
Une intervention de la police après des violences liées au trafic de drogue dans le quartier du Val-Saint-Jean à Saint-Lo, dans l'ouest de la France, le 13 octobre 2025. © Lou Benoist, AFP
Le fléau du trafic de drogue tisse sa toile jusque dans les petites communes rurales et s’installe petit à petit partout en France. Si le problème prend des proportions considérables à Marseille, où se sont rendus, jeudi 20 novembre, le ministre de l’Intérieur Laurent Nunez et le ministre de la Justice Gérald Darmanin – pour qui cette menace est "au moins équivalente à celle du terrorisme" –, les petites villes et les villages sont également concernés.
Ces deux dernières années, les associations d'élus n'ont cessé d'alerter sur l'emprise du narcotrafic, qui touche près de huit communes sur dix, selon un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2024. "C'est une vraie mafia et c'est en train de gangrener le territoire", a martelé mardi devant la presse David Lisnard, président de l'Association des maires de France (AMF) en ouverture du 107e congrès des maires et des présidents d’intercommunalité de France, quelques jours seulement après l'assassinat de Mehdi, le frère du militant Amine Kessaci, très engagé dans la lutte contre le trafic de drogue à Marseille.
Plusieurs édiles rencontrés jeudi à Paris dans les allées du parc des expositions de la porte de Versailles dressent le même constat. "Les petites communes sont maintenant touchées. Le problème s’intensifie depuis le Covid-19 et on voit que cela concerne toutes les catégories de la population", souligne Isabelle de Montgolfier, élue en 2020 maire (divers gauche) de Saussines, une commune de 1 000 habitants située dans l’Hérault.
"C’est un sujet de société qui devient catastrophique", se désole de son côté Jacky Quesson, maire (divers droite) depuis 1989 de Saint-Genis-de-Saintonge, un village de 1 400 âmes en Charente-Maritime. "J’ai fait installer une caméra à la sortie du collège, où il y a souvent des attroupements de jeunes. J’aimerais bien pouvoir en installer davantage, mais l’installation coûte cher et en plus il faut ensuite payer quelqu’un pour regarder les images", explique-t-il, un brin désabusé.
"Un trafic beaucoup plus sourd qui se passe dans les maisons"
Les maires n'ont jamais autant investi dans la sécurité, et en particulier dans leur police municipale. En 2024, une enveloppe globale de 2,28 milliards d'euros a été débloquée, un chiffre en hausse de 41 % en sept ans, selon l'Observatoire des finances locales. Et la France compte deux fois plus de policiers municipaux qu'en 2002, avec 28 000 agents, dont 80 % sont armés – 58 % parmi ceux étant armés sont dotés d'armes à feu.
Mais à l’image de Jacky Quesson, les maires des communes rurales ont peu de moyens pour tenter d’endiguer le trafic de drogue. Ils s’en remettent donc à la gendarmerie, avec laquelle le contact est permanent. Mais aussi à la vigilance des citoyens.
"Nous avons communiqué dans notre village pour demander aux citoyens d’ouvrir l’œil, de faire attention et de relever les numéros de plaque d’immatriculation des véhicules suspects", raconte Nathalie Gavoille, maire sans étiquette depuis 2014 de Trochères (200 habitants), à 25 km de Dijon en Côte d’Or, qui a identifié un point de deal à la sortie de son village.
"Mais on note surtout ces dernières années une ubérisation du trafic qui n’est plus si visible que ça. Les gens se font livrer à domicile, c’est un trafic beaucoup plus sourd qui se passe dans les maisons", souligne Isabelle de Montgolfier, également vice-présidente de la communauté d’agglomération de Lunel.
"Ce n’est pas avec le tout sécuritaire qu’on y arrivera"
L’autre évolution concerne les drogues consommées. Au cannabis s’est ajoutée la cocaïne, "qui s’est démocratisée et banalisée" selon la maire de Saussines.
Le dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), paru en janvier 2025, rapportait que 1,1 million de Français avaient consommé au moins une fois de la cocaïne en 2023, soit quasiment le double par rapport à 2017. Plus révélateur encore du phénomène dans les zones péri-urbaines et les zones rurales, les quantités de cocaïne saisies ont explosé, passant de 698 kg en 2022 à 6,6 tonnes en 2024, selon le média Ici (ex-France Bleu).
Dans ce contexte, les maires demandent une réponse pénale plus forte, mais aussi davantage de prévention. "On est en guerre contre la drogue mais ce n’est pas avec le tout sécuritaire qu’on y arrivera car ils seront toujours plus forts que nous", estime Jacky Quesson, qui se demande désormais si la solution ne serait pas de légaliser le cannabis.
"Il faut travailler sur les consommateurs, affirme Isabelle de Montgolfier. La drogue est une addiction liée à un mal-être, au climat politique, économique et international qui est anxiogène. Les gens consomment souvent pour oublier leur quotidien. Donc ce qu’il faut, c’est considérer la question comme un problème de santé publique. Il y a un vrai travail de prévention à faire, en particulier sur la jeunesse. Et l’État doit s’investir un peu plus car les maires se sentent un peu seuls quand même."
À quatre mois des élections municipales, le trafic de drogue s'est imposé comme l'un des principaux thèmes des débats, s’inscrivant dans la thématique plus large de la sécurité. Selon un sondage Ifop-La Tribune Dimanche, la sécurité arrive ainsi en tête des préoccupations des Français pour ce scrutin, en particulier dans les petites et moyennes communes allant jusqu'à 20 000 habitants.
