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Yémen : smartphones, Starlink, réseaux sociaux… la répression digitale menée par les Houthis
À travers la campagne en ligne dite “Midri” - expression yéménite qui signifie “je ne sais pas” - les rebelles houthis imposent une forme de silence à la population, l’incitant à ne pas communiquer d’information notamment sur les frappes américaines. Officiellement, cette politique est présentée comme une mesure de sécurité. Mais elle s’apparente surtout à un outil de répression visant à museler les voix dissidentes et imposer un contrôle total de la population.
Par : Djamel Belayachi Suivre

Le 18 mars, une directive du ministère de l'Information des Houthis interdisait à la population de publier des images des frappes aériennes américaines, de communiquer les noms des victimes des frappes, ou d'identifier des zones touchées par les opérations militaires. Les Houthis, milice soutenue par l’Iran, qui contrôlent l’est du Yémen dont la capitale Sanaa, s’en prennent à des bateaux américains et israéliens sur le canal de Suez, et ont été la cible, en retour, de l’armée américaine, jusqu’à un cessez-le-feu, instauré le 6 mai. 

Dans la foulée, le ministère de l’Information a lancé une campagne sous le nom “Midri” (“je ne sais pas”) sur les plateformes X, Facebook,Telegram et Instagram pour inciter la population au silence. Le compte “midri” sur X publie ainsi quasi quotidiennement des vidéos de “sensibilisation” incitant les populations à se prémunir des “tentatives de piratage” et des “écoutes” sur les téléphones, ou encore à s’abstenir d’utiliser les antennes Starlink, le service d'Internet par satellite d'Elon Musk, considéré comme un outil d’espionnage qui permettrait à l’armée américaine d’identifier ses cibles. 

Yémen : smartphones, Starlink, réseaux sociaux… la répression digitale menée par les Houthis

La campagne a aussi son hashtag #مدري (Midri) relayé par des militants pro-houthis ou des responsables houthis, souvent accompagné de dessins, de memes ou des vidéos humoristiques. 

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Si un cessez-le-feu a été conclu entre les Houthis et les États-Unis, la milice continue de viser Israël, en soutien avec les Palestiniens de Gaza. 

"Quand les civils publient ce qu’ils voient, le régime perd le contrôle du récit"

Pour Fatima Abo Alasrar, chercheuse non résidente au Middle East Institute, les Houthis utilisent la campagne “Midri” pour contrôler le narratif sur la guerre :

Les Houthis redoutent les smartphones parce qu’ils leur enlèvent leur monopole sur la ‘vérité’. Quand les civils publient ce qu’ils voient, le régime perd le contrôle du récit qu’il tente de fabriquer, que ce soit sur les caches d’armes, la corruption ou le détournement de l’aide humanitaire. Cela sape l’image vertueuse qu’ils veulent projeter, en passant par les modes de vie somptueux des commandants, alors même que l’économie du Yémen s’effondre. C’est extrêmement embarrassant pour la milice et cela sape l’image vertueuse qu’elle tente de projeter.

Les Houthis contrôlent plusieurs opérateurs de télécommunications au Yémen : la Public Telecommunication Corporation (PTC), Yemen Mobile Company et  YOU Telecom. 

Selon un rapport de l’ONG Counter Extremism project publié en octobre 2023, les Houthis utiliseraient ces opérateurs pour contrôler les communications des populations et collecter des informations sur les opposants, aussi bien à l’intérieur qu’à l'extérieur des territoires sous leur contrôle. 

"Les Yéménites doivent constamment surveiller leurs paroles"

Pour Fatima Abo Alasrar, la campagne Midri s'inscrit dans ce dispositif global de surveillance :  

“Midri” fait partie d’un dispositif plus large de répression : censure intense, ralentissements d’Internet, voire coupures en période de tension... Cela crée un environnement où les Yéménites doivent constamment surveiller leurs paroles, même dans des conversations privées, de peur qu’un informateur ne les dénonce.

Selon le rapport de Counter Extremism project,  les Houthis sont capables de surveiller les communications non seulement en fonction de la carte SIM, mais aussi en utilisant l'identifiant unique de l'appareil (probablement l'IMEI). Cela permet de traquer les individus même s'ils changent de carte SIM. 

L’ONG affirme aussi que depuis 2022, un groupe de cyber-espionnage baptisé OilAlpha, soupçonné d’être lié aux Houthis, a mené des campagnes ciblées contre des journalistes, travailleurs humanitaires et membres d’ONG. En se faisant passer pour des organisations telles que l’Unicef ou CARE International, les hackers propagent des applications Android piégées, contenant des logiciels espions comme SpyNote ou SpyMax. Une fois installées, ces applications donnent un accès complet à l’appareil : messages, appels, localisation, caméra, fichiers. 

Fatima Abo Alasrar poursuit : 

Cette politique du silence imposé façonne la vie quotidienne par la peur. Les gens ont peur de parler, de partager des images, sachant que dire la vérité peut leur valoir une arrestation, voire pire (...). Cela creuse encore davantage le fossé entre les Houthis et la population qu’ils contrôlent. 

Starlink pour contourner la censure

Le conflit au Yémen, qui dure depuis 2014, a gravement affecté les infrastructures de communication du pays, rendant les dispositifs comme Starlink particulièrement appréciés de la population. 

Des dispositifs Internet de Starlink sont acheminés en contrebande vers les zones sous contrôle des Houthis, depuis les pays voisins comme Oman et l'Arabie saoudite. Une enquête du réseau de blogueurs Global Voices révèle l’existence de groupes d'activistes clandestins qui aident les Yéménites à acquérir ces dispositifs et à les utiliser de façon discrète. 

Le 15 mai, les Houthis ont annoncé, via l’agence de presse Saba, la confiscation de tous les dispositifs, “sous peine de sanctions”. 

Yémen : smartphones, Starlink, réseaux sociaux… la répression digitale menée par les Houthis

"Un fournisseur d’accès sous leur coupe leur permet de surveiller les activités en ligne"

Pour Fatima Abo Alasrar, cette interdiction répond à une double logique : 

L’interdiction de Starlink répond à deux logiques. La première, c’est de forcer les Yéménites à utiliser le fournisseur contrôlé par les Houthis, car la diversification des moyens de communication les intimide : cela leur fait perdre une source de revenus. La seconde, c’est une question de contrôle : un fournisseur d’accès sous leur coupe leur permet de surveiller de près les activités en ligne et de détecter ce qu’ils perçoivent comme une menace. 

Le dispositif Starlink permet de contourner la censure imposée par les Houthis qui, selon des médias yéménites, ont bloqué l’accès à des centaines de sites d’informations et restreint ponctuellement l’accès à certains réseaux sociaux.

Cette interdiction de Starlink est aussi utilisée dans leurs campagnes de propagande : ils s’en servent pour afficher une posture anti-occidentale, voire anti-Trump, afin de renforcer leur image anti-américaine auprès de leur base et détourner l’attention du fait qu’ils s’enrichissent grâce à un monopole sur ce secteur.

Les Houthis mènent régulièrement des arrestations de journalistes et de membres de la société civile. En 2024, des dizaines d’arrestations avaient même visé treize employés de l’ONU et de nombreux employés d’ONG travaillant dans les territoires sous le contrôle des Houthis.