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Ahmed Néjib Chebbi, figure de l'opposition en Tunisie, a été arrêté
Ahmed Néjib Chebbi, figure majeure de l'opposition tunisienne jusqu'ici encore en liberté, a été arrêté jeudi, quelques jours après sa condamnation en appel à 12 ans de prison.
L'opposant Ahmed Néjib Chebbi, le 29 novembre 2025 à Tunis. © Jihed Abidellaoui, Reuters

Il était l'une des dernières figures de l'opposition au régime tunisien encore en liberté. Ahmed Néjib Chebbi a été arrêté jeudi 4 décembre, quelques jours après sa condamnation en appel à 12 ans de prison, dernier épisode d'une campagne de répression "aveugle" selon Amnesty International.

Âgé de 81 ans, il est l'un des opposants les plus célèbres du pays et milite depuis plusieurs décennies. Ancien candidat à la présidence, il est le cofondateur et président du Front du salut national (FSN), la principale coalition de l'opposition.

Il a brièvement occupé un poste de ministre après la chute de Zine El Abidine Ben Ali, renversé par un soulèvement en 2011, puis a fait partie de l'Assemblée nationale constituante au début de la transition démocratique.

Sa fille, l'avocate Haïfa Chebbi, a annoncé en pleurs son arrestation à l'AFP. Depuis plusieurs jours, le domicile de son père était surveillé par deux voitures de police et une dizaine d'agents en civil.

"Je vais en prison à cet âge avancé avec la conscience tranquille et pure parce que je n'ai commis aucune erreur", a dit Ahmed Néjib Chebbi dans une vidéo enregistrée avant son interpellation.

Haïfa Chebbi a précisé qu'il avait été emmené à la prison de Mornaguia, près de Tunis. S'il "n'a pas d'espoir dans la justice" tunisienne, son père juge qu'avec les arrestations de personnalités le président "Kais Saied a réussi à unir l'opposition", a-t-elle affirmé.

"Étouffer" l'opposition

Ahmed Néjib Chebbi avait comparu libre dans le cadre d'un méga-procès contre une quarantaine d'opposants accusés de "complot contre la sûreté de l'État" et d'"adhésion à un groupe terroriste", et avait vu vendredi dernier sa peine de 18 ans en première instance réduite à 12 ans en appel.

Son arrestation intervient quelques jours après celles de deux autres figures connues de l'opposition : l'avocat Ayachi Hammami et la militante Chaïma Issa, condamnés respectivement à 5 ans et 20 ans de prison dans la même affaire.

Ces détentions "confirm[ent] l'effrayante détermination des autorités tunisiennes à étouffer l'opposition pacifique", a déclaré Sara Hashash, directrice régionale adjointe d'Amnesty International.

Pour Ahmed Benchemsi, porte-parole régional de Human Rights Watch (HRW), "la parenthèse de l'espoir démocratique est bel et bien refermée" en Tunisie.

Après l'arrestation de Ahmed Néjib Chebbi, "quasiment toute l'opposition tunisienne est désormais en prison ou en exil. Quinze ans après la révolution, c'est comme si la dictature marquait officiellement son retour", a-t-il dit.

Depuis un coup de force du président Kais Saied par lequel il s'est octroyé les pleins pouvoirs fin juillet 2021, des ONG tunisiennes et étrangères déplorent un recul des droits et libertés en Tunisie, berceau du Printemps arabe en 2011.

Le FSN, la coalition codirigée par Ahmed Néjib Chebbi, avait été créé en 2022.

Des dizaines d'opposants, avocats, journalistes ou travailleurs humanitaires sont détenus pour des accusations de "complot contre l'État" ou en vertu d'un décret sur les "fausses informations".

"Rouleau-compresseur"

Vendredi dernier, le président Saied avait qualifié d'"ingérence flagrante" une résolution adoptée la veille par le Parlement européen appelant "à la libération [...] des prisonniers politiques".

Quelques jours plus tôt, il avait convoqué l'ambassadeur européen à Tunis pour "non-respect des règles du travail diplomatique", au lendemain d'une rencontre entre le diplomate et le chef du puissant syndicat UGTT.

Jeudi, lors d'un rassemblement à l'appel de l'UGTT pour commémorer l'assassinat du dirigeant syndical Farhat Hached, des manifestants ont scandé des slogans contre le pouvoir. "Libertés, libertés", "le peuple en a assez du règne du despote", ont-ils crié.

Une autre manifestation à l'appel de partis et d'ONG est prévue samedi sous le mot d'ordre "l'opposition n'est pas un crime".

Lors d'une réunion mercredi soir, des représentants de l'opposition, dont le parti islamiste Ennahdha et le Parti destourien libre (PDL), aux antipodes sur l'échiquier politique, ont appelé à l'union face au pouvoir.

À propos de la politique de Kais Saied, l'avocat Samir Dilou a dénoncé pendant la rencontre un "rouleau-compresseur qui vise tout le monde".

Avec AFP