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Zika : les autorités françaises accusées d'avoir ignoré les experts polynésiens

Confrontée au virus Zika dès 2013, la communauté scientifique de la Polynésie française déplore que les autorités sanitaires de la métropole n'aient pas pris le temps de s'en remettre à son expertise.

Alors que le virus Zika se propage en Amérique du Sud, la Polynésie française affirme depuis février s’en être débarrassée. Entre 2013 et 2014, "au moins 60 %" de ses 280 000 habitants ont été touchés, selon une étude du ministère polynésien de la Santé. Un succès qui n’a pu être obtenu que par la bonne volonté des médecins exerçant dans la collectivité d’outre-mer, font aujourd’hui savoir plusieurs scientifiques qui dénoncent l’incurie des autorités françaises.

"En 2013 et 2014, l’épidémie de Zika est passée inaperçue en métropole, a ainsi indiqué dans l’hebdomadaire Le Point, Didier Musso, directeur du pôle de recherches sur les maladies infectieuses émergentes à l'Institut Louis-Malardé, à Tahiti. Nous nous sommes ‘débrouillés’ tout seuls pour isoler le virus, mettre au point les tests diagnostiques, prendre en charge les patients, faire face aux premières complications sévères que nous n'attendions pas."

>> À lire sur France  24 : "Microcéphalie, des scientifiques accusent un insecticide plutôt que Zika"

D’aucuns soupçonnent aujourd’hui l’actuelle épidémie qui sévit en Amérique du Sud, où plus d’1,5 million de personnes ont été infectées, d’avoir été causée par des voyageurs venant de Polynésie. Selon des chercheurs, les souches issues du virus identifié au Brésil et en Polynésie présentent effectivement des séquences quasi identiques.

La Polynésie française a été le premier territoire à être touché massivement par Zika il y a deux ans. Et c’est dans cet archipel du Pacifique que les premiers liens entre le virus et les malformations fœtales ont été faits. En décembre 2015, comme l’a rappelé dans la revue Sciences et Avenir le professeur Pierre-Marie Girard, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, les autorités de santé polynésiennes ont signalé une augmentation inhabituelle des malformations du système nerveux des fœtus et des nouveaux-nés, coïncidant avec l’implantation du virus Zika sur l’île. Au total, 18 enfants ou fœtus avec des malformations du système nerveux central ont été identifiés sur l’archipel entre mars 2014 et mai 2015.

Didier Musso ainsi que les docteurs Sophie Ioos, Henri Pierre Mallet, Van-Mai Cao-Lormeau et d’autres médecins de l’Institut Louis-Malardé furent donc parmi les premiers à prévenir que Zika n’était pas bénin et à évoquer une possible transmission sexuelle du virus. Depuis, des cas exceptionnels de transmission sexuelle ont été rapportés aux États-Unis et certains pays, comme le Royaume-Uni et l'Irlande ont recommandé le port du préservatif aux partenaires d'une femme enceinte, dès lors qu'ils ont été exposés au Zika.

Recommandations tardives

Dimanche 21 février, la ministre française de la Santé, Marisol Touraine, leur a emboîté le pas. "L'épidémie est forte, elle est un sujet de préoccupation partout dans le monde, et donc j'appelle à la plus grande vigilance", a-t-elle affirmé lors de l'émission "Le Grand Jury" sur RTL/Le Figaro/LCI. J'appelle les femmes enceintes à être très attentives, il faut que leur compagnon n'ait pas de rapports sexuels sans protection, je recommande l'usage du préservatif."

Des recommandations tardives, selon Didier Musso qui affirme que pendant l’épidémie sévissant en Polynésie, le Haut Conseil de la santé publique ne l'a jamais consulté. “Quand on habite à l'autre bout du monde, on a l'habitude de faire face, a-t-il indiqué. Pour être franc, les autorités françaises ne demandent absolument pas l'avis des gens qui ont déjà vécu ces problèmes.”

Reste que pour nombre d’experts, les autorités françaises ne sont pas les seules à avoir ignoré les dangers de Zika. "Je pense que beaucoup d’entre nous qui travaillons sur les virus n’ont pas prêté assez d’attention à l’épidémie survenue en Polynésie, indique à France 24 Duane Gubler, directeur du département des maladies infectieuses à la Duke University de Singapore. Nous avions tous la tête dans le sable."