
L'homme d'affaires sino-cambodgien Chen Zhi a disparu après avoir été accusé d'être à la tête de l'un des principaux empires de l'arnaque en ligne. © Studio graphique France Médias Monde
Il est l’un des hommes accusés d’être à l’origine de l’explosion des "arnaques en ligne à l’abattage de cochons". L’homme d’affaires cambodgien Chen Zhi est soupçonné d’avoir bâti un empire sur ces pratiques consistant à dépouiller une victime – le "cochon" – lentement mise en confiance puis progressivement poussée à investir dans des cryptomonnaies avant de tout voler.
Mais ce "découpeur de cochon" en chef se retrouve de plus en plus cerné. La Thaïlande est devenue, jeudi 4 décembre, le huitième pays à sévir contre Chen Zhi et son conglomérat le Prince Group, accusé d’être en réalité l’un des plus vastes empires d’arnaques en ligne au monde.
Arnaques et trafic d’humains
La Thaïlande a ainsi saisi 300 millions de dollars en actifs appartenant à Prince Group et a lancé 42 mandats d’arrêt contre les responsables de ce groupe tentaculaire cambodgien, et contre son mystérieux fondateur et PDG Chen Zhi.
Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, la Chine, Singapour, Taïwan et Hong Kong ont, tous, pris des mesures contre cet homme d’affaires sulfureux, ses associés et ses avoirs.
Alors que les accusations se multiplient, Chen Zhi a disparu depuis, au moins, le 14 octobre. Depuis le jour où les États-Unis ont été les premiers à inculper formellement cet homme de 38 ans de fraude et de diriger, à travers son groupe, de multiples centres de travail forcé à travers le Cambodge. "Le FBI et ses partenaires viennent de réaliser l'une des plus grandes opérations de lutte contre la fraude financière de l'histoire", s’est félicité Kash Patel, le très controversé patron du FBI et proche de Donald Trump.
Les autorités ont aussi effectué une saisie record de 15 milliards de dollars en cryptomonnaies liées aux arnaques en ligne que Prince Group est accusé d’avoir menées dans le monde entier.
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"C’est un empire criminel bâti sur la tromperie et le trafic d’êtres humains qui vient de subir un coup décisif", a ajouté Pam Bondi, ministre américaine de la Justice. Prince Group est, en effet, soupçonné d’opérer des complexes quasi-industriels au nord du Cambodge où des centaines de petites mains sont contraintes à exécuter 7 jours sur 7 les opérations d’arnaques en ligne. Des enquêtes, comme celle publiée en 2024 par Radio Free Asia, ont démontré que toute personne tentant de s’enfuir de ces centres était pourchassée, ramenée de force et souvent torturée.
Ces mêmes accusations ont été reprises par les autorités des autres pays qui ont saisi, chacun, des centaines de millions de dollars d’actifs appartenant à Chen Zhi et à son groupe.
Prince Group nie vigoureusement être impliqué dans quelque activité illégale que ce soit. "Les récentes allégations sont sans fondement et semblent viser à justifier la saisie illégale d'actifs d'une valeur de plusieurs milliards de dollars", a précisé le groupe dans un communiqué publié le 11 novembre.
Il se présente comme un parangon de vertu qui doit son succès à des investissements judicieux et légaux. Et jusqu’à récemment, le parcours de Chen Zhi avait tout de la "success story" du jeune Chinois issu d’un milieu modeste qui, à force de volonté, est devenu l’un des hommes d’affaires les plus puissants et influents d’Asie du Sud-Est.
"Génie" des affaires à… trois ans
La mythologie autour de l’ascension de Chen Zhi commence par un coup d’éclat digne d’une histoire (à dormir debout) de super-héros des affaires. Originaire de la région de Fujian, au sud-est de la Chine, le petit Chen Zhi est présenté comme un "génie précoce" qui aurait aidé sa famille à monter une entreprise "avant même d’avoir trois ans".
Plus réaliste, il est censé avoir, assez jeune, fondé une petite entreprise de jeux en ligne au succès plutôt modeste, souligne la BBC. À un peu plus de 20 ans, il décide de tenter sa chance au Cambodge, alors considéré comme un Far West pour investisseurs chinois plus ou moins scrupuleux, raconte Radio Free Asia.
Pour Chen Zhi, c’est le début du jackpot. En 2015, il fonde le Prince Group qui va rapidement s’imposer comme un poids lourd de l’immobilier au Cambodge. Chen Zhi, qui a obtenu la nationalité cambodgienne en 2014, devient le visage de la transformation de la tranquille ville côtière de Sihanoukville en paradis du jeu et des casinos pour touristes chinois au Cambodge.
L’ouverture de multiples casinos et hôtels va attirer une faune de plus en plus liée aux mafias asiatiques, désireuse de profiter de cette nouvelle manne. C’est le début d’une violente guerre des gangs qui va finir par décourager les touristes et mettre un terme aux rêves de richesse de bon nombre de promoteurs immobiliers à Sihanoukville.
Sauf Chen Zhi qui continue à voir sa fortune et son influence grandir malgré l’effondrement retentissant de son principal terrain de jeu économique. Il y a dorénavant deux énigmes : d’où venait la mise de départ qui lui a permis d'investir au Cambodge, et comment a-t-il survécu à la débâcle de Sihanoukville sans y perdre sa chemise ?
Pour le premier mystère, Prince Group avait répondu par le passé à une banque qui voulait en savoir plus sur l’origine des fonds du PDG qu’il avait reçu un premier coup de pouce "d’un riche oncle".
Amis des puissants et roi des "découpeurs de cochons" ?
Quant à sa résilience financière, il la doit peut-être à son entregent politique. Chen Zhi s’est rapidement rapproché des hommes de pouvoir au Cambodge. En quelques années, après avoir fondé une banque et une compagnie aérienne, il va proposer ses services de conseiller au ministre de l’Intérieur, puis se mettre au service de Hun Sen, plusieurs fois Premier ministre, dont le fils, Hun Semet, deviendra également Premier ministre en 2023.
Ces amitiés au sommet de l’État ont pu l’aider à surmonter les obstacles. Ses détracteurs soupçonnent d’ailleurs que son influence politique explique la réticence cambodgienne à agir trop fermement contre les intérêts économiques de Chen Zhi dans le pays.
Il est aussi possible que l’homme d’affaires avait, au moment de l’effondrement du rêve de Sihanoukville, déjà diversifié ses activités plus ou moins légales.
Officiellement, Prince Group détient des centres commerciaux, des restaurants, des compagnies de yachts, des sociétés de production de films ou encore des immeubles d’habitations en plus des hôtels et des casinos.
Mais Prince Group a aussi ouvert des centaines de sociétés écrans. De quoi intriguer les autorités judiciaires de plusieurs pays. En Chine, par exemple, une cellule d’enquête spécifique dédiée aux activités de Chen Zhi est lancée en 2020. Les Chinois le soupçonnent d’avoir mis en place un empire de paris illégaux au Cambodge.
Les conclusions des autorités américaines et britanniques le mettent même au cœur de l’économie florissante des "arnaques à l’abattage de cochons". C'est un secteur devenu à ce point important qu’il représente 30 % du PIB au Cambodge, plus de 20 % de celui de Birmanie et près de 70 % du PIB du Laos, d’après une analyse du Guardian des données de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
Il repose sur des dizaines de milliers d’individus chichement payés à discuter toute la journée sur les réseaux sociaux avec de potentielles victimes un peu partout dans le monde, jusqu’à gagner leur confiance.
En attendant de démanteler cette économie, les États-Unis et la Thaïlande aimeraient bien retrouver Chen Zhi. Certains affirment l’avoir vu aux Émirats arabes unis, tandis que d’autres pensent qu’il s’est réfugié à Singapour, ce que les autorités locales nient, soulignent Les Échos. Mais, comme a pu le suggérer Jacob Sims, un spécialiste de la cybercriminalité, peut-être qu’il est tout simplement mort.
