribution de la Légion d’honneur à ce titre était "une prérogative du président de la République".

La latitude du chef de l’État est grande car le cadre est sommaire : "Les visites d'État sont également l'occasion d’attributions de la Légion d’honneur aux personnalités officielles, faites au titre de la réciprocité diplomatique et soutenant ainsi la politique étrangère de la France".

Ainsi, lorsque Jacques Chirac remet la grand'croix de la Légion d’honneur au jeune président syrien Bachar al-Assad, en marge d’une visite officielle à Paris en juin 2001, rien ne filtre. Ce n’est que des années plus tard, en 2009, que l'ambassade de Syrie dévoilera l'information à l'auteure du livre "Les Grand'Croix de la Légion d'honneur", Béatrice Wattel.

La légion d'honneur à Vladimir Poutine ? "Une insulte", pour RSF

En 2006, le même Jacques Chirac tenta de décorer Vladimir Poutine selon le même modus operandi. Mais l’indiscrétion d’une caméra russe déclencha l’indignation générale. "Qu'un prédateur de la liberté de la presse soit élevé à la dignité de grand'croix de la Légion d'honneur est une insulte faite à tous ceux qui, en Russie, luttent pour la défense de la liberté de la presse, la liberté d'être informé et pour l'existence d'une démocratie effective dans ce pays", s'insurgea en conséquence Reporters sans frontières (RSF).

Mais Jacques Chirac n’est pas le seul président français à avoir remis la grand'croix de la Légion d’honneur à des dirigeants controversés. Avant lui, Charles de Gaulle a remis la Légion d'honneur au dirigeant roumain Nicolae Ceausescu et François Mitterrand a décoré l'ancien président tunisien Ben Ali. Après lui, Nicolas Sarkozy a distingué le président du Gabon, Ali Bongo, tandis que François Hollande remettait la Légion d'honneur au prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Nayef. Une liste potentiellement non exhaustive puisque d’autres récipiendaires indélicats ont pu être décorés sans que cela soit connu.

Pour l’État français, le cap du "trop, c'est trop" a toutefois été atteint en 2010, lors de l’extradition des États-Unis vers la France du dictateur panaméen Manuel Noriega pour y purger une peine de dix ans de prison pour blanchiment d’argent issu du trafic de drogue. Or, ce dernier avait été décoré de la Légion d’honneur en 1987. Le code de la Légion d’honneur est aussitôt modifié par un décret pour que la décoration puisse être retiré à un étranger "condamné pour crime ou à une peine d’emprisonnement sans sursis au moins égale à un an" ou s'il a "commis des actes ou eu un comportement susceptibles d’être déclarés contraires à l’honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l’étranger ou aux causes qu’elle soutient dans le monde".

Une jurisprudence qui rend donc théoriquement possible le retrait de la légion d’honneur à un Bachar al-Assad. Interrogé jeudi à ce sujet, le porte-parole du gouvernement n’a pas fermé la porte à une telle démarche : "Sur tous les sujets qui pourraient porter ombrage à la France, il y a des échanges entre le président de la République et l’ordre national de la Légion d'honneur pour trouver des modalités et des solutions de retrait possible", a indiqué Christophe Castaner.

Mais quand bien même Bachar al-Assad se verrait retirer son ruban rouge, l'opinion publique en serait-elle informée   ? Du côté de la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, on indique, en effet, que "par symétrie" quant aux attributions, les retraits de Légion d’honneur attribués par réciprocité diplomatique "ne sont pas publiés au JO".