Le service historique de la Défense situé dans le château de Vincennes expose ses archives pour mieux faire connaître ses collections. Des documents précieux pour mieux faire connaître le parcours des soldats pendant la Grande Guerre.
Franchir les murs des archives du ministère de la Défense, c’est un peu comme entrer dans l’Histoire. Ce service est situé au cœur même d’une ancienne résidence royale, dans le château de Vincennes, dont les premières pierres ont été érigées au XIVe siècle par Charles V. Au milieu trône un imposant donjon. "Les gens sont parfois intimidés à l’idée de venir ici. De l’extérieur, ils voient un château avec une enceinte siglée 'Ministère de la Défense'. Ils pensent qu’il n’y a que les militaires qui y ont accès et qu’il faut être habilité au secret défense pour y entrer", explique à France 24 Jean-François Dubos, chef du département de la Bibliothèque du service historique de la Défense (SHD).
Toucher du doigt l’histoire de France
Pour casser cette image de forteresse imprenable, le SHD organise jusqu’au 23 décembre une exposition pour mieux faire connaître ses richesses au grand public. À quelques pas de l’impressionnante salle des emblèmes, qui contient plus de 200 drapeaux et étendards de régiments dissous, plusieurs documents historiques sont ainsi exposés au public : une lettre signée de la main de Napoléon, des photos de poilus dans un camp de prisonniers durant la Grande Guerre, un historique d’un régiment de tirailleurs somalis ou encore le dossier individuel du résistant et historien Jean-Louis Crémieux-Brilhac, décédé en avril dernier.
L’exposition est modeste au regard des trésors que recèlent des kilomètres de rayonnages, mais elle a surtout pour but de donner envie aux visiteurs de franchir la porte de la salle de lecture toute proche. C’est dans cette pièce à l’allure très solennelle que les lecteurs d’un jour peuvent venir consulter librement et gratuitement les archives de l’armée française. Des chercheurs, des étudiants, des généalogistes ou tout simplement des particuliers touchent chaque jour du doigt l’histoire de France en lisant des documents originaux parfois vieux de plusieurs siècles. Des collections qui remontent à Louis XIV : "C’est lui qui a lancé ces institutions avec le dépôt de la guerre et de la marine. Cela a été une collecte immédiate. On a encore acheté récemment deux documents du XVIIIe siècle en salle des ventes. On alimente en permanence les fonds", décrit Jean-François Dubos.
En cette période de centenaire de 14-18, beaucoup de demandes d’information concernent la période de la Grande Guerre. Le SHD est le point de départ de tous ceux qui veulent en savoir plus sur le parcours des poilus de leur famille. Sur son site baptisé "Mémoire des Hommes", les chercheurs d’histoire peuvent ainsi consulter tranquillement devant leur ordinateur les fiches des soldats Morts pour la France, les lieux de leur sépulture ou encore les journaux de marche de leur régiment. Pour ceux qui désirent aller plus loin, ils peuvent avoir accès sur place, à Vincennes, aux dossiers des officiers : "Ceux de Joffre ou de Foch sont ici. On a aussi tous les documents qui concernent l’administration du ministère de la Guerre". À Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort ou Toulon, d’autres centres d’archives dépendant du SHD, ce sont les documents sur les marins ou sur les forces navales durant la Première Guerre mondiale qui sont disponibles.
"Un solde familial à régler"
La période de l’histoire de France qui intéresse le plus les visiteurs est toutefois celle de la Seconde Guerre mondiale assure Sylvie Yeomans, chef du bureau communication et valorisation du SHD : "En ce moment, on constate qu’il y a beaucoup de gens qui vident leur maison de campagne. Ils trouvent des documents datant d’il y a 70 ans et ils veulent comprendre ce qu’il s’est passé, car on ne leur en a jamais parlé". Pour orienter ces personnes en quête de leurs racines, le service historique propose un accueil en salle de lecture. Des archivistes et des chercheurs répondent aux questions des visiteurs sur des dossiers du régime de Vichy, des Forces Françaises libres ou des FFI.
Quotidiennement, Jean-François Dubos croise ces familles qui veulent briser des années de silence. À travers son travail, il a l’impression de leur être utile, à sa façon : "C’est souvent la génération des petits-enfants qui vient à notre rencontre. Ils ont un recul historique et une mémoire apaisée. Mais parfois, les questions sont douloureuses, ils veulent savoir si leur ancêtre a été résistant ou s’il a collaboré. On sent qu’il y a un solde familial à régler". À Caen, un autre centre du SHD , le bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC) conserve également les dossiers des prisonniers de guerre, des déportés, des fusillés, des internés, des travailleurs forcés, des victimes civiles ou encore des "Malgré nous", ces Alsaciens et Lorrains incorporés de force dans l’armée allemande. Il répond gratuitement à toutes les demandes de recherches sur place ou par courrier.
Au-delà de cette mission de renseignement, le service historique de la Défense se charge aussi préserver ces collections inestimables. Ce patrimoine, qui compte des milliers d’objets comme des insignes, des drapeaux ou des étendards, passe régulièrement entre les mains de plusieurs ateliers de reliure et de restauration. Mais pour conserver ces documents souvent fragiles, le SHD a surtout décidé de miser sur la duplication. "Cela permet de faciliter le travail de recherches en rendant les infos accessibles sur Internet et cela protège les documents", estime le responsable de la bibliothèque de Vincennes. "Mais on ne pourra jamais tout numériser. Les fonds sont considérables. Un million de documents, cela représente des centaines de millions de pages. Avant qu’on termine, je serai parti à la retraite, et mon successeur aussi".
Même si la numérisation progresse peu à peu, les agents du SHD cherchent surtout à attirer les civils dans les différentes salles de lecture. C'est, pour eux, le cœur de leur mission de service public. En 2014, près de 90 000 personnes sont venus à la rencontre de leur passé. "C’est un patrimoine commun. On est tous copropriétaire de ces archives", insiste Jean-François Dubois.