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Messes pour Pétain et Franco : le réveil des nostalgiques du vichysme et du fascisme ?
Quelques jours après la tenue d'une messe à Verdun en hommage à Philippe Pétain, condamné à la Libération pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison, l'annonce d'une cérémonie religieuse organisée à Paris en mémoire du dictateur espagnol Franco a suscité une nouvelle polémique. 

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Le chef d'État français Philippe Pétain (à droite) et le chef d'État espagnol Francisco Franco (à gauche) sont photographiés à Montpellier, dans le sud de la France, lors de leur rencontre le 13 février 1941. AFP - -
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Il y a 50 ans, le 20 novembre 1975, le général Franco mourait à l'âge de 82 ans après avoir gouverné l'Espagne d'une main de fer pendant près de quatre décennies. À la veille de cet anniversaire, l'annonce de l'organisation d'une messe en la mémoire du dictateur espagnol à Paris le 29 novembre a suscité un véritable tollé.

"À Paris, capitale de la Résistance et de l’antifascisme, de telles initiatives sont inacceptables. Elles offensent la mémoire des victimes du franquisme et portent atteinte aux principes fondamentaux qui fondent notre vivre ensemble", a immédiatement dénoncé sur X le sénateur et chef de file des communistes municipales à Paris Ian Brossat. D'autres personnalités politiques comme Thomas Portes, député LFI, ou de nombreux internautes sur les réseaux sociaux, ont également appelé à son interdiction.

Face à la polémique les organisateurs de cette messe ont annoncé, mardi, l'annulation de cette cérémonie religieuse. "En raison des pressions médiatiques exercées sur les lieux de culte", a annoncé le Cercle franco-hispanique (CFH) dans un communiqué publié sur le site Synthèse nationale, un site "d’information nationaliste et identitaire".

Le CFH "se voit obligé d’annuler la messe demandée pour le repos de l’âme du chef de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera, et du général Francisco Franco, chef de l’Etat espagnol pendant une quarantaine d’années", ajoute l’association en invoquant une "répression [qui] ne cesse de s’intensifier. Comme dans les pires années de violence en Espagne, la catholicité est attaquée de toute part".

Des hommages "marginaux"

Le Cercle franco-hispanique a été fondé en 1984 pour défendre la mémoire de José Antonio Primo de Rivera, l'un des fondateurs du fascisme espagnol. Depuis, le CFH organise chaque année une messe en sa mémoire, mais aussi celle de Franco et de Robert Brasillach, écrivain français collaborationniste exécuté à la Libération.

Pour Pierre Salmon, maître de conférences en histoire contemporaine à l'École normale supérieure, l'organisation d'une telle manifestation est le "résultat d'un travail de long haleine". "Les hommages à Franco et la défense de ses idées ont lieu depuis la guerre civile de 1936. Si ces manifestations n'ont jamais occupé une place de premier plan en Hexagone, elles se sont cependant maintenues à bas bruit pendant la dictature et les années qui ont suivi", décrit-il. "Depuis quelques dizaines d'années, des organisations d'extrême droite françaises et espagnoles ont d'ailleurs noué des dialogues autour de plusieurs thématiques, et la dictature en fait partie".

Jusqu'à présent, cette messe parisienne s'est déroulée dans une certaine indifférence. "Dans le contexte de forte polarisation politique actuelle, elle devient plus inacceptable, car certainement moins inoffensive. Prêter hommage à Franco ou à José Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange, parti fasciste, est une attaque contre la démocratie, celle de notre époque", estime l'auteur de "Un antifascisme de combat. Armer l'Espagne révolutionnaire (1936-1939)" (éditions du Détour). 

L’occasion de faire parler d’eux

Pour Pierre Salmon, ces "hommages sont quand même assez marginaux", mais les tentatives de révision mémorielles se sont succédé ces derniers jours. L'organisation, le 15 novembre d'une messe à Verdun en hommage à Philippe Pétain a également suscité une vive polémique. Deux jours après sa tenue, le procureur de la République a ouvert une enquête pour contestation de crime contre l'humanité contre Jacques Boncomain, le président de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), qui pourrait faire l'objet d'une dissolution. Ce dernier s'était en effet exprimé à la sortie de l'église devant la presse, soutenant notamment que Philippe Pétain avait été "le premier résistant de France", alors que celui a été condamné à la Libération pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison.

L'historien Laurent Joly a été "assez peu étonné" par l'organisation de cette messe car des "hommages à Pétain ont toujours été rendus et continuent de l’être". "Connaissant bien l’histoire des nostalgiques de Pétain, que j’ai relatée dans l’un de mes derniers livres "Le savoir des victimes" (éditions Grasset), et l’action de l’Association pour la Défense de la Mémoire du maréchal Pétain (ADMP), je sais que celle-ci a toujours été active et à l’affut de toute occasion de faire parler d’elle", précise ce spécialiste du régime de Vichy. 

Messes pour Pétain et Franco : le réveil des nostalgiques du vichysme et du fascisme ?
Le président de l'Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), Jacques Boncompain, devant l'église où a eu lieu une cérémonie en hommage à Pétain organisée par son association, le 15 novembre 2025, à Verdun dans la Meuse. AFP - JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

"Délibérément provocateur"

Le maire de Verdun Samuel Hazard (divers gauche) avait pris un arrêté pour interdire cet hommage par craintes de "trouble à l'ordre public", mais sa décision a été annulée par le tribunal administratif de Nancy. Au final, ce sont une vingtaine de personnes qui ont assisté à l'office en l'église Saint-Jean-Baptiste. "On est loin en 2025 de la tension qui régnait en 1951 quand l’archevêque de Paris parrainait une messe pour Pétain à Notre-Dame et que des centaines de résistants et de militants de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale défilaient sur le parvis au cri de 'Pétain assassin', 'Pétain collabo'", estime Laurent Joly. "Reste que le choix, cette année, de Verdun, qui accueille depuis 1994 un Centre mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l’Homme, est délibérément provocateur".

L'historien ne s'inquiète toutefois pas outre mesure de ce rassemblement dans une église : "Le pétainisme est vraiment devenu un mouvement résiduel, très lié à l’extrême droite la plus radicale et minoritaire". Pour lui, il faut surtout se méfier de "la propagation de fake news sur les réseaux sociaux ou dans de mauvais livres d’histoire, qui sèment la confusion sur ce qu’étaient le régime de Vichy et sa politique". Alors que des universitaires travaillent depuis des dizaines d'années sur cette période, certains, comme le leader du parti d'extrême droite Reconquête Eric Zemmour, continuer d'asséner des propos révisionnistes.

"On lit, au mépris des faits, que Vichy, c’était la 'gauche', que le régime était certes antisémite mais qu’il a sauvé les juifs français, etc. Ce confusionnisme ambiant, ce relativisme dans l’ère du temps sont délétères. Ils profitent de l’ignorance historique grandissante pour prospérer et 'blanchir' l’extrême droite en faisant oublier que ce sont les idées de celles-ci qui étaient au pouvoir sous Vichy !", insiste Laurent Joly. 

Une nostalgie qui fait écho chez les jeunes

Ce relativisme trouve également un écho en Espagne dans un contexte marqué là aussi par la montée au cours des dernières années du parti d'extrême droite Vox, troisième force politique du pays aujourd'hui. Comme chaque année, quelques dizaines de nostalgiques du régime se sont ainsi rassemblés sur la tombe de Franco à l'occasion des 50 ans de sa mort, désormais enterré dans un cimetière proche de Madrid après avoir été exhumé de son mausolée de la Valle de los Caidos (aujourd'hui Valle de Cuelgamuros) en 2019. Une messe doit aussi être célébrée dans la soirée de jeudi à Madrid à la demande de la famille de Franco et de la Fondation qui honore sa mémoire et dont le gouvernement vient de demander la dissolution.

Ces marques de nostalgie sont particulièrement visibles chez certains jeunes influencés par les réseaux sociaux. Selon une enquête publiée par El Pais, près d'un quart (24 %) des 18-28 ans considèrent ainsi qu'un régime autoritaire peut "parfois" être préférable à une démocratie (12 % chez les 61 ans et plus). Quelque 40 % des personnes interrogées dans cette même enquête ont une image très bonne, bonne ou neutre (ni bonne, ni mauvaise) du franquisme, contre 55 % qui en ont une image mauvaise ou très mauvaise.

Messes pour Pétain et Franco : le réveil des nostalgiques du vichysme et du fascisme ?
244 / 5 000 Des personnes font le salut fasciste au Panthéon où est enterré Francisco Franco, à l'occasion du 50e anniversaire de la mort du dictateur espagnol, le général Francisco Franco, au cimetière de Mingorrubio, en périphérie de Madrid, en Espagne, le 20 novembre 2025. AP - Manu Fernandez

Interrogé sur l'antenne de France 24 à ce sujet, Stéphane Michonneau, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, explique "que le consensus, qui a été établi à partir de 1945 en Europe et même aux États-Unis sur le fait qu'il fallait combattre le nazisme et le fascisme pour établir nos démocraties, commence à être remis en question et à ne plus forcément remporter l'adhésion chez des catégories les plus jeunes et notamment chez des jeunes garçons". "C'est un discours viriliste et masculiniste, qui fait écho à ce que pouvait être évidemment le franquisme. On le retrouve en Espagne assez clairement, avec des blogueurs et influenceurs d'extrême droite", précise l'auteur de "Franco. Le Temps et la légende" (édition Flammarion).

Mais ce discours ne fait pas directement appel au franquisme des années 1930 ou 1940. Il s'adapte à son époque. "Rendre hommage à Franco est une manière de réactiver certains discours sous-jacents : décrédibilisation de la gauche, goût prononcé pour l'usage de la force contre des ennemis politiques - voire les institutions, rejet de l'autre, etc. Aujourd'hui, en Espagne, les discours philofranquistes sont souvent associés aux haines contre les mouvements LGBTI, les migrants, les étrangers, les partis de gauche actuellement au gouvernement", précise l'historien Pierre Salmon.

Pour marquer son opposition à cette "nostalgie", le gouvernement espagnol a choisi de ne pas commémorer la mort de Franco, mais de célébrer "le début de la fin de la dictature", comme l'a résumé mercredi le ministre de la Mémoire démocratique Ángel Víctor Torres, présentant une série d'évènements qui seront organisés au cours de l'année à venir. 

"Ce 20 novembre marqua (...) le début d'un voyage qui devait nous mener à retrouver la liberté et la prospérité, et à reconquérir la démocratie perdue", a également écrit Pedro Sanchez le chef du gouvernement espagnol dans une tribune publiée sur le site d'eldiario.es, évoquant un "miracle" et un "succès presque unique". 

"C'est précisément maintenant, lorsque certains idéalisent des régimes autoritaires et s'accrochent à la nostalgie d'un passé qui n'a jamais été, que nous devons faire un pas en avant pour défendre une liberté qui nous a été arrachée pendant tant d'années", a-t-il poursuivi.