La procureure de la République Luisa Ortega est l'une des critiques les plus virulentes au gouvernement de Nicolas Maduro, au Venezuela. Une voix qui porte d'autant plus qu'elle est elle-même issu des rangs chavistes.
Au milieu des voix s'opposant au président Nicolas Maduro, celle de Luisa Ortega détonne. Le gouvernement du Venezuela, toujours prompt à qualifier l'opposition de coup d'état d'inspiration conservatrice et libérale, ne peut pas en dire autant de la procureure générale de la République : elle est une fervente admiratrice de l'ancien président Hugo Chavez, dont l'actuel gouvernement a juré de défendre l'héritage.
Luisa Ortega aussi. Elle a promis de défendre la Constitution de 1999, mise en place par l'instigateur de la révolution bolivarienne, "avec sa vie" s'il le fallait. En mars dernier, elle a surpris le gouvernement de Nicolas Maduro en transformant son allocution annuelle en tribune pour condamner fermement la volonté du président de marginaliser le Parlement du pays.
Multipliant les critiques à l'égard de l'exécutif, Luisa Ortega est de nouveau sous le feu des projecteurs en ce début juillet. Après avoir appelé les Vénézuéliens à "défendre la République" lundi 3 juillet, elle a refusé de comparaître devant la Cour suprême le jour suivant, dénonçant un procès dont l'issue "est connue d'avance".
Pour le moment, Nicolas Maduro a résisté aux manifestations de la rue, à un Parlement contrôlé par l'opposition antichaviste et à la réprobation des gouverneurs régionaux mais la fronde de Luisa Ortega, fidèle de la première heure de la révolution bolivarienne, est sans doute la plus grave des menaces que l'exécutif ait eu à affronter. Une menace qui pourrait fracturer le camp gouvernemental.
"L'État ne respecte plus la loi."
Luisa Ortega, 59 ans, est avocate de carrière. Elle a rejoint le ministère de la justice en 2002 et est rapidement devenue une proche conseillère d'Hugo Chavez. Elle était d'ailleurs au premier rang lors de ses funérailles en 2013. Elle a été nommée procureure générale de la République en 2014 pour un mandat censé durer 7 ans.
Mais sa relation avec le gouvernement socialiste a pris un nouveau tournant le 31 mars. Dans son allocution annuelle, elle dénonçait alors la décision de la Cour suprême pro-Maduro de confisquer les pouvoirs du Parlement. "Une violation de l'ordre constitutionnel" pour la magistrate.
Selon Hugo Perez Hernaiz, un politologue vénézuélien, cette déclaration fracassante n'avait rien d'une surprise. Dans plusieurs décisions et discours, elle avait déjà subtilement laissé entendre son opposition : "Rétrospectivement, on voit qu'elle critiquait le gouvernement. Mais elle le faisait à chaque fois en reprenant les codes chavistes. C'était donc difficile à repérer", explique l'universitaire à France 24.
Depuis, elle a musclé son jeu. Le 3 mai, alors que les manifestations ont fait 30 victimes en un mois, elle déclare au Wall Street journal : "On ne peut pas exiger des manifestations pacifiques de la part des citoyens si l'État ne respecte plus la loi."
Deux semaines plus tard, elle écrit une lettre ouverte pour s'opposer à la tenue de l'élection d'une assemblée chargée de réécrire la Constitution le 30 juillet. Une décision de Nicolas Maduro dénoncée comme une manœuvre pour garder le pouvoir. Luisa Ortega assène que cette élection ne résoudra en rien la crise politique et économique que traverse le pays.
Le 28 juin, elle dénonce la répression des manifestations comme du "terrorisme d'état". Au moins 91 personnes ont perdu la vie au cours des manifestations, émeutes et pillages qui ont agité le pays ces trois derniers mois. Des violences qui touchent aussi bien les opposants que les partisans du gouvernement.
Enfin, le 8 juillet, Luisa Ortega qualifie la libération du leader de l'opposition Leopoldo Lopez de tentative du président Maduro pour "blanchir son image". "Mais on ne peut utiliser une personne privée de liberté comme si c'était un otage et en faire un objet de négociation", a-t-elle accusé, rappelant que plusieurs autres opposants emblématiques étaient toujours derrière les barreaux.
Le camp Maduro contre-attaque
Le gouvernement Maduro ne ménage pas ses efforts pour marginaliser son ancienne alliée. Le député chaviste Pedro Carrero a déposé une plainte contre la procureure générale, dénonçant "de sérieuses erreurs commises dans l'exercice de ses fonctions" ainsi que sa "démence". Sa démission est exigée. Début juillet, le vice-président Tareck El Aissami accuse Luisa Ortega de faire partie des groupes cherchant à renverser le gouvernement.
Nicolas Maduro ne s'est pas lui-même exprimé. Mais, pour Hugo Perez Hernaiz, cela ne serait "qu'une question de temps" avant qu'il ne la réprimande publiquement : "Il y a une sorte de protocole pour accuser ceux désignés comme ennemis du gouvernement. Un haut-fonctionnaire ou un général commenc, puis un autre représentant de l'État, et ainsi de suite... C'est typique de la manière d'opérer du gouvernement et je suis sûr que ce sera bientôt le tour de Maduro", explique-t-il.
La Cour suprême, acquise au gouvernement, a décidé de geler les biens de la procureure et prononcé une interdiction de quitter le territoire. En retour, Luisa Ortega a demandé protection auprès de la commission interaméricaine des droits de l'Homme.
La difficile alliance de l'antichavisme et du chavisme critique
Face à la prise de parole critique de Luisa Ortega, l'opposition politique est partagée sur la position à adopter face à cette ancienne disciple de Chavez, qui avait lui-même choisi Maduro comme successeur.
Une frange non négligeable de l'opposition refuse catégoriquement un rapprochement avec les chavistes, fussent-ils critiques du gouvernement en place. Les plus complotistes d'entre eux voient même dans les positions d'Ortega une manœuvre ourdie par Maduro pour maintenir la mainmise socialiste sur le pays.
Selon Hugo Perez Hernaiz, le pragmatisme politique a néanmoins convaincu une majeure partie de l'opposition d'accueillir Luisa Ortega à bras ouverts afin de dénoncer de manière unie l'élection de la Constituante du 30 juillet. Cependant, le politologue estime que le fait qu'elle intègre ou non l'opposition sera moins déterminant que sa capacité à inspirer d'autres chavistes à se désolidariser du gouvernement.
"Il est difficile de croire qu'elle agit de manière complètement isolée, ce serait prendre un très gros risque. Il sera intéressant d'observer si un effet domino ne va pas se créer. D'autres responsables pourraient la soutenir d'ici à l'élection", conclut-il.