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Selon des nouveaux documents, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis auraient suspendu les frappes aériennes de l'Otan contre les Serbes, sans en avertir les néerlandais alors en charge de la protection de l'enclave musulmane de Srebrenica.
Le massacre de 8 000 musulmans, en cinq jours, à Srebrenica en juillet 1995, par les Serbes de Bosnie, est considéré comme le pire massacre jamais perpétré en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Qualifié de génocide par la justice internationale, la tuerie hante toujours les Pays-Bas vingt ans après.
En 1995, pendant la guerre de Bosnie (1992-1995), Srebrenica était l’une des six "zones protégées" par l’ONU, donc sous protection d'un contigent de casques bleus. Dans ce cas précis, des Néerlandais. Mais peu nombreux et faiblement armés, ils n’ont pu empêcher la prise de l’enclave par les forces serbes de Bosnie. Retranchés dans leur base militaire non loin de là, les militaires du "Dutchbat" pour "Dutch Battalion" n'ont pu accueillir que quelques milliers de réfugiés en raison de la "situation humanitaire".
Depuis la tragédie, les autorités néerlandaises ont été accusées et poursuivies pour n'avoir pas pu empêcher le carnage par les troupes du Serbe de Bosnie Ratko Mladic, dit "le Boucher des Balkans". En septembre 2013, après une bataille juridique longue de 10 ans, les Pays-Bas sont devenus le premier État tenu responsable des actes de ses soldats sous mandat de l'ONU.
Mais alors que le monde commémore les 20 ans du massacre, de nouvelles informations vont peut-être changer la lecture des événements. Selon des révélations initialement faites dans le documentaire néerlandais "Why Srebrenica had to fall", réalisé par Bart Nijpels et Huub Jaspers pour Argos TV, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis ont sciemment pris d'importantes décisions stratégiques sans en informer leur allié et principal intéressé, les Pays-Bas.
Les Pays Bas "tenus dans l'ignorance"
À la fin du mois de mai 1995, six semaines avant l’assaut sur Srebrenica, Bill Clinton et Jacques Chirac, respectivement présidents des États-Unis et de la France, ainsi que le Premier ministre britannique John Major se mettent d’accord pour suspendre les frappes aériennes de l’Otan contre les force serbes. Une décision majeure qu’ils ne transmettent pas aux autorités néerlandaises, et qui s’avère contraire à l’engagement qu’ils avaient pris de répliquer en cas d’attaque.
"Le commandant néerlandais des forces de maintien de la paix à Srebrenica avait demandé une aide aérienne rapprochée à neuf reprises et on me l’avait par ailleurs promise. Mais rien ne s’est passé avant qu’il ne soit trop tard", confie à France 24 Joris Voorhoeve, ministre néerlandais de la Défense de l’époque. "J’ai découvert que derrière cette promesse, il y avait cet accord passé entre le Royaume-Uni, la France et les États-Unis de ne plus déclencher de frappes aériennes… Les trois alliés auraient dû discuter de cette décision avec les autorités des Pays-Bas. Nous avons été tenus dans l'ignorance", poursuit-il.
En anglais : Srebrenica massacre: former Dutch minister Joris Voorhoeve accuses the West
C’est grâce à la déclassification de documents américains, il y a deux ans, que Voorhoeve peut aujourd’hui être aussi affirmatif. Dans ces notes, issues d’une réunion du 18 mai 1995 qui a réuni les principaux décideurs de l’administration Clinton, il est écrit : "L’administration a décidé de suspendre "discrètement" l’usage de frappes aériennes contre les Serbes dans un avenir proche, dans la mesure où les forces de maintien de la paix de l’ONU ont été trop exposées à la riposte serbe. Cette décision a reçu le soutien de Chirac et Major (comme ils en ont tous deux informé le président Clinton la veille)".
Cette "vulnérabilité" des forces de l’ONU évoquée dans la note fait référence à la capture, quelques jours auparavant, de vingt-et-un casques bleus français et de treize observateurs militaires de l'ONU par les Serbes de Bosnie. Les otages avaient été déplacés et utilisés comme boucliers humains sur des sites stratégiques, afin de contraindre l'Otan à cesser ses frappes aériennes.
Complicité ou échec collectif
Joris Voorhoeve affirme également avoir vu des rapports des services de renseignement selon lesquels deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU – il refuse de préciser lesquels mais France 24 a pu établir qu’il s’agit des États-Unis et du Royaume-Uni – ont été informés, en mai 1995, de l’imminence d’une offensive serbe dans trois des "zones protégées" de Bosnie (Srebrenica, Zepa et Goradze). Là encore, ils n’ont pas cru bon de partager ces informations avec les Pays-Bas.
"J’ai su que ils [les deux alliés, ndlr] avaient appris des Serbes de Bosnie eux-mêmes que ces derniers projetaient de prendre les enclaves de l’est de la Bosnie dans les trois semaines suivantes ", confie l’ancien ministre à France 24. "Cette information n’a jamais été partagée avec nous et elle est parvenue à La Haye une semaine après la chute de Srebrenica… Ils auraient dû partager cette information clé", poursuit-il.
En anglais : Srebrenica massacre: Western allies did not share key intelligence says Voorhoeve
Muhammed Sacirbey, ancien ambassadeur de Bosnie à l’ONU puis ministre des Affaires étrangères, affirme depuis longtemps que les Occidentaux ont donné leur "feu orange" aux Serbes pour prendre le contrôle de Srebrenica. Leur objectif ? Faciliter l’accord de paix qui a finalement été conclu à Dayton, dans l’Ohio, le 14 décembre 1995. On peut désormais parler de "feu vert", confie-t-il à France 24. "Je pense qu’aujourd’hui, il est plus pertinent de parler de consentement, voire de complicité".
en anglais : Srebrenica massacre: "Western countries granted yellow light to the Serbs" says Sacirbey
Selon Joris Voorhoeve, il n’y a aucune preuve qui vienne étayer l’hypothèse d’un accord entre Serbes et Occidentaux. S’il considère que ces affirmations permettent de comprendre "l’échec collectif" qui a empêché de sauver Srebrenica, il n’en pense pas moins que la responsabilité reste celle des dirigeants des Serbes de Bosnie.
Quatorze personnes ont été reconnues coupables de crimes de guerre par le tribunal pénal international pour l’ex-Yousgoslavie (TPIY) de La Haye. Accusés de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, Ratko Mladic et Radovan Karadzic, l’ancien président de la République autoproclamée des Serbes de Bosnie, sont toujours en attente de leur verdict.