
Une vache dans une rizière devant la centrale thermique de Cao Ngan, une centrale à charbon, le mardi 28 janvier 2025, à Thai Nguyen, au Vietnam. © Yannick Peterhans, AP
C'est un levier qui permettrait d'agir vite, et efficacement, contre le réchauffement de la planète. Alors que les États bataillent depuis le début de la COP30, qui se déroule au Brésil jusqu'au 21 novembre, sur la meilleure façon de réduire les émissions de CO2, un petit nombre d'entre eux veulent s'attaquer à un autre puissant gaz à effet de serre : le méthane (CH4).
Dès les premières heures de cette grand-messe des négociations climatiques, une coalition d'une dizaine d'États, dont la France, le Royaume-Uni, le Japon, le Kazakhstan ou encore la Norvège, s'est engagée à "réduire considérablement" leur émissions de méthane liées au secteur des énergies fossiles.
Dans la foulée, le Brésil et le Royaume-Uni ont lancé un programme en trois ans visant à réduire leurs émissions de ce super-polluant dans l'ensemble des pays éligibles à l'aide publique au développement. Leur objectif : enrôler 30 pays d'ici 2030 en mobilisant 150 millions de dollars (environ 130 millions d'euros).
Des initiatives parallèles aux négociations officielles, soutenues par la Coalition pour le climat et l'air pur (CCAC), une fédération onusienne qui vise à combattre différents polluants atmosphériques, qui viennent s'ajouter à un combat plus large engagé il y a quatre ans. En 2021, à la COP26, plus de 150 pays, dont l'Union européenne et les États-Unis, avaient déjà affiché un objectif de réduction de leurs émissions de méthane d'au moins 30 % d'ici à 2030. Et depuis, une majorité a intégré cet objectif à leurs plans climat.
Mais cela reste insuffisant. Si leur progression a ralenti, les émissions de CH4 continuent d'augmenter, révèle un rapport publié lundi 17 novembre par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Les émissions mondiales d’origine humaine ont atteint environ 352 millions de tonnes par an en 2020 et devraient, au vu de la trajectoire actuelle, continuer à augmenter pour atteindre 369 Mt par an en 2030, soit 5 % de plus. Très loin, donc, de l'objectif d'une baisse de 30 %.
"Ce sont des progrès insuffisants quand nous connaissons l'urgence à agir", déplore Maxime Beaugrand, directrice du bureau de Paris de l’Institute for Governance and Sustainable Development. "Mais ces dernières déclarations tout au long de la COP montrent au moins que le sujet est désormais dans toutes les têtes et certains États affichent vraiment une volonté à avancer", nuance-t-elle, plus optimiste.
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Éviter un réchauffement de +0,2 °C
Moins connu que le CO2, le CH4 est pourtant lui aussi un puissant gaz à effet de serre avec un impact tout sauf négligeable. Avec son pouvoir réchauffant 80 fois supérieur à celui du CO2, il est responsable d'un tiers du réchauffement actuel.
Or, "s'il s'échappe dans l'atmosphère en partie naturellement, les activités humaines contribuent à 60 % de ces émissions", explique Euan Nisbet, chercheur à la Royal Holloway, University of London, et l’un des principaux spécialistes de l’impact climatique du méthane. Il provient de trois sources principales : "l'agriculture, avec la fermentation digestive de certains ruminants et la riziculture, l'extraction et le transport des énergies fossiles, notamment en raison de fuites, et le secteur des déchets, qui relâche du méthane en se décomposant", précise le spécialiste.
"Mais s'il est bien plus puissant que son cousin le CO2, il a aussi un avantage : il reste bien moins longtemps dans l'atmosphère, environ une dizaine d'années", poursuit-il. "En s'y attaquant, nous pourrions donc voir un effet rapide et à court terme." L'humanité pourrait ainsi éviter plus de 0,2 °C de réchauffement à l'horizon 2050 en tenant sa promesse de réduction de 30 % d'ici 2030, selon la CCAC.
"Si la lutte contre le CO2 est un marathon, celle contre le méthane est un sprint", résume Maxime Beaugrand. "Il faut faire les deux et jouer sur les deux tableaux. Aujourd'hui, limiter les émissions de méthane est peut-être la seule façon, à court terme, de reculer le moment où nous atteindrons les points de bascule climatique [des phénomènes qui, s'ils se produisaient, pourraient entraîner un effet d'emballement désastreux pour le climat et la vie humaine NDLR.]
Des mesures peu onéreuses et faciles à mettre en place
Et la bonne nouvelle, c'est qu’il est plus facile de réduire les émissions de CH4 que celles de CO2. Les mesures de réduction sont en effet nombreuses et souvent peu coûteuses.
Pour le moment, les efforts se concentrent surtout sur le secteur de l'énergie, qui représente environ 38 % des émissions. "Dans la plupart des cas, la principale source d'émissions sont des fuites au niveau de puits de pétrole, de gaz ou sur des gazoducs", explique le spécialiste. À cela s'ajoute le torchage du gaz naturel, un procédé qui consiste à brûler l'excédent de gaz provenant de puits, et qui libère plus de gaz que ce que l'on pensait.
Or, depuis quelques années, des satellites en orbite autour de la Terre sont capables de détecter les plus grandes fuites depuis l'espace. Parmi les mesures évoquées, les spécialistes listent donc des programmes de détection et de réparation des fuites et le bouchage des puits abandonnés dans le secteur pétrolier et gazier. "Des solutions éprouvées et à portée de main qui permettraient de réduire drastiquement les émissions jusqu'à 75 % d'ici 2030", insiste le rapport du PNUE. D'autant plus que pour ces entreprises, les bénéfices dépassent le coût de ces mesures, le gaz naturel récupéré pouvant être vendu plutôt qu'être perdu.
Et le constat est le même dans le secteur des déchets, qui représentent environ 20 % du méthane émis à l'échelle mondiale. "On peut faire beaucoup rien qu'en limitant les décharges à ciel ouvert", note le spécialiste. "Et cela aurait aussi un impact très positif sur la santé humaine en supprimant une grosse source de pollution."
On peut parvenir à une baisse de 32 % des émissions en mettant en œuvre intégralement une quarantaine de mesures prêtes, à bas coût et rentables", estime ainsi Martina Otto, la cheffe du secrétariat de la CCAC.
"Toutes les technologies nécessaires sont prêtes et faciles à mettre en place et les bénéfices seront aussi bien climatiques, qu'économiques et sanitaires", insiste Maxime Beaugrand.
Selon une étude de Science citée par le Guardian, une diminution d’un tiers des émissions de CH4 dans cinq ans représenterait une économie mondiale d'environ 1 000 milliards de dollars par an (867 milliards d'euros). La mise en œuvre de toutes ces mesures permettrait, en outre, d’éviter plus de 180 000 décès prématurés et 19 millions de tonnes de pertes de récoltes chaque année d’ici à 2030, selon le PNUE.
Vers un accord contraignant ?
"Et pourtant, cela patine", déplore la directrice du bureau de Paris de l’Institute for Governance and Sustainable Development. En cause, selon elle, un principal obstacle : aujourd'hui, la lutte contre les émissions de méthane ne tient qu'à un engagement volontaire des États. Et pour le moment, plusieurs pays restent aux abonnés absents. Parmi eux, l'Inde, la Chine et la Russie… pourtant de très grands émetteurs. Les États-Unis de Donald Trump, quant à eux, sont en train de détricoter leurs engagements.
"Aujourd'hui, nous devons donc aller vers un accord contraignant avec une coalition d'États prêts à se mobiliser", estime Maxime Beaugrand. Une initiative qui s’inspirerait du protocole de Montréal de 1987 qui a interdit les substances appauvrissant la couche d’ozone - un projet souvent brandi comme succès en matière de lutte environnementale.
C'est dans cette perspective que certains États ont désiré pousser le sujet à l'agenda de la COP30. Parmi eux, la France semble vouloir se positionner comme un pays moteur sur le sujet et a d'ores et déjà annoncé qu'elle en ferait une priorité lors d'une réunion en marge du G7 l'an prochain.
