
La pièce de théâtre "Les deux réfugiés" raconte les déboires de deux Syriens en exil. Entre humour et nostalgie, Mohamad et Ahmad Malas emmènent le spectateur dans la vie des réfugiés. Un spectacle engagé qui rend la parole aux migrants.
"Merde ! Tout est difficile en France". Dans un petit théâtre du nord de Paris, Ahmad et Mohamad Malas, deux frères jumeaux originaires de Syrie qui ont fui leur pays ravagé par la guerre, racontent pendant une heure les difficultés de l’exil en France. Sobrement intitulée "Les deux réfugiés", la pièce se joue tous les vendredis soir au théâtre Pixel jusqu’au 24 février.
Un théâtre clandestin en Syrie
Passionnés de théâtre depuis toujours, Mohamad et Ahmad défiaient le régime syrien en se produisant dans leur propre appartement de Damas. Pour présenter leurs pièces non autorisées par le gouvernement, les deux frères avaient installé un théâtre clandestin chez eux, "une chambre de théâtre" comme ils aiment le décrire. En deux ans, près de 200 représentations ont ainsi été données.
Après avoir passé cinq jours en prison au début de la révolution syrienne pour avoir manifester contre le régime, les jumeaux échappent de peu à une nouvelle arrestation et s’enfuient au Liban. Mais menacés par le Hezbollah, principal soutien du président syrien, Mohamad et Ahmad s’envolent pour l’Égypte à la fin de l’année 2011. Mais ils ne cessent de raconter la révolution syrienne à travers plusieurs court-métrage.
En 2012, à l’occasion d’un festival de théâtre à Grenoble, les jumeaux demandent l’asile en France. En attendant l’obtention du statut officiel de réfugié, ils font face aux premières galères. Sans toit ni argent pour se nourrir, Mohamad et Ahmad s’approvisionnent aux Restos du cœur et dorment chez des amis syriens ou dans une mosquée de Reims. C’est dans cette ville, où ils résident encore aujourd’hui, que nait le spectacle "Les deux réfugiés" avec pour but de "montrer la réalité de la vie d’un réfugié", expliquent en cœur les frères. Écrite au départ dans leur langue maternelle, Ahmad et Mohamad jouent aujourd’hui la pièce pour la première fois en français, une langue qui leur était encore totalement étrangère il y a quatre ans.
L’humour comme moyen d’expression
Sur scène, Mohamad, lunettes sur le nez et cheveux grisonnants, joue le rôle d’un vieil homme tandis que Ahmad, la tête bandée après un accident de la circulation, celui d’un jeune débordant d’énergie. Leur seul et unique lien est la difficulté d’adaptation à leur nouvelle vie. Alors que tout semble les opposer, la nostalgie, leur statut de réfugié et les nombreuses difficultés auxquelles ils doivent faire face vont les rapprocher.
Avec humour, les deux acteurs tournent en dérision toute une série de situations, comme lorsqu’ils découvrent les complexités du métro parisien et les grèves à répétition. En France "il y a grève toute la vie", s’exclame Ahmad pour qui faire grève était un concept largement méconnu.
Les multiples formules de politesse propres à la langue française ou encore les difficultés des démarches administratives sont aussi largement évoquées. Mais c’est une autre préoccupation qui structure le spectacle : parler un français aussi impeccable que possible, même si "la langue française est difficile", reconnaît sur scène Ahmad. Entre les noms féminins, masculins, les pluriels, la grammaire… les deux réfugiés s’y perdent avec humour.
"Je suis étranger mais je suis un homme"
La dérision n’est cependant pas leur seul moyen pour faire passer un message. Dans cette pièce, on passe du rire aux larmes, notamment quand les comédiens évoquent le manque de leur famille. "Maman me manque. Ma famille me manque", souffle un des deux frères, le regard hagard. Difficile de n’y voir qu’un jeu d’acteurs. Dans la réalité, toute la famille Malas a fui la Syrie et se retrouve dispatchée aux quatre coins du monde : Ahmad et Mohamad en France, leurs parents en Arabie Saoudite et leurs frère et sœur aux États-Unis.
La nostalgie du pays se ressent aussi, comme ce moment où Ahmad raconte qu’en France, les gens ne se parlent pas entre eux. "Chez moi, tout le monde discute dans la rue, dans les commerces. Là-bas j’avais pleins d’amis", alors qu’ici "je ne suis qu’un réfugié" confie-t-il dans le spectacle.
Tout au long de la pièce, les jumeaux se justifient d’ailleurs d’être des réfugiés. "Je suis étranger mais je suis un homme", crient-ils à plusieurs reprises, n’hésitant pas à répondre à leurs accusateurs potentiels. "Je suis réfugié, je suis étranger, je suis fort mais je ne suis pas un assassin !", protestent-ils. Quand l’espoir s’amenuise au point que la mort devient une possibilité de répit : "Je voudrais mourir mais même pour se suicider c’est difficile !" lâche Ahmad à la fin du spectacle.
S’ils dénoncent le racisme et le manque de considération envers les étrangers, les frères Malas se disent conscients de leur chance. "La France nous a offert la liberté, on ne l’oubliera jamais, admettent-ils. Dans ce pays, on peut critiquer ouvertement le gouvernement, alors qu’avec une telle pièce en Syrie nous serions déjà morts", confessent Ahmad et Mohamad après la représentation. "Notre pièce est malgré tout un poème à la nation française", concluent-ils. Avec ce spectacle, les jumeaux touchent leur premier salaire en France et c’est pour eux une grande fierté.
Tous les vendredis jusqu'au 24 février, à 21h au théâtre Pixel : 18 rue Championnet, 75018 Paris. Renseignements et réservations au 01.42.54.00.92 ou resa@theatrepixel.fr. Tarif plein : 16 € - Tarif réduit : 10€