Fréquemment accusé de bâillonner la liberté d'expression et de réprimer toute forme d'opposition, le pouvoir égyptien a décidé de bloquer plus d’une vingtaine de sites Internet mercredi, au grand dam des défenseurs des libertés.
Museler à tour de bras. Le pouvoir égyptien, qui cherche à contrôler la liberté d'expression dans le pays, semble avoir de plus en plus de mal à supporter toute forme de critique. Dans son viseur : des médias d’opposition, les réseaux sociaux, des journalistes, des opposants et des militants des droits de l’Homme.
Le dernier exemple en date de cette politique de censure en cours en Égypte est intervenu mercredi avec le blocage de plus d’une vingtaine de sites Internet. Si parmi ceux-ci figurent plusieurs médias qataris ou financés par Doha, comme le site de la chaîne qatarie Al Jazeera, honnie par le Caire et accusée de soutenir la confrérie des Frères musulmans, d’autres médias, critiques envers le président Abdel Fattah al-Sissi, ont également subit les foudres de la censure.
Ainsi, Mada Masr, un média indépendant et progressiste égyptien, qui a publié des enquêtes sur la corruption et la répression de l’opposition dans le pays, est inaccessible. Idem pour le HuffPost Arabi, le site en arabe du média américain The Huffington Post, qui avait publié plusieurs articles critiques envers le gouvernement égyptien.
"Nous avons la confirmation que le site de Mada Masr a été bloqué, restez connectés pour savoir où nous retrouver", a tweeté jeudi matin le média qui a publié sur les réseaux sociaux un dessin de presse montrant une porte fermée en plein milieu du désert.
"Une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes"
Pour justifier ces mesures, une source de sécurité, citée par l'agence de presse officielle égyptienne Mena, a expliqué que les sites avaient été fermés et feraient l’objet de poursuites en raison du soutien qu'ils apportent au terrorisme. En 2015, l’Égypte avait adopté une nouvelle loi antiterroriste, très controversée, prévoyant de très lourdes amendes pour les journalistes qui rapporteraient des informations contredisant les communiqués officiels.
Décrite par Reporters sans frontières (RSF) comme étant l’une "des plus grandes prisons du monde pour les journalistes", l’Égypte est 161e au Classement mondial de la liberté de la presse 2017, qui mesure le degré de liberté dont jouissent les journalistes dans 180 pays.
L’ONG avait vivement dénoncé la condamnation, le 25 mars dernier, à un an de prison avec sursis de l’ancien président du syndicat des journalistes égyptiens et de deux autres membres, accusés d’avoir abrité deux journalistes recherchées par la justice.
Haro sur Facebook
Outre le musellement des médias, le contrôle d’Internet et des réseaux sociaux, qui avaient joué un grand rôle lors du renversement de l’ancien président Hosni Moubarak en 2011, semble être un enjeu capital pour le pouvoir égyptien. "Il y a près de 40 millions d’internautes en Égypte et cet espace de liberté est vital pour tous ceux qui veulent exprimer leur opinion et qui n’ont pas accès aux médias et aux journaux publics", confiait récemment à France 24 Yehia El Gammal, écrivain et activiste égyptien.
Du côté de l’AFTE (Association for Freedom of Thought and Expression), une ONG qui défend la liberté d’expression, on rappelle que "bon nombre d’Égyptiens ont eu à répondre de leurs écrits sur les réseaux sociaux, certains ont même été poursuivis, voire emprisonnés pour insultes contre le président ou propagation de fausses informations".
Fin avril, un projet de loi émanant d’un député égyptien, Riad Abdel Sattar, visant à contrôler drastiquement les utilisateurs de Facebook, qui compte plus de 30 millions inscrits en Égypte, avait fuité dans la presse locale. Concrètement, au nom de la lutte contre le terrorisme, les internautes seraient obligés de demander aux autorités des codes d’accès personnalisés, liés à leur carte d’identité, pour accéder à Facebook, ou à Twitter. Tout contrevenant risquerait une peine de prison.
Un autre parlementaire, Mohamed Kaci, a quant à lui suggéré de créer un Facebook parallèle égyptien, calqué sur le modèle du WeChat chinois.
D’aucuns expliquent ce climat de répression de la liberté d’expression par l’approche de l'élection présidentielle organisée l'an prochain. Le 23 mai, Khaled Ali, un avocat des droits de l'Homme et ancien candidat à la présidence, a été arrêté suite à des accusations d'"atteinte à la morale publique".
Et ce, après la publication d'une photo sur laquelle il est soupçonné de faire un "geste obscène de la main" devant un tribunal. Membre d'un parti de gauche, Khaled Ali a récemment laissé entendre qu'il pourrait se représenter à la présidentielle contre le président sortant, Abdel Fattah al-Sissi. Soit peut-être la vraie raison de ses tourments judiciaires.