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Dossier Epstein : comment Donald Trump peut encore limiter les révélations
La signature par Donald Trump de la loi appelant le ministère américain de la Justice à publier le dossier Epstein a été célébré comme une victoire contre les tentatives du président américain à garder ces documents secrets. Mais la loi prévoit des exceptions qui pourraient permettre à l’exécutif de ne révéler que ce qui ne peut pas nuire au président américain.
La loi pour la divulgation du dossier Epstein, signée par Donald Trump, comporte des dispositions permettant au président américain de limiter ce qui doit être rendu public AP - Mariam Zuhaib

Tout va-t-il enfin être révélé ? Le président américain Donald Trump a signé, mercredi 19 novembre, la loi pour rendre public le dossier Epstein, censé contenir tous les documents relatifs à la "liste de clients" et aux communications du criminel sexuel mort en prison en 2019.

Le texte, adopté à la quasi-unanimité des membres du Congrès, prévoit que le Département de la justice américain doit révéler le contenu de ce dossier dans les 30 jours. Cette fois-ci, Donald Trump a promis qu’il ne fera plus rien pour l’empêcher après avoir tout tenté pendant des mois pour s’y opposer. Les élus "pourront avoir accès à tout ce à quoi ils ont légalement droit. JE M’EN FICHE", a conclu le président américain sur Truth Social, son réseau social.

Deux exceptions prévues par la loi

Malgré les apparences d’un grand soir de la transparence totale à venir sur les liens du financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein, ce message suggère qu’il y aura probablement des limites à ce qui sera publié.

Que veut dire, en effet, "tout ce à quoi ils ont légalement droit". "Il y a des raisons tout à fait légitimes de limiter les informations rendues publiques et d’autres, prévues par la loi, qui peuvent être utilisées par l’administration Trump à des fins plus discutables", affirme Scott Lucas, spécialiste des questions de sécurité nationale américaine à l’université de Dublin.

"Le principe qui s’applique à tous les documents sensibles rendus publics est la protection des victimes", poursuit cet expert qui a souvent travaillé sur des documents déclassifiés. Il faut donc s’attendre à ce que de nombreux noms soient masqués, tout comme les informations pouvant permettre de les identifier.

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Dossier Epstein : comment Donald Trump peut encore limiter les révélations
© France 24
04:11

Ensuite, "la loi adoptée et signée par le président prévoit deux autres exceptions qui ont trait aux enquêtes en cours et à la protection contre les atteintes flagrantes à la vie privée", note Emma Long, spécialiste des questions constitutionnelles et de droit américain à l’université d'East Anglia de Norwich.

Ainsi, le département de la Justice peut décider de masquer certaines informations sur des individus qu’il pourrait juger trop sensibles. "Le principe serait, par exemple, que la publication de certains documents reviendrait à ruiner la réputation d’une personne privée qui n’a pas, à la lecture du dossier Epstein, commis d’autres crimes que d’avoir été en contact avec Jeffrey Epstein", explique Richard Johnson, spécialiste de politique américaine à l’université Queen Mary de Londres.

"Il y a une certaine ambiguïté sur qui définit la violation flagrante de la vie privée", reconnaît Emma Long. Laisser cette appréciation à la discrétion de la ministre de la Justice Pam Bondi risque de ne pas satisfaire les opposants à Donald Trump tant elle est considérée comme "une assistante politique du président américain", souligne Scott Lucas.

Elle pourrait être tentée de masquer toutes les informations concernant le président et ses alliés sous prétexte qu’il s’agit de violation flagrante de leur réputation.

Le parapluie des "enquêtes fédérales en cours"

Mais ce n’est pas l’option la plus simple pour dissimuler d’éventuelles informations compromettantes concernant les relations entre Donald Trump et Jeffrey Epstein. En effet, "la protection de la vie privée s’applique de manière beaucoup moins stricte pour des personnalités publiques comme Donald Trump", note Richard Johnson.

L’arme fatale pour Pam Bondi afin de protéger son président le plus longtemps possible serait l’exception "pour tous les documents relatifs à des enquêtes en cours", estime Scott Lucas. C’est, en théorie, un argument tout à fait valable : "La publication de documents pourrait compromettre des preuves essentielles à une enquête fédérale en cours", explique Emma Long.

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"C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’administration de Joe Biden n’a jamais publié le dossier Epstein : il y avait une procédure en cours contre Ghislaine Maxwell, l’associée de Jeffrey Epstein", rappelle Scott Lucas.

Les opposants à Donald Trump craignent d’ailleurs que le président ait déjà posé les jalons pour utiliser ce subterfuge. Il a, ainsi, demandé vendredi 14 novembre à Pam Bondi de lancer des enquêtes fédérales contre plusieurs personnalités démocrates dont les noms apparaissent dans le dossier Epstein. Certes, "il n’y aurait aucune raison de ne pas publier des documents relatifs à Donald Trump ou à des républicains pour protéger une enquête qui vise des démocrates", reconnaît Richard Johnson.

Cependant, "c’est la ministre de la Justice qui a, seule, accès à ces documents et elle peut très bien décider de ne pas publier des documents qui mentionnent Donald Trump tout en affirmant publiquement qu’il s’agit d’informations relatives à ces enquêtes", craint Scott Lucas.

Pam Bondi peut aussi très bien ouvrir d’autres enquêtes. "Elle n’est pas du tout obligée de révéler qui est la cible de la procédure", précise Emma Long. Autrement dit, elle peut lancer en grande fanfare des enquêtes contre des démocrates tout  en rajoutant d’autres investigations en catimini qui concerneraient des "amis politiques" à protéger.

Des recours limités pour les opposants à Trump

Même si les démocrates s’aperçoivent qu’il y a anguille sous Trump, leurs moyens d’action sont limités. "Il est toujours possible de poursuivre l’État pour contester des décisions relatives à la divulgation de documents. La décision finale revient alors à un juge fédéral", explique Richard Johnson. "Il y a deux options principales : contester la définition retenue par Pam Bondi de la violation de la vie privée ou alors soutenir que les documents non publiés n’avaient rien à voir avec une enquête en cours", estime Emma Long.

Mais les chances de succès de ces actions en justice apparaissent assez minces aux experts interrogés par France 24. "Il faudrait trouver un juge qui accepterait de se prononcer sur la définition retenue par la ministre de la Justice ce qui n’est pas facile, et avoir suffisamment d’informations sur une enquête fédérale en cours pour pouvoir contester la décision de ne pas publier certains documents. C’est peu probable sans avoir d’informations fournies par un lanceur d’alerte travaillant au sein de l’administration", estime Emma Long.

Si, malgré tous ces obstacles, la divulgation du dossier Epstein aboutit à des révélations compromettantes pour Donald Trump, ou qui le relie aux activités criminelles du financier, que risque-t-il ? "Il ne peut pas être poursuivi tant qu’il est président des États-Unis", souligne Richard Johnson.

Et une nouvelle procédure de destitution semble tout aussi peu probable car "il s’agit d’une possibilité de sanctionner un président pour des actes de trahison ou des délits commis alors qu’il était en exercice", souligne Emma Long. Ce qui n’est pas le cas dans le dossier Epstein.

Il faudrait donc attendre la fin du mandat de Donald Trump. Il resterait alors une grande question "qui agite les experts en droit constitutionnel depuis le premier mandat de Donald Trump : le président peut-il se pardonner lui-même ?", s'interroge Scott Lucas. Il n’y a, à ce jour, aucun consensus sur ce point…