
"Ne promenez pas votre chien ici ! Les musulmans n'aiment pas les chiens. Il s'agit d'une zone islamique désormais" : voici ce que l'on peut lire sur la photo d'une affiche partagée sur X le 15 avril par Ashlea Simon, co-leader du parti nationaliste Britain First. "Je préférerais garder les chiens et expulser les islamistes pour être honnête", a-t-elle déclaré dans son post, vu près de 300 000 fois en deux jours.
Comme elle, plusieurs comptes britanniques ont partagé cette photo de l'affiche, une feuille A4 accrochée à un panneau à côté d'un parc. "Faut-il qu'on nous dise où nous pouvons promener nos chiens ?", s'interroge pour sa part le compte X Simon Scissorhands, qui se définit comme un "fier patriote" britannique.

Une affiche datant de 2014, dont l’origine reste peu claire
Mais d'où provient cette affiche ? Cette photo n'est en réalité pas récente : en juillet 2024, le compte conservateur Update News l'avait déjà relayée, dans un post vu plus de 1,5 million de fois sur X.
En effectuant une recherche d'image inversée (voir notre guide), il est possible de retrouver ce document dans plusieurs articles de la presse britannique, dès mai 2014. comme l'a notamment retrouvé Emma Monk, une biologiste qui se présente comme combattant la désinformation et a expliqué sa démarche sur X.
L’une des captures d'écran devenues virales ces derniers jours reprend notamment le titre d'un article du journal londonien, The Evening Standard, publié en juin 2014, sans toutefois préciser les informations fournies dans l'article.
À l’époque, le média londonien, qui avait indiqué que la photo avait été prise dans le quartier de Tower Hamlets, à l'est de Londres, donnait pourtant plus d'informations sur l'origine potentielle de l’affiche. Selon l'article, la police locale avait indiqué mener l'enquête sur les auteurs de l'affiche, précisant vouloir répondre à la question de "savoir si elle a été placée pour être provocante ou si elle a été placée par des fanatiques religieux pour être raciste". L'article mentionnait notamment l'English Defense League, un groupe politique islamophobe, qui aurait pu être à l'origine d'une telle affiche.
Contactée par la rédaction des Observateurs, la Metropolitan police, qui s'occupe des quartiers autour de Londres, n'a pas été en mesure de nous indiquer si l’enquête avait donné des résultats depuis la publication de l'article du Standard.
Par ailleurs, notre rédaction n'a pas retrouvé d'autre occurrence d'un tel événement dans le quartier.
Un faux flyer à Manchester en 2016...
Ce n'est pas la première fois que de tels documents, présentés comme issus de la communauté musulmane, mais d'origine douteuse, demandent l'interdiction des promenades de chiens.
Fin février, d'anciennes photos d'un flyer rouge – qui avait circulé à Manchester en 2016 – ont par exemple refait surface sur X. "On ne me dira pas où je peux promener mes chiens !...", a réagi sur X le compte conservateur britannique Donna Louise. Cette dernière a partagé une supposée capture d'écran d'un article du Manchester Evening News qui affirmerait que des musulmans auraient demandé à des habitants de ne pas promener leurs chiens par respect pour la Charia, le code de conduite islamique.
Sauf que la capture d’écran en question, vue plus de trois millions de fois sur X, est un montage d'un vrai article du Manchester Evening News, publié en 2016, qui mentionne dès le premier paragraphe que ces documents seraient des faux.

…poussé par une organisation plus que douteuse
Diffusé par une organisation se faisant appeler For Public Purity, le flyer rouge qui a circulé dans le quartier de Cheetham Hill, où réside une grande partie de la communauté musulmane de la ville, affirmait que les chiens étaient "considérés comme impurs dans l'Islam" et qu'il fallait "limiter" leur présence "dans la sphère publique".
"Maintenir la pureté de l'espace public permet aux musulmans de rester sans tache et sans défaut", déclarait le flyer, renvoyant également vers une page Facebook et un site web.

Mais plusieurs indices semblaient plutôt indiquer qu'il s'agissait d'une fausse campagne. Si aucun élément n'est disponible sur les administrateurs de la page Facebook, toujours en ligne, cette dernière renvoie vers un email intitulé "gofuckyourself@ilovedogs.com", ce qui contraste fortement avec le ton religieux des messages publiés sur la page.
Autres éléments tendant à montrer le caractère inauthentique de la page : la liste des 2 700 followers est privée, et aucun des commentaires ne montre une quelconque adhésion d'internautes à ces thèses – toutes les personnes qui ont interagi dénonçaient au contraire une fausse page promue par l'extrême-droite.
Le site, créé en 2016, a de son côté été fermé quelques mois plus tard, mais reste toutefois accessible via un lien archivé.
Dans l'article du Manchester Evening News, un membre du conseil du quartier de Cheetham Hill, Naeem Hassan, avait dénoncé des tracts destinés à diviser les communautés et déclaré qu'il n'avait jamais relevé de discours sur l'impureté supposée des chiens.
"Dans notre maison au Pakistan, nous avons des chiens et beaucoup de mes amis ici ont des chiens. Nous restons propres et éloignés des animaux avant la prière, mais les musulmans gardent des chiens chez eux. En 30 ans, personne n'a jamais soulevé la question avec moi, et nous n'imposons pas nos convictions à qui que ce soit", avait-il indiqué au journal local.
Un faux flyer au Canada en 2017
Ces dernières semaines, une autre photo de flyer, diffusée il y a plusieurs années au Canada, a également été repartagée par des comptes hostiles à l'Islam sur X, prétendant qu'il avait été récemment distribué dans la ville de Vancouver.

En réalité, ce document – une feuille A4 présentant des logos de chiens barrés et demandant d'éloigner ces animaux des musulmans – avait été aperçu en 2017 dans la ville canadienne de Pitt Meadows, en périphérie de Vancouver.
Si le logo de la ville était apposé sur le document, la mairie avait à l'époque nié être à l'origine d'un tel document, comme l'ont rapporté des médias locaux. La ville a même dû publier un article sur son site web en 2024 pour nier de nouveau la publication de tels documents.
Le document mettait également en avant le logo de l'organisation musulmane CAIR (pour "Council on American-Islamic Relations"), qui a dû également nier être à l'origine d'un tel document.
Le média Maple Ridge-Pitt Meadows News avait également indiqué que Shakeel Gaya, fondateur et président de l'Islamic Society de Ridge Meadows, s'était officiellement distancé de ce document et avait indiqué que de tels messages donnaient une mauvaise représentation de la manière dont les musulmans perçoivent les chiens dans l'Islam.
Shakeel Gaya indiquait que de nombreux musulmans avaient des chiens, précisant que les pratiquants évitaient surtout toute impureté liée à la salive des chiens avant la prière.
Ces intox, déjà vérifiées à plusieurs reprises par divers médias ces dernières années (comme ici, ici ou ici) ressurgissent dans un contexte d'augmentation du nombre d'actes de haine envers les musulmans au Royaume-Uni en 2024. Ces derniers mois, de nombreuses personnalités politiques de plusieurs pays ont également tenu des discours hostiles à la communauté musulmane au Royaume-Uni.
En juillet 2024, J.D. Vance, qui allait devenir vice-président des États-Unis, avait notamment déclaré que le Royaume-Uni allait potentiellement devenir "le premier pays islamiste à se doter d'une arme nucléaire".