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La Tunisie se dote d'une loi historique contre "les violences faites aux femmes"

Une loi "historique" votée mercredi en Tunisie renforce la protection des femmes victimes de violences et abolit des dispositions rétrogrades, comme la possibilité pour un violeur d'épouser sa victime mineure pour éviter les poursuites.

"C'est un moment très émouvant et nous sommes fiers en Tunisie (...) d'avoir pu nous réunir autour d'un projet historique". Naziha Laabidi, ministre de la Femme, n’a pas caché son émotion et sa satisfaction après l’adoption par le Parlement tunisien, mercredi 26 juillet, d’une loi très attendue contre les violences faites aux femmes.

Après de longs débats et tractations, la législation a été adoptée à l'unanimité des 146 députés présents (sur 217 élus). La loi, qui entrera en vigueur six mois après sa publication au Journal officiel, vise à "en finir avec toutes les formes de violences contre la femme", physiques, morales, sexuelles...

"Ces violences ne sont plus une question privée"

"Ce qui se dégage de la philosophie de la loi, c'est que ces violences ne sont plus une question privée. C'est une question qui concerne maintenant l'État et la preuve, c'est que le retrait de la plainte n'arrête plus les poursuites", s'est réjoui la députée Bochra Belhaj Hmida.

"Cette nouvelle loi va changer énormément de choses, dans la mesure où elle pénalise toutes les formes de violences faites aux femmes. (...) Il faut souligner qu'il s'agit d'un des textes de loi les plus avancés dans le monde en la matière, le plus avancé dans le monde arabe", souligne sur France 24 Sophie Bessis, chercheuse à l’IRIS et ancienne secrétaire générale adjoint de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), en charge du groupe d'action pour le droit des femmes.

"La nouvelle loi tunisienne fournit aux femmes les outils adéquats pour demander à être protégées contre des actes de violence de la part de leurs maris, de membres de leur famille ou autres", s'est fécilitée de son côté Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch (HWR).

Concrètement, cette loi permet aux femmes de demander au tribunal une ordonnance de protection contre leurs agresseurs sans même passer par une plainte au pénal ou une requête en divorce s’il s’agit de leur mari. Ces ordonnances peuvent, entre autres, exiger que l’auteur présumé de violences quitte le domicile ou qu’il se tienne à distance de la victime et de leurs enfants, ou encore lui interdire de commettre de nouvelles violences, d’émettre des menaces, d’endommager les biens de la victime ou de la contacter.

La texte prévoit une assistance juridique et psychologique aux victimes et instaure des programmes spécifiques pour ancrer "les principes des droits humains et de l'égalité entre les genres" dans l'enseignement. Il comprend aussi des dispositions sur le harcèlement dans l’espace public et la discrimination économique.

La fin d'une "disposition infâme"

Il modifie également le très controversé article 227 bis du Code pénal, supprimant la disposition qui prévoit l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel "sans violences" avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime.

"Il s'agissait d'une disposition infâme dans le droit tunisien, d'une disposition qui laissait les jeunes filles victimes de viol dans une situation de danger, de vulnérabilité accrue. Avec l'abrogation de cet article, on retourne vers un droit moderne, un droit qui prend en considération le statut de victimes et leur bien-être psychologique, plutôt que des notions très vagues comme la protection de la famille ou l'honneur qui prévalaient auparavant", estime Amna Guellali.

HWR s'inquiète cependant du financement des mesures prévues par la nouvelle loi "que ce soit pour les refuges gouvernementaux ou ceux gérés par des associations" ou en ce qui concerne "un soutien financier rapide ou une assistance pour trouver un hébergement à long terme".

En Tunisie, les femmes subissent des taux élevés de violence familiale, avec au moins 47 % de femmes ayant vécu une expérience de violence dans le cadre familial, selon une étude de 2010 de l’Office national de la famille, citée par HWR. Le pays est toutefois considéré comme une pionnier en matière de droits des femmes dans le monde arabe et la nouvelle Constitution adoptée en 2014 stipule que les "citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs".

Avec AFP