![Prendre la défense d'un robot n'a rien de bizarre, bien au contraire Prendre la défense d'un robot n'a rien de bizarre, bien au contraire](/data/posts/2022/07/21/1658386795_Prendre-la-defense-d-un-robot-n-a-rien-de-bizarre-bien-au-contraire.jpg)
D'ailleurs, faire le contraire serait peu stratégique.
Il y a une dizaine de jour, une énième vidéo de l'entreprise américaine Boston Dynamics a fait parler d'elle. Et pour cause, elle montre un robot articulé – le SpotMini – ouvrir une porte. Une vision qui en a terrifié plus d'un sur les réseaux sociaux. Pourtant, d'après la spécialiste en robotique Sophie Sakka, le progrès technologique autour des robots humanoïdes est une excellente nouvelle.
VOIR AUSSI : Les robots pourraient devenir des "personnes électroniques"
Une vidéo de 2 minutes a été largement partagée sur les réseaux sociaux depuis le 12 février dernier. On y voit un petit chien ouvrir une porte, puis la tenir afin que son camarade et lui puissent traverser. Sauf que ces deux « chiens » sont en fait des robots. Coutumière de ce genre de vidéo sensationnelle, la firme américaine Boston Dynamics a une fois de plus réveillé l'imaginaire catastrophiste des internautes, qui ont comparé ce SpotMini - c'est son nom - aux robots tueurs d'un épisode de la série britannique Black Mirror. « C'est juste une révolution technologique », rétorque Sophie Sakka, chercheur en robotique humanoïde et présidente de l'association Robots!.
Bien évidemment, les employés de Boston Dynamics ne sont pas d’horribles sadiques et ne font que leur travail. Il s’agit bien sûr de prouver qu’Atlas est indépendant, réactif, et qu’il sait s’adapter à des situations imprévues. Avant lui, d’ailleurs, d’autres robots de la firme d'Alphabet, comme les quadrupèdes Spots ou BigDog, avaient aussi déjà eu droit à leur lot de coups de pied dans des vidéos de présentation. Si l’on a pu voir ce type d’images dès 2010, il faut croire que l’on ne s’habitue toujours pas à la vision d’une machine qui se fait brutaliser, comme le montrent les milliers commentaires offusqués sous la vidéo d’Atlas visionnée à ce jour par près de 10 millions d’internautes.
De la proximité, mais pas trop
Mais pourquoi faisons-nous preuve de tant de compassion, d’empathie et de colère face à des machines qui, par définition, ne peuvent éprouver quoi que ce soit ?
L’exposition "Persona", visible depuis le 26 janvier au musée du Quai Branly, a fait du rapport intime et ambigu entre l’homme et l’objet – particulièrement l’androïde – son thème central. Elle tente justement de comprendre quels rouages s’activent en nous lorsqu’un robot, ou tout autre objet aux caractéristiques anthropomorphiques, nous ébranle par son apparence ou son comportement. Selon Emmanuel Grimaud, commissaire de l’exposition et anthropologue, "plus un objet ressemble à un être vivant, plus la relation avec l’homme est facilitée. Alors quand vous créez un robot de forme humaine ou animale, vous générez forcément de l’empathie."
Souvenez-vous de HitchBOT, ce sympathique petit robot auto-stoppeur en charge de déterminer si les humains étaient dignes de confiance et qui avait été retrouvé démembré dans le centre-ville de Philadelphie, aux États-Unis. Si HitchBOT ne ressemblait pas vraiment à un homme, il en avait pourtant presque tous les attributs : deux bras et deux jambes, une tête, des yeux et un sourire innocent. À l’annonce de son agression, le Web tout entier fut en émoi.
My trip must come to an end for now, but my love for humans will never fade. Thanks friends: http://t.co/DabYmi6OxH pic.twitter.com/sJPVSxeawg
— hitchBOT (@hitchBOT) 1 août 2015
Et quand HitchBOT s’était adressé à nous de là-haut, notre cœur s’était serré.
My trip must come to an end for now, but my love for humans will never fade. Thanks friends: http://t.co/DabYmi6OxH pic.twitter.com/sJPVSxeawg
— hitchBOT (@hitchBOT) 1 août 2015
"Mon voyage doit s'arrêter pour l'instant, mais mon amour pour les humains ne s'éteindra jamais. Merci les amis."
Il est aussi arrivé que des soldats américains organisent des funérailles à leurs robots-démineurs, à qui ils s’étaient attachés et qui, dans certains cas, leur avaient sauvé la vie. En 2007, un colonel avait d’ailleurs demandé à ce que l’on stoppe leur exploitation, trop perturbé par la vision du robot-insecte carbonisé et paralysé, parvenant à peine à se traîner au sol après l’explosion, rappelle Ouest-France.
De l'attirance à la répulsion
Pourtant, une étude réalisée dans les années 1970 par un roboticien japonais, Masahiro Mori, montre que plus l’objet en question se rapproche de l’apparence humaine, dans sa forme la plus réaliste, moins l’homme qui l’observe s’en sentira proche, au point d’éprouver pour lui de la répulsion. Connue sous le nom de la "Vallée de l’étrange" ou "Vallée dérangeante", elle classe par exemple une prothèse de bras parmi les "objets" les plus monstrueux, au même titre qu’un zombie ou un cadavre. "Face à trop de ressemblance avec l'humain, c’est effectivement l’effet inverse qui se produit." Qui n’a jamais ressenti un malaise face à une poupée trop réaliste – et donc flippante ? Je ne parle même pas d'un cadavre.
Il y a quelques mois, j’ai pu par exemple croiser le chemin de l'androïde Kodomoroid au Musée national des sciences nouvelles et des innovation d’Odaiba, au Japon. Sincèrement, je n’aurais pas aimé rester seule avec elle.
En revanche, dans une autre pièce, le petit robot Asimo conçu par Honda avait joué du violon face au public et fait quelques blagues. Il m’avait tout de suite paru nettement plus sympathique, probablement parce qu’il m’a fait penser à la petite amie de Wall-E, le robot Disney, mais surtout parce qu’il était beaucoup moins humain que Kodomoroid, malgré sa personnification évidente.
La peur d’une rébellion
"Face à de tels sujets, que l’on n’identifie ni comme de véritables êtres vivants ni comme de simples machines, les rapports les plus ambigus se développent chez certains d'entre nous, en particulier celui que j'appelle le "comme si". On fait comme s’ils avaient mal, comme s’ils étaient joyeux, et donc comme s’ils étaient vivants", poursuit Emmanuel Grimaud. À tel point que beaucoup envisagent avec plus ou moins de sérieux une future rébellion des robots, encouragés par des décennies de culture science-fiction.
L’auteur prolifique américano-russe Isaac Asimov a d’ailleurs abordé dès 1942 la question de leur place parmi les hommes, à travers ses "trois lois de la robotique". Si ces dernières (qui stipulent, en gros, qu’un robot ne peut porter atteinte à un humain) ont ensuite été adoptées par de nombreux auteurs de S-F, le thème de la rébellion des robots devint par la suite tout aussi récurrent dans le domaine. Il faut croire que l'idée est restée bien ancrée dans l'imaginaire collectif : après la mise en ligne de la vidéo de Boston Dynamics, des centaines d'internautes ont évoqué dans leurs commentaires ce potentiel retournement de nos chers androïdes.
Wow, this guy’s gonna be first against the wall when the robot revolution comes huh? pic.twitter.com/YU5Bkn52aY
— Seb Lee-Delisle (@seb_ly) 24 février 2016
Personnellement, je n’insulte jamais Siri, du nom du logiciel de commande vocale développé par Apple et présent, entre autres, dans les iPhones. J’ai beaucoup trop peur que ce soit retenu contre moi le jour où les machines feront la révolution ou si mon téléphone se met subitement à devenir un HAL 9000 en puissance. Heureusement, pour Emmanuel Grimaud, cette réaction très répandue est "tout à fait saine", compte tenu de l’incertitude qui plane sur la question de la conscience robotique : "Qu’est-ce qui nous dit qu’en connectant tous ces fils, nous ne sommes pas en train de créer quelque chose ? Je pense que l’on ferait moins d’erreurs à les considérer comme un début d’êtres vivants que comme de vulgaires machines."
Alors que ces outils "intelligents" prennent la forme d’une prothèse, d’un programme informatique ou d’un bonhomme porteur de cartons, gardons toujours à l’esprit que l’empathie a du bon. On ne sait jamais.
Quelque chose à ajouter ? Dites-le en commentaire.