logo

"Libérez Jacqueline" : la grâce présidentielle, mode d'emploi

Jacqueline Sauvage a été condamnée à dix ans de réclusion après le meurtre de son mari, qui la frappait et abusait ses enfants. Le point sur la demande de grâce présidentielle avec Me Bianchi, spécialiste de l’aménagement des longues peines.

Le sort de Jacqueline Sauvage repose entre les mains du président François Hollande. Âgée de 66 ans, cette femme condamnée à dix ans de réclusion après avoir été reconnue coupable du meurtre de son mari en 2012, suscite une importante mobilisation. Plus de 400 000 personnes ont notamment signé une pétition appelant à lui accorder la grâce présidentielle. Prise par le chef de l'État, en vertu de l'article 17 de la Constitution, la décision doit être contresignée par le garde des Sceaux a pour effet soit d'effacer tout ou partie de la peine restant à effectuer, soit de supprimer partiellement ou totalement la période de sûreté attachée à la peine. Il ne s’agit pas d’une amnistie, la condamnation restant inscrite au casier judiciaire de l'accusé.

Face au cas de Jacqueline Sauvage, condamnée alors que ses avocats plaidaient la légitime défense face à un mari l’ayant frappée pendant plus de quarante ans et ayant abusé ses enfants, François Hollande se montre prudent et attend l’avis de la Chancellerie avant de se prononcer. À cette occasion, France 24 revient sur le fonctionnement d’une des procédures les plus obscures du système judiciaire français.

Me Virginie Bianchi, avocate spécialiste de l’aménagement des longues peines, répond aux questions de France 24. Elle est l’auteure de la seule demande de grâce acceptée (partiellement) par François Hollande depuis son arrivée à l’Élysée concernant Philippe El Shennawy, le plus ancien détenu de France, qui en a bénéficié fin 2013.

- Quel est le processus de recours en grâce ?

C’est une mesure régalienne, au sens quasi-royal du terme, qui n’a pas à être ni motivée ni justifiée. La décision n’est pas publique, elle n'est pas publiée au journal officiel. N’importe qui, ayant un motif pour le faire, peut demander la grâce de quelqu’un : la famille, l’avocat, un comité de soutien… C’est comme cela que, si j'en crois la presse, trois demandes ont été effectuées pour Jacqueline Sauvage.

Pour déposer une demande, il faut saisir le président de la République, et adresser copie de cette demande au garde des Sceaux et la direction des Affaires criminelles et des grâces (DACG), une des directions du ministère de la Justice.

Ce n’est pas une procédure judiciaire au sens propre. Elle ne connaît ni délai, ni recours. Pour la personne concernée, c’est assez angoissant comme situation, car c’est un processus totalement obscur. Et puis un jour, ainsi que je l'ai vécu, le directeur de l’établissement où est incarcérée la personne faisant l’objet d’une demande de grâce est averti par fax de la décision à notifier à la personne concernée.

- Si la décision revient au président, François Hollande ne peut-il pas se prononcer sans l’avis de la Chancellerie, qu’il a pourtant indiqué attendre ?

Non, il doit effectivement attendre que la demande soit étudiée par la DACG, qui fait partie de la Chancellerie, c'est-à-dire du ministère de la Justice. C’est cette direction qui filtre et instruit les demandes et examine les pièces apportées aux soutien des demandes. De nombreuses demandes de grâce sont déposées, le président ne peut bien évidemment pas toutes les examiner ni en faire l’instruction lui-même. Il ne peut pas se prononcer seul, sur une intuition ou un sentiment, mais après une analyse rigoureuse des situations qui lui sont soumises.

- Quelles sont les alternatives en cas d’échec ?

Si la demande de grâce n’aboutit pas, la défense de Jacqueline Sauvage pourrait à terme demander un aménagement de peine. Mais, dans la mesure où elle a été condamnée pour des faits qui induisent automatiquement une période de sûreté de la moitié de sa peine, soit de cinq ans. Durant cette période, elle ne peut rien demander. Ni permission de sortie, ni aménagement de peine. Cependant, et afin de débloquer la situation, elle pourrait demander une réduction ou une suppression de sa période de sûreté auprès du tribunal de l'application des peines, ce que l'on appelle un "relèvement" de cette période de sûreté : une réduction ou une suppression.

Juridiquement, on peut faire cette demande dès le début de la peine, mais c’est souvent considéré par les juridictions comme prématuré au regard d'une décision qui vient d'intervenir. Ce qui jouerait en faveur de Jacqueline Sauvage, dans cette hypothèse, c’est le fait que sa période de sûreté n’a pas été expressément prononcée par la cour d’assises, comme c’est parfois le cas pour les criminels considérés comme dangereux par la juridiction de jugement, mais qu'elle résulte automatiquement de la loi, du fait de la qualification pénale qui a été retenue.

Indépendamment de la période de sûreté, le crime dont a été reconnue coupable Jacqueline Sauvage entraîne d’autres précautions particulières. Notamment un processus complexe pour toute demande d’aménagement de peine : une fois la demande déposée, il lui faudrait, après plusieurs semaines voire plusieurs mois d'attente, passer six semaines dans un centre national d’évaluation (CNE) centre pluridisciplinaire relevant de l'administration pénitentiaire ; il en existe trois en France – à Fresnes, Réault et Sequedin. Ensuite, le CNE rendrait une synthèse qui serait transmise à la Commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté territorialement compétente (instance non juridictionnelle présidée par un magistrat de cour d’appel) ; cette commission doit émettre un avis sur la dangerosité de la personne requérante. C'est seulement après cela que le tribunal d’application des peines pourrait statuer à l'issue d'un débat contradictoire. Au mieux, ce processus dure six mois. Le pire que j’aie expérimenté a duré quatorze mois. Cela signifie que même dans l'hypothèse où le président de la République, ou la juridiction compétente, relèverait la période de sûreté de Jacqueline Sauvage, le processus qui lui permettra de sortir en aménagement de peine est encore long.