Alors que la classe politique se divise sur la question de la déchéance de nationalité, des responsables de la majorité ont évoqué la possibilité d'étendre la mesure à tous les Français. Un compromis qui semble toutefois impossible juridiquement.
La déchéance de nationalité pourrait concerner l'ensemble des Français. Binationaux ou pas. C'est ce qu'ont laissé entendre plusieurs responsables de la majorité lundi 4 janvier. Dévoilée le 23 décembre dernier, cette mesure phare du projet de réforme constitutionnelle divise la classe politique, et surtout la gauche. Elle prévoit en effet d’étendre cette mesure, déjà existante, aux binationaux nés français condamnés "pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation", dans le cadre de la réforme constitutionnelle. À l’heure actuelle, seuls peuvent être déchus les binationaux devenus français.
Mais de nombreuses voix se sont élevées, à gauche comme à droite, pour protester contre cette mesure, qu’ils jugent inutile contre le terrorisme et source de division au sein de la société française.
Rassembler une majorité large
Prié de dire pourquoi ne pas étendre cette possibilité à tous les Français, binationaux ou non, ce qui pourrait représenter un compromis, le secrétaire d'État au Parlement Jean-Marie Le Guen a répondu lundi 4 janvier sur iTÉLÉ : "C'est un élément qui est dans le débat parce que l'intention du gouvernement n'a jamais été de dire que c'était : seuls les binationaux."
Une telle extension permettrait en effet de faire taire les critiques des nombreux socialistes qui s'offusquent de l'inscription dans la Constitution d'une "rupture d'égalité" entre les binationaux - quelque 5 % des Français - et le reste de la population.
Silencieux depuis la présentation du projet de réforme, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui avait estimé le 4 décembre que la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français n'était "pas une idée de gauche", s'est montré ouvert à cette solution.
Pour lui, "il faut que la déchéance de nationalité soit ouverte à l’ensemble des Français". Même suggestion du président du groupe socialiste à l'Assemblée Bruno Le Roux, partisan d'un compromis concernant tous les "terroristes" français, "qu'ils soient binationaux ou pas".
Plus tard dans la journée, Stéphane Le Foll a affirmé que le gouvernement allait "regarder les propositions" de modification du projet de réforme de la déchéance de nationalité. Le porte-parole du gouvernement qui s’exprimait à l’issue du Conseil des ministres, a souligné que le "souci" de François Hollande était de "rassembler une majorité large sur un enjeu qui est d'abord celui de la protection des Français, et qui doit donc dépasser les clivages habituels".
Impasse juridique
Reste que cette idée - que tous les Français soient concernés par la déchéance de nationalité -, se heurte à des obstacles d’ordre juridique. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle l’éxécutif avait jusqu’à présent exlu cette possibilité. Elle est en premier lieu contraire à la déclaration universelle des droits de l'Homme, qui stipule à son article 15 que "tout individu a droit à une nationalité".
En outre, la France a signé sans la ratifier toutefois, une convention onusienne de 1961 "sur la réduction des cas d'apatridie" qui affirme que "les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride".
"Nous sommes devant un débat juridique, un débat de relations internationales un peu compliqué, qui fait qu'il y a une législation qui interdit théoriquement de créer des apatrides", a confirmé Jean-Marie Le Guen.
Quid de la peine d’indignité nationale ?
Pour échapper à cette impasse juridique, certains rappellent l’existence de la peine d’indignité nationale. Dans une tribune publiée sur Le Monde.fr, la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, et l'avocat Jean-Pierre Mignard, proche de François Hollande, proposent de "substituer à une mesure inégalitaire de déchéance de la nationalité, une mesure égalitaire d'indignité nationale pour tous ceux, quel que soit leur statut dans la nationalité, qui prennent les armes contre leur pays et leurs concitoyens".
Instituée après la Libération en 1944 dans le but "d’éloigner des postes de commandement et d’influence" les Français ayant collaboré avec l’occupant allemand, elle ne prive pas les condamnés de leur nationalité, mais de leurs droits civiques. Elle les exclut également de certaines professions. "Il s'agirait d'ôter aux terroristes tous leurs droits civiques, leur passeport et de leur interdire la fonction publique", précisent Anne Hidalgo et Jean-Pierre Mignard.
L’idée séduit à gauche comme à droite. "Il faut travailler dans l'esprit du président de la République, ce qui ne veut pas dire obligatoirement dans la lettre", a affirmé Jean-Christophe Cambadélis.
Membre de l'aile gauche du PS et fortement opposé à cette mesure, l'ancien ministre Benoît Hamon a plaidé pour l'alternative. À droite, Xavier Bertrand, nouveau président (Les Républicains) de la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie, s'est lui aussi prononcé pour une mesure s'appliquant "à tous les terroristes".
La proposition a déjà été avancée la semaine dernière par le sénateur UDE Jean-Vincent Placé, et par la députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet.
Avec AFP et Reuters