
L’analyse de données sur des attaques en Syrie et en Irak impliquant l'organisation terroriste État islamique a permis à des scientifiques américains de mieux comprendre la stratégie militaire du groupe.
Foi d’algorithme : il n’y a pas de "stratégie du hasard" derrière l'augmentation du nombre d'attentats à la voiture piégée perpétrés par l'organisation État islamique (EI) en Irak et en Syrie, les vagues d’arrestations sur les territoires qu’elle contrôle ou les attaques-suicides. Des scientifiques de l’Université d’Arizona vont présenter, la semaine du 10 août, les conclusions d’une étude inédite qu’ils ont menée pour tenter de mieux comprendre, par le biais du calcul algorithmique, les plans de bataille de l’EI.
Les experts ont soumis à un programme spécifique les données correspondant à 2 200 événements militaires impliquant l’EI en Irak et en Syrie entre juin et décembre 2014. Ces incidents - bombardements, attentats, offensives terrestres ou explosions de bombes artisanales - sont passés à la moulinette de la puissance de calcul pour essayer de trouver des relations de cause à effet.
L’arme de la voiture piégée
Les auteurs de l’étude assurent avoir trouvé un algorithme qui aiderait à prévoir comment l’EI réagit militairement sur le terrain. Les conclusions de l’étude "suggèrent que ces militants ont une stratégie prévisible et qu’il ne s’agit pas d’une constante adaptation au coup par coup à l’évolution de la situation militaire", assure à la BBC Noel Sharkey, un spécialiste des modèles informatiques à l’Université de Sheffield.
Pour l’algorithme, une première chose est claire : les stratèges de l’EI considèrent que les deux fronts - la Syrie et l’Irak - n’en forment qu’un. Les attaques à la voiture piégée en Syrie, durant la période observée, ont systématiquement précédé des tirs de mortiers et des attaques terrestres d’ampleur contre des villes irakiennes. "Les attaques à la voiture piégée, qui nécessitent moins de main d’œuvre qu’une offensive terrestre, sont une manière pour l’EI de marquer les esprits sur un territoire lorsque ce mouvement terroriste décide de concentrer ses forces terrestres sur un autre théâtre d’opération", écrivent les auteurs de l’étude.
La voiture piégée est, semble-t-il, une arme tactique de prédilection de l’EI. Lorsqu’il y a une vague d’attaques de ce type dans plusieurs villes d’Irak et de Syrie simultanément, cela signifie généralement qu’une offensive terrestre importante est sur le point de débuter ailleurs sur ces territoires. "Nous pensons que les voitures piégées servent à attirer les forces militaires ennemies loin de la véritable cible stratégique", affirme les scientifiques américains.
Raids aériens et attentats-suicides
Les attentats-suicides en Irak sont, d’après les algorithmes utilisés, une réponse particulièrement prisée après des frappes aériennes des forces irakiennes. La probabilité est même multipliée par 3,5 lorsqu’il y a des attaques aériennes ennemies en même temps qu’une offensive terrestre de l’EI en Irak. "Dans ce cas-là, les militants de l’EI ne peuvent pas facilement mobiliser des hommes et des véhicules (occupés ailleurs) et les attentats-suicides deviennent la réponse la plus économique aux raids aériens irakiens", souligne les auteurs de l’étude.
Il en va autrement en Syrie. Sur ce front, les frappes aériennes des forces fidèles à Bachar al-Assad sont généralement suivies de vagues d’arrestations dans les territoires sous contrôle de l’EI. Pour ces terroristes islamistes, un raid syrien qui a frappé une cible sensible signifie que le régime a bénéficié de renseignements d’espions sur le terrain qu’il faut traquer.
Les auteurs de l’étude reconnaissent, cependant, que leurs résultats sont loin d’être parfaits. Il y a probablement d’autres facteurs qui entrent en compte et peuvent améliorer la fiabilité des résultats. Ils indiquent ainsi que cette première étude sert essentiellement à démontrer qu’un algorithme peut combattre un ennemi terroriste. Ces chercheurs vont, à présent, essayer de nourrir l’ordinateur de données supplémentaires comme les conditions météorologiques, des articles de presse et des messages sur les réseaux sociaux.