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Foulard islamique au travail : les dessous de la décision européenne

La Cour de justice de l'Union européenne basée à Luxembourg a tranché : une entreprise peut interdire dans son règlement intérieur le port visible de signes religieux, comme le foulard islamique. Que signifie cette décision ? Explications.

Les employeurs peuvent interdire le port de signes religieux ostensibles sous certaines conditions. La Cour de justice européenne (CJUE) a tranché, mardi 14 mars, sur la délicate question du port du foulard islamique au travail, après deux cas distincts en France et en Belgique.

Les juges européens ont admis qu'une entreprise puisse interdire le port de signes religieux, philosophiques ou politiques visibles, comme le foulard, si cela est prévu par le règlement interne d'une entreprise. "La Cour dessine ainsi un cadre qui prévoit une interdiction concernant toutes les confessions religieuses et les convictions politiques", précise Nicolas Hervieu, juriste spécialisé en droit social et droit européen, "afin d'éviter de stigmatiser une religion plus qu'une autre". 

Important : Pour la #CJUE, interdiction possible de signes religieux en #entreprise si prévue par une règle interne. https://t.co/3xksMejqHy pic.twitter.com/t2YykJPIp4

— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) 14 mars 2017

Précisé dans le règlement intérieur des entreprises

Sollicitée par les Cours de cassation française et belge pour interpréter la directive européenne de novembre 2000 sur la lutte contre les discriminations, la CJUE a rendu deux arrêts en ce sens.

Dans le cas belge, l'employée Samira Achbita avait annoncé à son patron, au bout de trois ans de présence dans l'entreprise, son désir de porter le foulard. Elle avait été licenciée après un rappel oral puis écrit de la consigne de neutralité. Les juges européens ont relevé que "l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée [...] ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions". 

Les juges luxembourgeois ont toutefois demandé à la justice belge de vérifier si le règlement de l'employeur s'appliquait de manière indifférenciée, s'il visait uniquement le personnel en contact avec les clients, ou encore s'il était possible de proposer un autre poste, sans contact avec les clients, à Samira Achbita.

Dans le deuxième cas, la Cour a émis un avis complémentaire. Une ingénieure française musulmane s'est vu demander par son employeur d’ôter son voile après avoir reçu une plainte d’un client. Faute de règle interne en matière de neutralité dans l'entreprise, la Cour a statué qu'un client ne peut imposer de ne plus recevoir de services fournis par une employée qui porte le foulard islamique.

Les juges ont invité la Cour de cassation française à vérifier si l’interdiction était "objectivement justifiée par la poursuite d’une politique de neutralité". En revanche, "la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive", précisent-ils.

Principe de neutralité introduit en France en 2016

Il reviendra donc à chaque cour, française et belge, de trancher. La question du port du foulard islamique reste complexe dans l'UE, où les opinions et les pratiques sont très variées. En France, la loi portée par la ministre Myriam El Khomri a introduit le "principe de neutralité" dans le droit du travail en 2016. 

La Cour européenne des droits de l’Homme — juridiction du Conseil de l'Europe qui siège à Strasbourg et juge en dernier recours les violations alléguées des droits fondamentaux — a commencé à établir sa jurisprudence sur la question des signes religieux en entreprise par deux arrêts concernant le Royaume-Uni et rendus en janvier 2013. Dans le cas d’une hôtesse de l’air chrétienne qui s’était vu interdire le port d’une croix autour du cou, la Cour de Strasbourg avait jugé la mesure illégitime, d’autant plus qu’elle ne concernait pas d’autres signes comme le turban sikh.

Elle avait en revanche validé la même interdiction formulée à une infirmière pour des raisons d’hygiène et de sécurité. "Les juridictions européennes semblent plus conciliantes avec les États et entreprises qui veulent réguler les signes religieux", reconnaît Nicolas Hervieu. 

En France, les convictions religieuses s’affichent de plus en plus sur le lieu de travail. Selon une étude réalisée en 2016 par l’Institut Randstad et l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre), 65 % des salariés disent avoir observé plusieurs manifestations du fait religieux dans leur entreprise, contre 50 % en 2015.