
Drones, voitures connectées, solutions innovantes pour smartphone : la scène technologique chinoise n’a pas grand chose à envier à la Silicon Valley. Elle est pourtant très peu connue, en dépit de son expansion.
EHang n’existe que depuis deux ans et commence à peine à mettre ses drones “professionnels pour le grand public” sur le marché mondial. Pourtant cette start-up chinoise vaut déjà plusieurs centaines de millions de dollars grâce à l’argent levé auprès d’investisseurs privés.
“En Chine, c’est le meilleur moment pour créer une start-up”, s’enthousiasme Derrick Xiong, fondateur d’EHang. En compagnie d’autres représentants de jeunes et moins jeunes pousses chinoises, à China Connect, un salon pour présenter l’écosystème internet de la première puissance asiatique qui s’est déroulé mercredi 6 avril et jeudi 7 avril à Paris.
Bruno Bensaid de Shanghaivest
Pékin, la plus grande concentration de start-up au monde
À l’exception d’Alibaba, Weibo ou encore Tencent, la planète tech chinoise est méconnue en Occident. Elle n’a pourtant pas grand chose à envier à la Silicon Valley américaine en termes de foisonnement d’idées et d’innovations.
“La prochaine révolution techno viendra de Chine”, assure Bruno Bensaid, fondateur de Shanghaivest, qui a vu l’émergence de la galaxie tech chinoise il y a près de 20 ans quand “l’essentiel de l’activité consistait à vendre des sonneries pour téléphone portable”. Pékin abrite aujourd’hui la plus importante concentration de start-up au monde, en plus d'une ‘“dizaine d’autres centres technologiques importants à travers le pays comme Shanghaï ou Hanghzou [la ville où Alibaba a été fondée, NDLR]”, précise Jacky Abitbol, partenaire au sein de Cathay Innovation, un fonds d'innovation franco-chinois.
En Chine, “une dizaine de start-up se créent toutes les semaines”, assure Derrick Xiong. Cette armée de jeunes pousses a quelques priorités qui en disent long sur le mode de vie chinois. “La génération qui a grandi avec l’explosion de l’internet sur smartphone arrive en âge de fonder leurs entreprises et ces jeunes cherchent à trouver des solutions qui permettent de tout gérer depuis son smartphone, pour organiser les cours d’anglais de leurs enfants, ou réserver un taxi”, raconte Derrick Xiong, qui a 27 ans.
Corne d’abondance financière
Les problèmes de transports et de mobilité dans les grandes villes surpeuplées cristallisent aussi l’intérêt de ces entrepreneurs du Net. C’est pourquoi “l’entreprise américaine Segway [créateur du premier gyropode, une roue mobile dotée d'un guidon, NDLR] a été rachetée l’an dernier par des Chinois et que Pékin est à la pointe de la recherche en matière de voiture autonome”, souligne Jacky Abitbol.
Cette frénésie tech “made in China” se nourrit d’une corne d’abondance financière. “Des entreprises qui ont moins d’un an d’existence peuvent facilement lever entre 5 et 20 millions de dollars”, assure Derrick Xiong, qui refuse de divulguer combien sa société de fabrication et vente de drones a récolté en deux ans. “Si les levées d’argent se sont calmées ces derniers temps aux États-Unis, ce n’est pas le cas en Chine”, confirme Jacky Abitbol.
Les investisseurs n’hésitent pas à sortir le carnet de chèque car ils savent qu’il y a 700 millions d’internautes à satisfaire et que la croissance chinoise - même si elle ralentit - va permettre à des centaines de millions d’autres Chinois de sortir de la pauvreté et de goûter à leur tour aux joies de l’Internet. Mais il n’y a pas qu’un marché interne immense. Pour les Chinois, la pierre n'est plus une affaire qui roule et ils préfèrent les pixels. “Les opportunités de faire de l’argent dans l’immobilier sont beaucoup plus rares et les petits épargnants tentent depuis deux ans leur chance dans les start-up”, remarque Bruno Bensaid.
“Mr Tout le monde investit dans la start-up du neveu ou du fiston”
Ces nouveaux investisseurs ne connaissent généralement pas grand chose à la voiture autonome ou aux drones pour tous mais le gouvernement les incite à soutenir ce secteur. "Il faut bien se rendre compte que les Chinois sont parmi les gens qui aiment le plus prendre de risques et s’il y a 5 % de chances de se faire de l’argent ils vont y aller”, explique le fondateur de Shanghainvest. Selon lui, il n’est pas rare de voir “Mr Tout le monde investir dans la start-up du neveu ou du fiston”. Un contexte de ruée vers l’or numérique chinois qui “produit inévitablement son lot de produits voués à l’échec, mais aussi de vrais innovations”, résume ce spécialiste de la zone.
La nouvelle économie chinoise peut aussi s’appuyer sur la vielle garde des usines et de la main d’œuvre à bas prix. “Aux États-Unis, les sociétés dépendent encore souvent des usines de l’autre côté du Pacifique pour fabriquer leurs produits, alors que les start-up chinoises ont tout à portée de main et peuvent donc sortir leurs produits plus rapidement”, conclut Bruno Bensaid.
Bulle, y es-tu ?
Des investisseurs qui n’y connaissent pas grand chose, des start-up qui se créent du jour au lendemain : il flotte en Chine un air de “bulle Internet” comme au début des années 2000 aux États-Unis. La “Sino Valley” dispose donc des avantages nécessaires pour faire de l’ombre à la sacro-sainte Silicon Valley à condition de ne pas se noyer sous l'argent qui coule (trop ?) à flot.
“Il y a toujours un risque de bulle”, reconnaît Jacky Abitbol qui pense cependant que le marché chinois est plus sain que son équivalent américain à la fin du siècle dernier. “Les entreprises qui se lancent ont de vrais modèles économiques, ce qui n’a rien à voir avec toutes les start-up américaines qui ont été introduites en Bourse aux États-Unis sans savoir comment elles allaient gagner de l’argent”, assure-t-il.
Un autre facteur pourrait entraîner un brusque arrêt des investissements : le ralentissement de la croissance chinoise. Tous ces petits épargnants qui injectent leur argent dans la Sino Valley ne sont pas à l’abri d’un retournement de conjoncture. Ils voudront peut-être alors mettre à l'abri les fonds qu’ils sont prêts à avancer quand le ciel économique est au beau fixe.