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Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
À Sin el Fil, à l’est de Beyrouth, dans les salles du Conservatoire national supérieur de musique, les étudiants apprennent le souffle, la justesse et la patience. Mais au fond, comme un peu partout au Liban, un seul nom semble guider leurs voix : Fairouz. Les chansons et la musique de la diva, qui fête ce vendredi son 91e anniversaire, ont traversé les générations et restent enseignées comme une langue à part entière.
Au Conservatoire national supérieur de musique, Fairouz et sa musique sont enseignées comme une langue à part entière. © Median, France 24

Au Conservatoire national supérieur de musique du Liban, à Sin el Fil, à l’est de Beyrouth, les étudiants répètent avec sérieux. Dans une des salles trône un piano accompagné de quelques pupitres et de partitions ouvertes sur des morceaux que tout le monde connaît.

Ici, on enseigne les maqâm-s (système modal de la musique arabe), les ornementations et les techniques de respiration. Sans qu’il soit besoin de le préciser, le nom de Fairouz revient dans chaque conversation. Sa voix a traversé les guerres et les générations. Aujourd’hui, elle s’étudie comme une matière à part entière.

Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
Les élèves du Conservatoire national supérieur de musique en pleine répétition, à Beyrouth. © Median, France 24

Dans la classe de chant oriental, la professeure Catherine Ghaly rappelle les bases : "On apprend la technique, mais aussi l’émotion et le sentiment d’appartenance. Avec Fairouz, on ne parle pas seulement de musique, on parle d’une culture, d’un langage et d’une identité."

À côté d’elle, le maestro Fadi Yaccoub souligne la continuité : "la musique des Rahbani [compositeurs et paroliers de la diva libanaise, NDLR] et la voix de Fairouz forment une école. Notre responsabilité est de transmettre sans trahir. Les étudiants doivent comprendre d’où viennent ces sons, comment ils s’écrivent et ce qu’ils disent du pays."

"On la chante comme on respire"

Les élèves écoutent, retiennent et appliquent. Parmi eux, Léa El Achkar, qui confie que "par ses chansons, Fairouz transforme le pays en musique. Quand on les chante, on se rend compte que chaque mot et chaque note raconte une époque du Liban." 

Rashad Aridi poursuit : "Elle réunit la joie et la tristesse, l’Orient et l’Occident. On la chante comme on respire, naturellement."

Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
La diva libanaise Fairouz se produit lors d'un concert à Beyrouth, au Liban, le 7 octobre 2010. © Hussein Malla, AP (archives)

Concentré sur sa partition, Soltane Ghaith insiste de son côté sur le travail : "Ses morceaux sont arrangés, exigeants mais transmissibles. C’est du patrimoine."

Nady Haddad confie que pour lui, "les œuvres de Fairouz font partie du quotidien". "On les apprend ici, mais on les vit dehors, souligne-t-il. C’est ça, l’héritage."

Luna Zalaket, elle, évoque un lien intime avec la chanteuse qui fête ce vendredi 21 novembre ses 91 ans : "Ses chansons m’ont aidée à traverser des deuils. Elles apportent une paix intérieure."

Une école, un héritage

Pour Hiba Al Kawas, présidente du Conservatoire national et ancienne chanteuse lyrique, l’enseignement de Fairouz dépasse la technique. "C’est une mémoire avant même d’être un apprentissage, dit-elle. Elle a chanté Zaki Nassif, Philemon Wehbé, Mohammed Abdel Wahab, Ounsi el-Hajj… Elle a imprimé sa signature sur des œuvres qu’on étudie aujourd’hui en classe. On lit la partition, on décortique, mais on ne peut pas détacher la chanson de sa voix."

Le maestro Fadi Yaccoub classe les partitions de l'artiste libanaise comme un corpus à part : "Transmettre sans la dénaturer, c’est notre mission. Ce n’est pas une nostalgie, c’est une discipline."

Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
Le maestro Fadi Yaccoub. © Median, France 24

Les étudiants, eux, s’approprient cette méthode sans la figer. "Le matin, il y a toujours Fairouz, comme une tasse de café, résume Ahmad Alaswad. Dans chaque maison libanaise, elle fait partie du rituel du réveil."

Hors des salles de cours du conservatoire, la voix de Fairouz accompagne en effet les gestes du quotidien. Dans les cafés, au volant ou dans les épiceries, elle surgit à travers les ondes, entre deux bulletins d’information.

Antony, 28 ans, barman à Jbeil, cité balnéaire et touristique au nord de Beyrouth, décrit cette présence familière comme un état de sérénité : "Quand j’écoute Fairouz, tout s’apaise. Sa voix ralentit le monde juste ce qu’il faut pour respirer."

Carole, 49 ans, gérante d’un bistrot à Beyrouth, évoque une autre dimension : "Pour moi, Fairouz, c’est la guerre et la traversée du temps. Elle a chanté pour tous. Sa force, c’est d’avoir tenu bon."

Deux générations, une même référence. Fairouz appartient au patrimoine musical du pays. Son influence dépasse la nostalgie. Le lien entre l’école et la rue est permanent, les mêmes chansons que l’on étudie au Conservatoire résonnent sur la matinale de la Radio libanaise. Là où tout a commencé.

Les frères Assi et Mansour Rahbani, auteurs-compositeurs qui ont façonné dès les années 1950 une école musicale libanaise (théâtre, poésie et mélodies accessibles), croisent la route de Fairouz alors qu’elle est une jeune voix de la radio libanaise. Leur complicité artistique se transforme en histoire humaine (Fairouz épousant Assi), et le trio devient l’un des piliers de la modernité musicale du pays.

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Dans les années 1970, Ziad Rahbani, leur fils, renouvelle l’écriture, modernise les arrangements et prolonge l’œuvre avec un langage plus urbain. Sa composition "Saalouni el Nas" ("Les gens m’ont posé des questions"), écrite pour sa mère, marque un tournant : le public y découvre une liberté nouvelle, une émotion plus directe, et un style qui mêle jazz, théâtre et musique orientale. Ce triangle, reconnu par les musiciens arabes comme par le public, explique la solidité d’un répertoire devenu commun.

"Le but, c’est que la musique de Fairouz reste vivante"

La discographie de Fairouz et ses performances scéniques racontent plus qu’une carrière. Pendant les années de guerre, sa voix a continué à rassembler. Les tournées à l’étranger ont relié la diaspora au pays, sans jamais rompre la neutralité artistique qui fait sa force.

Hiba Al Kawas le rappelle : "On enseigne souvent des pièces de Philemon Wehbé ou de Zaki Nassif chantées par elle. Dans l’académie, la règle est de partir du compositeur, mais avec Fairouz, on revient toujours à la voix."

Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
Répétition sous la houlette du maestro Fadi Yaccoub. © Median, France 24

De l’Olympia à Carnegie Hall, de Paris à Montréal, elle a représenté une langue et une esthétique sans en faire un étendard politique. C’est cette retenue qui a permis à son répertoire de rester intact, malgré les fractures du pays.

Au Conservatoire, l’apprentissage reste progressif. Pour les débutants, il s’agit de diction, de souffle et d’ornementations simples. Pour les chanteurs avancés : maqâm-s plus exigeants, phrasés longs, placement du timbre et écoute des arrangements. Comme pour interpréter "Le Beirut" ("À Beyrouth"), ou encore "Àdesh Kan Fi Nas" ("Combien il y avait de gens"). 

Fairouz, la diva iconique devenue muse éternelle des Libanais
Catherine Ghaly, professeure au Conservatoire national supérieur de musique. © Median, France 24

Catherine Ghaly précise que les cours consistent à "aligner la technique sur l’intention, tout en évitant d’imiter". "On cherche la justesse, pas la copie" précise-t-elle.

Le maestro Yaccoub conclut : "On modernise les méthodes d’enseignement sans trahir la matière. Le but, c’est que la musique de Fairouz reste vivante."