!["Le Fils de Saul", une plongée dans l'horreur d'Auschwitz "Le Fils de Saul", une plongée dans l'horreur d'Auschwitz](/data/posts/2022/07/20/1658335460_Le-Fils-de-Saul-une-plongee-dans-l-horreur-d-Auschwitz.jpg)
Premier film du Hongrois László Nemes, “Le Fils de Saul” s’aventure sur le territoire périlleux de la représentation de la Shoah au cinéma. Le résultat est une plongée éprouvante dans l’horreur des camps de la mort nazis qui évite bien des écueils.
L’Holocauste est un territoire familier du cinéma. Hollywood, surtout, s’y aventure régulièrement, puisant superficiellement dans ce terreau dramatique pour ficeler des intrigues bien éloignées des réalités historiques ("X-Men : le commencement" en est l’exemple le plus récent). Rarement en tous cas, la Shoah ne fut représentée avec ce souci d’immersion qui caractérise "Le Fils de Saul", éprouvant premier long-métrage de László Nemes dont l’unique décor est celui de l’enfer des camps de la mort nazis.
Plus exactement, le film se déroule à Auschwitz-Birkenau, en cet octobre 1944 où, l’arrivée de l’armée soviétique étant annoncée comme imminente, le camp est entièrement voué à l’anéantissement des juifs hongrois. Saul Auslander (littéralement "Saul l’étranger", en allemand) est l’un d’eux. Il se sait condamné mais bénéficie pour l’heure d’un abject sursis : il a été choisi par les SS pour faire partie des Sonderkommando, cette unité de déportés contraints de mener les juifs dans les chambres à gaz, de transporter les corps jusqu’au crématorium et de disperser les cendres dans le cours d’eau le plus proche.
Rouage de la mécanique génocidaire, Saul (interprété par le poète hongrois Geza Röhrig) prend part au massacre avec le détachement d’une machine. La caméra le suit à la trace, en gros plan, l’horreur qui l’entoure est floutée, reléguée hors champ ou matérialisée par l’omniprésence de l’assourdissant bruit des sévices corporels, des fusillades et des ordres hurlés en allemand, polonais, hongrois... L’humain n’est plus. N’existent que des ombres qu’il faut faire disparaître le plus rapidement possible.
"Sauver" un mort à défaut des vivants
À défaut de sauver les vivants, Saul entreprend de "sauver" un mort. Au cœur des ténèbres, le Sonderkommando, qui s'est persuadé d’avoir reconnu parmi les cadavres celui de son fils, entreprend l’impossible : voler le corps de ce garçon et trouver un rabbin qui pourrait l’enterrer selon les rites. Son obsession est telle qu’elle menace à tout moment de faire capoter le plan d’évasion fomenté par quelques-uns de ses codétenus.
Film à petit budget, "Le Fils de Saul" porte la marque du cinéma du maître hongrois Béla Tarr, dont László Nemes fut l’assistant. On y retrouve ce refus de l’artifice, cette précision dans la mise en scène et cette obstination de la caméra lorsqu’il s’agit de suivre au plus près ses personnages. Mais le cinéaste de 38 ans a également su mettre en valeur son propre style.
Ce que montre László Nemes, c’est la barbarie nazie à son plus haut degré : celui de la mise à contribution forcée d’hommes et de femmes à la destruction des leurs. "Le Fils de Saul" n’interroge pas uniquement la représentation de la Shoah mais aussi le lien entre le bourreau et la victime, ce que l’écrivain Primo Levi, ancien déporté, désignait comme la "zone grise".
Le film le fait en évitant de porter un quelconque jugement moral ou de verser, comme bien d’autres l’ont fait sur ce sujet, dans le récit haletant d’une lutte pour échapper à l’extermination. "L’histoire des camps n’est pas une histoire de survie, c’est une histoire de mort", indiquait le cinéaste hongrois à France 24 lors du dernier Festival de Cannes.
Présenté en compétition, “Le Fils de Saul” a fait grande impression sur la Croisette en mai. Un film aussi rare que saisissant qui peut transformer une petite édition cannoise en un cru exceptionnel. Las, en lui décernant le, certes très honorable, Grand Prix au lieu de la Palme d’Or, le jury des frères Coen a, comme qui dirait, raté le coche.