Ces deux dernières années, 12 clubs de football ont investi dans l'e-sport en Europe. Des gros noms tel que le PSG ou Manchester United seraient aussi intéressés. Qu'est-ce qui poussent les géants du foot à s'engager sur les terrains virtuels ?
Et si, à défaut de gagner la Ligue des champions de football, le Paris Saint-Germain remportait son équivalent dans le jeu vidéo de stratégie "Starcraft 2" : les WCS Europe, ou les LCS européens du MOBA "League of Legends" ?
Une idée pas si folle d'après les informations publiées par l'Équipe début septembre.Le quotidien sportif écrivait que le principal club de foot de la capitale serait intéressé pour investir dans l'e-sport en s'associant à une structure déjà établie : l'équipe historique Millenium, du groupe Webedia.
Rien n'a été confirmé pour le moment mais si l'opération devait se conclure, le PSG n'aurait pas à avoir honte. Il n'est pas le seul grand club européen intéressé par le sport électronique. Manchester United souhaiterait monter une équipe sur "OverWatch", le jeu de tir lancé par Blizzard fin mai 2016. Des rumeurs annoncent également le Bayern Munich rachetant SK Gaming, une écurie allemande avec des équipes sur plusieurs jeux vidéo.
L'intérêt des clubs de football n'est pas nouveau. C'est le Beşiktaş d'Istanbul qui avait ouvert la voie en janvier 2015 en recrutant une équipe de "League of Legends" constituée de joueurs locaux. Avant d'être suivi par le club allemand de première division du VfL Wolfsburg qui a recruté un joueur de "FIFA".
"Schalke 04, premier gros club à s'intéresser à l'e-sport"
Au total, près de 12 clubs européens ont sauté le pas ces deux dernières années. The Esports Observer a récapitulé ces investissements dans une infographie.
Pour Mathieu Lacrouts, fondateur de l'agence publicitaire Hurrah spécialisée dans l'e-sport, deux projets se démarquent pourtant du lot : "Schalke 04 a racheté l'équipe Elements et sa place en LCS européen en mai 2016 [NDLR : la plus grosse compétition européenne de 'League of Legends']. C'était le premier gros club à s'intéresser à l'e-sport en dehors de 'Fifa'."
"L'autre investissement intéressant, c'est celui du FC Valence en Espagne", énumère l'expert à Mashable FR. "Ils ont organisé une grande conférence de presse type football pour montrer que c'était du sérieux. En présence de tout leur staff senior, ils ont annoncé leur intention de se constituer une équipe de 'Rocket League' [NDLR : un jeu de sport futuriste et déjanté] et sur d'autres jeux par la suite."
Des résultats mitigés pour le moment
Pour le moment, on ne peut pas dire que les clubs européens brillent par leurs résultats sur la scène virtuelle. Le Beşiktaş d'Istanbul n'a pas renouvelé les contrats de joueurs de son équipe, qui se sont depuis reformés en équipe indépendante. Le FC Schalke 04 quant à lui s'est vu relégué dans l'équivalent de de la deuxième division européenne pour "League of Legends" : "Mais ils ont quand même annoncé garder leur équipe active pour tenter de remonter. C'est un choix qui a été très apprécié par la communauté des fans d'e-sport car ils ont préféré persévérer qu'abandonner", détaille Mathieu Lacrouts.
Du pur marketing...
Mais pourquoi les clubs de football avancent-ils leurs pions dans ce domaine ? Schématiquement, on peut les classer dans deux catégories. Dans le premier cas, les clubs qui recrutent un joueur de "Fifa" comme 12e homme de leur équipe : " Ces clubs sont partis du principe que leur mission était celle d'un club de football et qu'ils pouvaient, avec l'e-sport, couvrir la partie digitale de la pratique", explique à Mashable FR Pierre Acuña, planneur stratégique et spécialiste de l'e-sport chez Havas Sports & Entertainment. L'e-sport va simplement servir d'outil de communication avec les fans, et les matchs sont souvent des exhibitions. À titre d'exemple, c'est la voie suivie par Wolsburg dont les supporters peuvent affronter le joueur pro avant les matchs.
"Leur investissement n'est pas le meilleur au regard des logiques cible et business. Les fans de foot sont des fans de simulations de sport. Recruter un joueur pro ne vas pas faire venir un nouveau public mais plutôt capitaliser sur l'ancien. En marketing, on dit que l'overlap est très faible entre les deux populations", continue l'expert. " 'FIFA' n'est pas un jeu majeur du e-sport, il ne s'exporte pas aussi bien aux États-Unis et en Asie. La logique business ne fonctionne pas bien car le mouvement vers le sport électronique va attirer les mêmes marques qui sont déjà dans le football et donc déjà tributaires d'investissements ailleurs."
…ou une logique de diversification
La seconde logique c'est celle suivie par le FC Schalke 04 et le FC Valence : "une diversification horizontale", selon l'expression de Pierre Acuña. Ces clubs sont partis du principe qu'ils étaient un club professionnel quelque soit la discipline et vont donc investir dans plusieurs sports. C'est exactement ce qu'ont déjà fait le PSG et le Barça avec le handball, sauf que les deux clubs s'intéressent maintenant au e-sport.
Les coûts sont ici beaucoup plus lourds. Il faut investir dans le recrutement des joueurs, dans un staff dédié, dans des "gaming house" pour que les équipes puissent s'entraîner. "Mais il y a un côté beaucoup plus compétitif quand l'investissement est abordé ainsi. On cherche la performance", estime Mathieu Lacrouts.
"L'ambition des clubs, c'est la rentabilité via les gains en compétition. Mais pour l'instant ça n'a pas encore été le cas puisqu'aucune équipe appartenant à un club de foot n'est parvenue à se hisser dans le top d'un jeu e-sport", affirme le spécialiste de l'e-sport.
Séduire des nouveaux sponsors
Heureusement, la rentabilité peut passer par d'autres moyens. "Investir dans l'e-sport doit permettre de rapporter de l'argent au club, soit par les 'cash prizes' gagnés, soit par de nouveaux sponsors ou par les événements organisés autour de l'équipe", explique Pierre Acuña. "Les clubs de foot sont des marques qui doivent sans cesse renouveler leur communication pour paraître innovant, séduire de nouveaux fans et attirer de nouveaux sponsors. L'e-sport est un moyen de faire les trois en même temps."
"Avant que Schalke ne rachète une licence de LCS, personne ne connaissait ce club en Corée"
Pour ce qui est d'attirer de nouveaux fans, la stratégie semble plutôt efficace à écouter Mathieu Lacrouts. "En quelques mois, les comptes dédiés aux équipes e-sport de Schalke 04 et du FC Valence possèdent un total respectif de 15 000 et 12 500 fans. Ils ont réussi à se créer des communautés assez sympas sur les réseaux sociaux qui n'étaient pas forcément fans du club à la base."
Et de ces nouveaux publics peuvent découler des contrats de sponsoring plus intéressants : "Ce sont de nouvelles cibles, fans d'e-sport, des gens entre 18 et 35 ans, plutôt digitaux. Une cible que l'on peut vendre aux annonceurs", estime Mathieu Lacrouts. Et de donner l'exemple d'un des derniers posts du FC Schalke 04 sur Facebook : l'équipe a partagé une vidéo promotionnelle de la marque de téléviseur Hisense : " Schalke a probablement signé un deal avec la marque", avance le fondateur de l'agence Hurrah.
Für alle, die uns nicht auf unserem Stand auf der IFA 2016 besuchen konnten, haben wir hier einen kleinen Rückblick: #IFA2016 #freekickerz #fifa16 #esports #lasercast #choosehisense #ULED
Publié par Hisense Germany sur lundi 12 septembre 2016
L'investissement dans l'e-sport permet aussi au club de faire connaître son nom dans d'autres contrées : "Avant que Schalke ne rachète une licence de LCS, personne ne connaissait ce club en Corée, maintenant ils connaissent tous cette marque", raconte Pierre Acuña.
Un pari sur le futur
Le marché de l'e-sport semble pour le moment encore balbutiant et c'est peut-être précisément la raison pour laquelle les clubs parient dessus. Car dans ce secteur, tout reste à faire au niveau de la monétisation : "Pour le moment, il n'y a pas de droits sur le 'licensing', pas de distribution aux équipes de la manne financière des droits de diffusion comme ça peut se faire dans le football mais il y a des discussions pour que ça se fasse petit à petit", explique Mathieu Lacrouts.
"Je suis persuadé que certains clubs sportifs essaient de se positionner dès maintenant tant que c'est abordable en prévision de la monétisation. Elle pourrait d'ailleurs bientôt arriver puisque Canal, TF1, M6 et l'Équipe s'intéressent à la diffusion. Le jour où les équipes pourront faire comme dans le foot et se partager les revenus publicitaires issus de la diffusion, là ce sera forcément très intéressant."
Avec 230 000 millions de spectateurs chaque année et une croissance continue du marché – celui-ci sera estimé à 450 millions en 2019 – l'e-sport représente clairement un marché d'avenir. De quoi faire dire à Richard Scudamore, président de la Barcklays Premier League, le championnat d'Angleterre – qui est accessoirement le plus regardé au monde : "À terme, le jeu vidéo en ligne et les médias sociaux sont les deux plus gros concurrents de la Premier League."
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