
Qui était le scientifique iranien Shahram Amiri, pendu pour espionnage au profit des États-Unis : un informateur de la CIA, ou une victime collatérale d’un jeu de dupes entre services de renseignement américains et iraniens ?
"Shahram Amiri a été pendu pour avoir révélé des informations top secrètes à l’ennemi américain, le Grand Satan". L’exécution du scientifique nucléaire iranien, annoncée dimanche 7 août, par le porte-parole de la justice Gholamhossein Mohseni Ejei, vient mettre un point final tragique à une histoire rocambolesque où se mêle vrai-faux kidnapping et espionnage.
Ce feuilleton à rebondissements s’est déroulé en pleine crise sur le programme nucléaire iranien. Shahram Amiri y aura joué, aux dépens de sa vie, le rôle de la victime. L’enchaînement des faits laisse perplexe : en 2010, de retour des États-Unis, il est accueilli en héros par les autorités iraniennes, pour être finalement exécuté, six ans plus tard, à l’âge de 39 ans, par ces mêmes autorités. Et ce, alors que, selon sa famille, il avait été condamné à une peine de dix ans de prison et non à la peine de mort.
Il n’en reste pas moins qu’après cette issue fatale, une question essentielle reste posée : qui était vraiment Shahram Amiri ?
De l'Arabie saoudite au Texas
Officiellement, tout commence en 2009, lorsque Shahram Amiri, un chercheur de l'Organisation de l'énergie atomique iranienne, disparaît durant un pèlerinage en Arabie saoudite. Défection ou enlèvement ? Toujours est-il qu’il réapparaît un an plus tard au Texas, aux États-Unis.
C’est là que l’imbroglio commence : dans une vidéo filmée par webcam, diffusée par la télévision d’État iranienne, il prétend avoir été kidnappé par des agents américains et saoudiens. Ces derniers l’auraient "drogué et torturé" pour lui soutirer des informations cruciales sur le programme nucléaire de Téhéran.
La première vidéo de Shahram Amiri
Mais Shahram Amiri revient rapidement dans une nouvelle vidéo pour, au contraire, affirmer qu’il s’est rendu de son plein gré aux États-Unis, où il est libre de ses propos et de ses mouvements. Enfin, dans une troisième vidéo, il déclare que sa vie est en danger aux États-Unis et dit vouloir rentrer en Iran. Un retour qu’il effectue en juillet 2010.
"Je suis un simple chercheur travaillant dans une université ouverte [iranienne, NDLR] à tous et où il n'y a aucun secret", affirme-t-il alors devant les journalistes. Accueilli avec les honneurs à Téhéran, il se montre souriant en faisant constamment le V de la victoire. "C'était un jeu du gouvernement américain pour faire pression sur l'Iran".
Lâché par Washington
Du côté américain, on s’accroche à la version officielle. "Personne ne l'a forcé à venir ici et personne ne l'a forcé à partir", avait martelé à l’époque le département d'État, sans pour autant indiquer si l'Iranien avait livré des informations sur la nature du programme nucléaire iranien, ni préciser dans quelles conditions le scientifique était arrivé aux États-Unis.
Mais très rapidement après le retour de Shahram Amiri en Iran, les langues des officiels américains se délient. Les médias relayent des informations de sources anonymes affirmant que le scientifique iranien a fait défection de son propre chef, qu’il était un informateur de la CIA depuis plusieurs années, avant même son départ en 2009.
Les sources précisent même que le scientifique a fourni des informations "originales et significatives" sur le programme nucléaire iranien et quelques-uns de ses aspects les plus secrets. Selon elles, les accusations de kidnapping et de torture étaient une manœuvre du scientifique afin de convaincre les autorités iraniennes qu’il avait refusé de collaborer avec les États-Unis.
D’aucuns affirmeront que ces révélations, qui sonnent comme un lâchage, avaient pour but de discréditer Shahram Amiri, accueilli triomphalement en Iran. Mais surtout de masquer l’échec retentissant que constitue la perte d’un tel informateur, malgré la promesse d’un programme de protection comprenant une récompense de 5 millions de dollars.
Des officiels de l’administration américaine, cités par le New York Times en juillet 2010, ont d’ailleurs reconnu que le départ de Shahram Amiri était embarrassant pour Washington et qu’il pouvait, à terme, dissuader des éléments iraniens de travailler avec la CIA. Ils ne pouvaient cependant pas ignorer que leur propos signifieraient une condamnation à mort.
Agent de la CIA depuis des années
Néanmoins, Américains et Iraniens s'accordent désormais sur un point : Shahram Amiri a bel et bien collaboré avec Washington. "Cette personne (…) s'était mise en relation avec notre principal ennemi (…) à qui elle livrait des informations top secrètes et vitales du pays", a déclaré le porte-parole de la justice iranienne, qui a annoncé son exécution.
Et d’ajouter : "Les Américains croyaient que l'Iran n'avait pas d'informations sur le transfert de cet individu en Arabie saoudite et sur ce qu'il faisait, mais nous étions au courant de tout". Donc selon Téhéran, il n’est plus question d’enlèvement, dont les autorités affirmaient détenir les preuves, mais de "transfert". Pas plus que de torture, puisque Shahram Amiri "s’est mis en relation", donc volontairement, avec Washington pour lui "livrer des informations top secrètes et vitales". Reste à expliquer les raisons de son retour et sa mise en scène.
Au nom du fils
Selon un article du New York Times daté du 8 août 2016, Shahram Amiri a souhaité rentrer en Iran pour revoir son fils. En 2009, lorsque les services américains décident de l’exfiltrer d’Iran, sa sécurité étant menacée, son épouse et son fils restent au pays car, selon Shahram Amiri, sa femme "ne quittera jamais l’Iran". Mais privé de son fils, le scientifique appelle de plus en plus souvent le domicile familial.
C’est à ce moment, explique le NYT, que les services iraniens accentuent la pression sur sa famille et menacent de s’en prendre à son fils. Afin d’éviter un tel scénario, Shahram Amiri accepte de tourner la fameuse vidéo dans laquelle il affirme avoir été kidnappé, dans le but de préparer son retour aux yeux de l’opinion publique iranienne. Plus tard, il explique aux agents de liaison américains qu’il a commis une erreur, et qu’il souhaite rentrer aux côtés des siens, malgré les risques encourus.
Le scientifique obtient gain de cause et finira par embrasser son fils à son arrivée à l’aéroport de Téhéran. Une image reprise en boucle par les médias du pays. Avant qu’il ne disparaisse une nouvelle fois, quelques semaines plus tard, pour être arrêté et interrogé par les services iraniens.