Vous les avez peut-être déjà croisées sur Facebook : des images d’apparence réaliste montrant des couples heureux, des familles réunies, un enfant présentant sa sculpture en légumes ou encore une personne âgée soufflant seule ses bougies d’anniversaire. Dans les commentaires, de nombreux internautes, majoritairement des personnes de plus de 50 ans, partagent leur compassion ou leur admiration, persuadés qu’il s’agit de scènes authentiques.
Pourtant, ces images sont des “boomer traps” ou “pièges à boomers”, du nom donné à la génération des baby-boomers nés entre 1943 et 1960. Utilisé par les brouteurs - des escrocs qui sévissent sur Internet ou les réseaux sociaux - ce stratagème sert à cibler ces internautes jugés plus vulnérables car moins rodés à l’usage des réseaux sociaux et aux fausses informations que les générations plus jeunes. Ces images sont généralement partagées sur des pages qui réunissent plusieurs milliers d’abonnées comme les pages Prière de la Vierge Marie (22 000 abonnés), la page Les enfants de Marie (24 000 abonnés) ou la page Vienne Seigneur de Jésus (14 000 abonnés). Si nombre de ces pages utilisent des termes susceptibles d’attirer les Chrétiens, cette communauté n’est pas la seule ciblée puisque l’on retrouve des pages similaires pour d’autres religions ou même des groupes de villes.
Des détails incohérents, typique des images par IA
“Très jolie et magnifique famille unie la belle jeunesse que c'est beau” ou “trop belle photo de famille”... Sous une publication de la page Facebook Jésus et Sainte Vierge, postée le 4 février 2025, les commentaires élogieux s'accumulent. Mais cette image, comme tant d’autres sur cette page, a en réalité été créée par une intelligence artificielle.
En regardant de plus près, on remarque certaines incohérences typiques des images générées par IA : les mains et les couverts des convives présentent des anomalies, apparaissant déformés ou comme “fondus” (voir image ci-dessous).
Le constat est similaire pour une autre publication partagée par la page “Prière catholique”, mettant en scène un soi-disant couple d’agriculteurs, qui cumule plus de 2 200 réactions et 242 commentaires.
Là encore, plusieurs incohérences visuelles ne laissent aucun doute sur le caractère artificiel de l’image, notamment dans le fond à gauche. Les poules y apparaissent déformées : l’une est dépourvue de tête, une autre semble coupée, et une troisième présente une silhouette anormale.
Les écritures : faiblesse des IA
Un autre détail révélateur des images générées par intelligence artificielle est souvent la manière dont les écritures sont représentées. Par exemple, sur cette image publiée sur Facebook le 7 février 2025, qui a récolté 4 700 réactions et 482 commentaires, on voit un soi-disant couple de producteurs de charcuterie derrière leur étalage. En y regardant de plus près, les inscriptions sur les panneaux apparaissent incohérentes : elles ne forment aucun mot compréhensible et utilisent des caractères qui ne correspondent à aucun alphabet existant.
En effet, les intelligences artificielles peinent encore à reproduire des écritures de manière crédible. Que ce soit sur des panneaux, des livres ou des étiquettes, les textes générés sont souvent illisibles, composés de caractères aléatoires ou d’un alphabet inexistant. Cette faiblesse constitue un indicateur généralement efficace pour identifier une image créée par IA.
Si toutes les images de ces pages ne présentent pas nécessairement d’incohérences graphiques manifestes. Mais la présence d’images clairement générées par intelligence artificielle permet de penser que l’ensemble des publications sont fausses, toutes étant de la même qualité - tellement nette qu’elle confine à l’artificiel - et accompagnées du même genre de légende sur le même ton, relatant des histoires de solitude, d’orphelinat, de métiers pas valorisés, censées susciter la compassion.
Une stratégie d’hameçonnage
Pour Marwan Ouarab, expert en cyber-fraude et fondateur de Find My Scammer, une startup qui aide les victimes d’arnaques en ligne à retrouver leur escroc, contacté par la rédaction des Observateurs : “Les images générées par IA font partie intégrante de la stratégie d’hameçonnage des brouteurs (escrocs qui agissent sur Internet ou les réseaux sociaux, NDLR). Ils créent des groupes ou des pages avec des noms comme “entraide entre chrétiens”, “amis chrétiens” ou “Jésus t’aime” pour réunir des personnes qui partagent le même centre d’intérêt. Ils repèrent ceux qui commentent ou interagissent avec des images générées par IA car ils les croient réelles (voir image ci-dessous), puis les contactent en privé, profitant de leur crédulité et essaient ensuite de les abuser.”
“On trouve beaucoup ce mode opératoire sur Facebook car c’est le réseau social le plus utilisé par la génération “babyboomer” et qu'ils maîtrisent moins bien le numérique. Mais cette génération n’est pas la seule cible, n’importe qui peut se faire prendre au piège. (...) Les brouteurs sont infiltrés partout sur Facebook, vous avez les images générées par IA mais aussi des photomontages ou des faux témoignages qui visent à vendre des fausses formations en crypto monnaies ou en immobilier, des faux produits ou des arnaques au compte CPF qui ciblent les personnes en reconversion professionnelle” indique Marwan Ouarab.
Selon la plateforme Statista, en 2023, 130 600 escroqueries numériques ont été enregistrées en France. D’après une étude de la plateforme de cybersécurité Lookout, Facebook est le réseau social sur lequel les utilisateurs sont le plus confrontés aux escroqueries (62% chaque semaine). Viennent ensuite TikTok (60%), WhatsApp (57%) et Instagram (56%). Twitter et LinkedIn sont au bas du classement avec respectivement 53% et 31%.
Depuis mars 2022, la plateforme THESEE permet aux victimes d’escroqueries en ligne d’effectuer un dépôt de plainte à distance.